Le Professeur Jacques-Eric Gottenberg et le Professeur Jean Sibilia du CHU de Strasbourg* ont publié les résultats d’un essai clinique contrôlé en double aveugle démontrant l’inéfficacité du Plaquénil sur le syndrome de Sjögren primaire, cet été dans le prestigieux Journal of the American Medical Association (JAMA) Cette étude qui a permis de mieux connaître les mécanismes de la maladie, ouvre sur de nouvelles pistes, notamment les biomédicaments.
Le syndrome de Sjögren primaire : une maladie déroutante.
Cette maladie auto-immune n’est pas si rare puisqu’elle concerne environ 40 000 patients en France dans sa forme isolée et près de 100 000 personnes lorsque le syndrome de Sjögren est associé à une autre maladie auto-immune comme la polyarthrite rhumatoïde, le lupus érythémateux systémique, la sclérodermie ou les myosites. Les patientes (9 femmes pour 1 homme) ressentent une sécheresse très pénible des yeux, de la bouche et de l’ensemble des muqueuses. Les patients se plaignent également d’une grande fatigue et de douleurs dans les articulations, les muscles et parfois tout le corps. Cette maladie peut concerner d’autres organes comme les nerfs, les poumons, la peau (1/3 des patients) ou entraîner un cancer de type lymphome (5% des patients). Et il n’existe à l’heure actuelle aucun traitement efficace sauf pour soulager la douleur et de la sécheresse (salive, larmes artificielles).
Il arrive aussi que ces symptômes sont parfois attribués une « fibromyalgie ». Pour éviter toute erreur, il est donc important de consulter des centres experts comme le centre national de référence pour les maladies auto-immunes systémiques rares des Hôpitaux Universitaires de Strasbourg.
Pourquoi avoir lancé un essai clinique sur l’efficacité de l’hydroxychloroquine (Plaquenil) ?
L’hydroxychloroquine (Plaquenil) est un médicament fascinant par son histoire et son efficacité dans certaines maladies auto-immunes. Les premières informations sur son utilisation remontent au XVIème siècle où les habitants du Pérou rapportent que les missionnaires consommaient de la poudre d’écorce de certains arbres, les « arbres à fièvre », pour traiter fièvre et rhumatismes. Par la suite, la quinine dont l’hydroxychloroquine est un dérivé a montré une certaine efficacité pour traiter le paludisme.
Au cours des dernières années, le traitement par Plaquenil s’est imposé comme la pierre angulaire du traitement du lupus érythémateux systémique, une maladie auto-immune proche du syndrome de Sjögren.
Les travaux menés par le Professeur Gottenberg sont l’aboutissement de 10 ans de recherche entamés dans le cadre de sa thèse de doctorat. Cette étude révèle le rôle de certaines protéines de l’immunité, les interférons, dont l’action est inhibée par le Plaquenil. Ce médicament peu coûteux, entraine peu d’effets secondaires mais il a été prescrit depuis très longtemps dans le syndrome de Sjögren sans que son efficacité n’ait été prouvée . Il n’y avait jamais eu d’essai clinique réalisé selon les règles de l’art permettant d’évaluer l’apport de ce médicament.
Quels sont les résultats de l’essai clinique ?
Cet essai clinique multicentrique randomisé en double aveugle contre placebo montre que le Plaquenil n’a pas d’efficacité pour diminuer les douleurs, la fatigue, et la sécheresse des patients. Il n’y a donc pas lieu de donner ce traitement de manière systématique au moment du diagnostic de syndrome de syndrome de Sjögren primaire.
Pourquoi cet essai clinique a-t-il été publié dans le JAMA ?
En plus de l’intérêt pour cette maladie invalidante et sans traitement autre que symptomatique, c’est la démarche qui a probablement intéressé les éditeurs de cette grande revue de médecine américaine. Il s’agit d’une étude non sponsorisée par l’industrie réalisée grâce au financement du programme hospitalier de recherche clinique (PHRC). « Cela demande beaucoup d’énergie mais il est possible, même dans une maladie qui n’est pas très fréquente comme le syndrome de Sjögren primaire, d’inclure 120 patients dans un essai clinique lorsque tout le monde est motivé et qu’on a la chance d’avoir, comme dans le service de Rhumatologie des HUS, des infirmières et des médecins formés à recherche clinique, ainsi que l’aide efficace de la Direction de la Recherche Clinique (DRCI) » souligne le Professeur Gottenberg.
Quelles les nