Depuis 2008, la France s’honore de compter 3 nouveaux prix Nobel à son palmarès scientifique et 11 premières mondiales de plus au tableau d’honneur de ses CHU*. Dans l’hexagone, la recherche en sciences de la vie et de la santé appelée aussi recherche médicale et biotechnologique est un secteur porteur et exportateur. Cette activité phare place notre pays au 2ème ou 3ème rang européen, (derrière le Royaume-Uni et l’Allemagne) et au 3 ou 4ème rang mondial (derrière les USA, le Japon et le Royaume-Uni) – selon les critères retenus. Les progrès issus des travaux des chercheurs ont des incidences directes sur la santé des patients qui bénéficient de stratégies diagnostiques ou thérapeutiques plus efficaces et mieux tolérées et d’un plus grand contrôle des facteurs pronostiques et prédictifs. Les avancées signées par les équipes françaises participent ainsi à la performance globale du système de soins et leur valorisation dopent la compétitivité des laboratoires et des start up. Mais une récente enquête du Leem** sur la place de la France dans la recherche clinique industrielle internationale pointe un certain nombre de fragilités, selon l’analyse du Dr Catherine Lassale, Directeur des Affaires Scientifiques qui a conduit l’étude et interrogé les principaux laboratoires mondiaux.
La France pourra-t-elle se maintenir parmi les premiers pôles mondiaux d’innovation thérapeutique ? Son attractivité pour les industries de la santé n’est-elle pas en train de décliner ? Qu’en est-il aujourd’hui du continuum recherche-invention-innovation-valorisation ? Ces doutes auront-il des conséquences sur les investissements industriels en recherche clinique industrielle à l’hôpital dont le montant est estimé à près de 500 millions d’euros en 2010***? Réponses de Marie Lang, directeur du Centre national de gestion des essais de produits de santé (CeNGEPS)et de son adjoint, le Dr Jean-Pierre Duffet.
Pour cette sixième enquête 30 laboratoires dont 14 des 15 plus importants au monde en termes de chiffres d’affaires ont été interrogés. Ces sociétés représentent 68% du marché français. Les enquêteurs ont retenu 559 études de phase I/II (110), II et III (421) et IV (28).
Les cohortes made in France
La France qui représente 6,5% des patients recrutés –derrière les Etats-Unis (19,2%) et l’Allemagne (8,9%) – voit l’importance de ses cohortes diminuer par million d’habitants et par essai.
Ainsi, en 2012 la France recrutait 246 patients par million d’habitants ; près de 50 de moins par rapport à 2010 (291) chiffre tout de même supérieur à la moyenne européenne (177 en 2012 contre 207 en 2010) mais inférieur à la Scandinavie (423) à l’Allemagne (270) et au niveau international au Canada (317).
Dans chaque essai industriel, la France incluait en moyenne 38 patients en 2012 contre 58 en 2010 (16 092 pour 420 études en 2012 contre 19 020 pour 328 études en 2010)
« Malgré son rayonnement académique, l’excellence scientifique de ses médecins-chercheurs et la performance des plateaux techniques des CHU, le France semble en effet marquer le pas. Un phénomène que l’on constate dans les pays de la vieille Europe (à l’exception de l’Allemagne) qui reculent au profit des pays émergents d’Asie et d’Amérique Latine, plus compétitifs en termes de patients et de coûts. Quant aux bons scores Outre-Rhin, ils s’expliquent par une meilleure organisation de la recherche caractérisée par une démarche systématique par aires prioritaires de centres de coordination d’essais cliniques où les locaux et données sont mutualisés, par un management performant et par la qualité des équipes. De son côté, le promoteur plébiscite la disponibilité et l’accès direct aux investigateurs, la certification et la labellisation de centres d’excellence, l’anticipation précoce des freins au recrutement et la fiabilité des engagements d’inclusion de patients. Le Ministère fédéral de l’enseignement et de la recherche Allemand (BMBF – Berlin 2011) a investi 6,5 Md€ pour restructurer la recherche biomédicale (cf programme cadre de recherche en santé 2011-2014). Parmi les différentes dispositions, la prise en compte de la recherche industrielle dans le processus de rénovation de la recherche en santé et son intégration plus précoce dans la chaîne d’innovation, dans un contexte de coopération internationale**** » reconnait Marie Lang.
Une analyse plus fine montre que la France figure en tête pour les essais de phase II. A son actif : la maîtrise des données très complexes nécessitant de multiples expertises, l’avance de ses équipes en médecine personnalisée, en pédiatrie et maintenant en gériatrie. Et aussi le fait d’être toujours considéré comme un marché clé européen par les laboratoires, de disposer d’infrastructures aussi performantes que les allemandes ou les scandinaves et d’une qualité de prise en charge reconnue mondialement.
Mais il est vrai que la France est moins performante sur des essais de phase III qui requièrent un fort potentiel patients ; secteur sur lequel les pays émergents se positionnent désormais avec succès. « Et puis reconnaissons-le, l’intérêt des équipes hospitalo-universitaires pour la recherche clinique industrielle est récent car les praticiens HU avaient tendance à privilégier la recherche institutionnelle considérée comme plus prestigieuse. Aujourd’hui, sous l’impulsion du CeNGEPS, les mentalités évoluent car nos équipes sont conscientes de l’enjeu financier que représente la recherche industrielle et de sa place prépondérante. » Selon les chiffres 2012 de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), sur les 871 essais de médicaments réalisés en 2011***** , deux tiers étaient financés par les industriels et un tiers par le public.
Quant à la vitesse moyenne de recrutement des cohortes, la France a amélioré son classement européen (2ème place en 21012 versus 6ème en 2010) mais cette progression se déroule sur fond de quasi doublement des délais moyens de recrutement au niveau mondial passés de 2,6 patients par centre et par mois en 2010 à 1,4 en 2012.
Les points forts : les maladies rares et la cancérologie
La performance de la France se confirme dans le domaine des maladies rares où elle est leader européen. « Les équipes arrivent plus facilement à recruter des patients dont le pronostic vital est souvent engagé et qui savent tout l’enjeu des recherches. De plus les chercheurs bénéficient aussi du soutien d’associations de patients très impliquées » explique Jean-Pierre Duffet. La France se démarque aussi en en oncologie/onco-hématologie grâce à une recherche pluridisciplinaire de haut niveau. « Les différents plans nationaux et européens de santé publique et l’intervention de l’Inca ont aussi contribué à mieux structurer les centres de recherche et les ressources comme la création de plateformes hospitalières de génétique moléculaire. Beaucoup de cancers ont un pronostic peu favorable. Et les patients savent que l’accès à l’innovation est essentiel. Ils sont très mobilisés et soutiennent la recherche » précise Jean-Pierre Duffet.
A noter qu’en cancérologie la proportion de recherche menée par les CHU, les centres de lutte contre le cancer et les cliniques s’établit de la manière suivante En 2010, 34000 patients atteints de cancer ont été inclus dans des essais cliniques en France, contre près de 22.000 en 2008, soit une augmentation de plus de 50%, selon un bilan de l’Institut national du cancer (INCa). Les patients sont majoritairement inclus dans les essais cliniques conduits dans les CLCC (39% soit 13 270) et les CHU (37% soit 12 750), tandis que 12% d’entre eux le sont dans des Centres hospitaliers (CH) ou des hôpitaux privés participant au service public. De plus, 5% des patients entrent dans des essais réalisés dans le secteur libéral et 7% (soit 2 347 patients en 2010, contre près du triple en 2003) dans ceux de l’Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP)******
Par contre, l’enquête signale un décrochage sur le diabète et les maladies cardiovasculaires et métaboliques (moins d’essais et moins de patients recrutés par étude). La baisse est un peu moins sensible pour les pathologies inflammatoires et la rhumatologie, la neurologie, psychiatrie, Alzheimer et les maladies respiratoires.
En diabétologie, le retrait français peut s’expliquer par la difficulté à constituer une cohorte suffisante. « Un phénomène qui trouve son origine dans la crainte d’un détournement de patientèle par les diabétologues de ville par les médecins hospitaliers des CH et CHU.» signale Marie-Lang.
« En cardiologie, les français privilégient depuis longtemps les dispositifs médicaux au détriment des nouvelles molécules. La plus belle illustration étant l’invention du cœur artificiel Carmat par le Pr Alain Carpentier Mais des progrès considérables ont aussi été accomplis sur les valves aortiques et les stents par le Pr Gabriel Steg – Hôpital Bichat AP-HP et le Pr Nicolas Danchin Hôpital Européen Georges Pompidou – AP-HP qui animent aussi le réseau de recherche industrielle CeNGEPS FACT pour le médicament cardiovasculaire» commente Jean-Pierre Duffet. A cela s’ajoute une excellente surveillance médicale des malades cardiaques et une très bonne couverture sociale ce qui explique pourquoi les patients ont moins intérêt à entrer dans une cohorte en France que dans les pays où être inclus dans un essai thérapeutique est la seule façon d’avoir accès à l’innovation
La compétitivité des équipes françaises en question
La France est pénalisée par la complexité de l’organisation de la recherche : pléthore de structures, de supports contractuels, d’autorisations administratives moins évidentes que dans d’autres pays européens comme l’Allemagne ou la Scandinavie, productivité estimée inférieure, de même que la qualité des investigateurs******* et la cohérence avec les objectifs de recrutement******** . Les laboratoires déplorent également un allongement des délais d’évaluation par les Comités de protection des personnes.
L’enquête relève que les unités françaises qui bénéficient de dotations publiques pêchent par des délais de contractualisation trop longs et aussi par un certain manque de rigueur dans le recueil des données. Elles n’ont pas toujours la même motivation que les équipes qui dépendent de la seule industrie pharmaceutique pour se développer. Sur la scène internationale, être considéré comme des Key Opinion Leader ne suffit plus. « Les laboratoires ont tendance à privilégier leur territoire d’origine ou les pays où le potentiels de patients est important et où les équipes se montrent très réactive convient Marie Lang. Les industriels souhaitent contacter des équipes déterminées qui vont respecter leurs engagements d’inclusions dans les délais impartis sans surévaluer leur disponibilité et leur potentiel de recrutement. Ils préfèrent des chercheurs moins prestigieux mais plus impliqués et rigoureux. »
Consciente de ces handicaps, la France a créé des campus hospitalo-universitaires comme les IHU et DHU où la recherche académique enrichit la recherche industrielle et où il existe une professionnalisation des investigateurs. Et les laboratoires internationaux sont intéressés par ces regroupements d’expertise à visibilité internationale. « Mais il est trop tôt pour évaluer l’impact de tels centres d’excellence sur l’attractivité française. Attendons encore 2 ou 3 ans pour se prononcer. » pondère Marie Lang.
« J’entends également des voix qui s’élèvent contre la course entre CHU, craignant un certain élitisme qui risquerait de porter atteinte à la dynamique des interrégions. La concentration de moyens sur quelques sites pénaliserait le reste des établissements car la qualité des soins étant souvent très liée à la participation à des essais cliniques. Et puis la proximité demeure un atout pour la recherche car un patient en confiance participe plus facilement aux essais.» prévient Jean-Bernard Duffet.
Certains CHU de taille moyenne apparaissent très actifs et porteurs d’initiatives originales comme ceux de l’interrégion Nord-Ouest,dans la tradition du G4, où la recherche est organisée en réseaux thématiques autour des 4 CHU et des établissements hospitaliers du territoire. La maison régionale de la recherche clinique du CHRU de Lille réunit les structures de promotion et les centres ressources spécialisés. Autre exemple : à Bordeaux, le CHU, le CLCC, l’université ont créé le GIE Accelence, 1er organisateur public/privé de sites de recherche clinique en Europe avec en outre signature d’un partenariat « prime site » avec la CRO Quintiles. Accelence propose aux promoteurs industriels d’accéder à des sites d’investigation réactifs et performants, gage d’un recrutement optimisé
La recherche française armée pour se positionner sur un marché mondial
La recherche clinique française doit emporter des parts sur un marché mondial et satisfaire aux exigences des nouveaux intermédiaires que sont les CROs et les entreprises de biotechnologies tout en respectant les contraintes de l’environnement réglementaire. Pour gagner en productivité et en compétitivité, les CHU ont fédéré leurs ressources. Avec les hôpitaux impliqués dans la recherche, ils se sont regroupés en un Comité national de coordination de la recherche (CNCR) chargé de répondre collectivement aux appels à projets et de contractualiser avec les donneurs d’ordres et partenaires.
Dans le cadre des 7 inter-régions, les groupements interrégionaux de recherche clinique et d’innovation (Girci) encouragent les synergies afin de faire émerger des grands pôles à l’échelle du territoire.
En interne les CHU se sont dotés de Délégation à la Recherche Clinique et à l’Innovation (DRCI), de Pôle de Recherche et de cellule de valorisation qui accompagnent les équipes durant toutes les étapes du financement des études à la promotion des découvertes. Pour ce qui est de l’activité de recherche à promotion industrielle, les CHU savent qu’ils peuvent compter sur le soutien du Cengeps. Le GIP met à leur disposition des moyens pour recruter près de 300 ETP soit 500 techniciens d’études cliniques formés et qualifiés, des outils de mesure de file active (outils de screening et pré-screening, base de données patients), des grilles de surcoût et des contrats type. Il organise et soutient également des -formations à la recherche clinique. A travers son suivi d’activité par un outil Extranet il permet de développer une culture de la performance et du résultat dans le respect de l’éthique et des contraintes réglementaires. En effet, les allocations de ressources sont réparties en fonction du respect de l’atteinte de gold standards.
Et au-delà de cet apport structurant et logistique, il est essentiel de donner le goût de la recherche aux étudiants. Les facultés pourraient envisager de compléter le cursus des études médicales par un enseignement dédié à la recherche clinique après le développement des épreuves de lecture critique d’articles scientifiques.
C’est donc à tous les niveaux que la France se mobilise pour retrouver sa place de premier plan parmi les nations fort chercheuses. Des efforts qui devraient avoir une traduction concrète dans la prochaine enquête…
Marie-Georges Fayn
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* 2008 Françoise Barré-Sinoussi (France) et Luc Montagnier (France) pour « leur découverte du virus de l’immunodéficience humaine » – 2011 Jules Hoffmann (France) et Bruce Beutler (USA) pour leurs travaux sur le système immunitaire inné
Premières mondiales signées par les CHU https://www.chu-media.info/mieux-connaitre-les-chu/1eres-medicales-mondiales/
** État des lieux 2012 de l’attractivité de la France pour la recherche clinique internationale : 6e enquête du Leem – essais cliniques de médicaments à promotion industrielle, Catherine Lassale, Claire Sibenaler, Jehan-Michel Béhier, Philippe Barthélémy, Yannick Plétan, Soizic Courcier http://www.leem.org/sites/default/files/Enquete-Attractivite-2012.pdf
*** En 2010, une analyse montrait que l’investissement privé total en France pour les études cliniques industrielles à l’hôpital est estimé à 489 millions d’euros, se décomposant en 83,6 millions d’euros d’honoraires médicaux (17%), 73 millions d’euros de surcoûts hospitaliers (15%), 99 millions d’euros de fournitures de médicaments (20%) et 232 millions d’euros de coûts de gestion par les personnels des laboratoires ou des CROs (Contract Research Organisation ou société de recherche sous contrat) (48%)
**** note de l’Ambassade de France en Allemagne du 12/07/2012 : http://www.wissenschaft-frankreich.de
***** le nombre d’essais médicaments est de 871 en 2011 (903 en 2010 et 920 en 2009) et le rapport promoteurs Industriels/Institutionnels était 69%/31% en 2011 (73%/27% en 2010 et 74%/26% en 2009) [pages 17-18]. Pour la pédiatrie 106 essais en 2011 (90 en 2010 et 88 en 2009) le rapport promoteurs Industriels/Institutionnels varie davantage 78%/28% en 2011 (59%/31% en 2010 et 63%/26% en 2009) [page 20] cf Dépense de recherche médicale et pharmaceutique en 2011 – Source : Drees.
****** RelaxNews le vendredi 23 mars 2012 à 19:01:00
******* Indicateurs qualitatifs reposant sur la perception des maisons-mères
la qualité des investigateurs correspond à la perception de la maison-mère de la qualité de l’investigation. Cet indicateur prend en compte la qualité des dossiers et varie en fonction de leur exhaustivité (nombre de corrections sur les cahiers d’observation car certaines données sont manquantes ou contradictoires avec d’autres données, les examens manquants…)
******** les objectifs de recrutement correspondent à la fiabilité des estimations de recrutement par centre : lorsqu’un promoteur souhaite mettre en place une étude dans un centre, il sollicite l’investigateur potentiel pour lui demander combien de patients il espère pouvoir inclure dans l’essai en fonction de sa patientèle. Cet indicateur est essentiel mais il y a en général une surestimation du potentiel de recrutement et un pays risque d’être mal perçu par une maison-mère si ses estimations sont par exemple trop optimistes (par exemple s’engager sur une inclusion de 25 patients et n’en recruter que 2 !)
Pour préserver sa fertilité, on lui déplace l’utérus au niveau du nombril
Dans le cadre de la prise en charge d’une patiente atteinte d’un sarcome d’Ewing au niveau de la cloison recto-vaginale, le Pr Cherif Akladios, chef du pôle de gynécologie, obstétrique et fertilité aux Hôpitaux Universitaires de Strasbourg, a réalisé un geste spectaculaire et inédit en France. En déplaçant son utérus au niveau de son ombilic, le chirurgien et son équipe ont sans doute permis à la jeune femme de préserver sa fertilité.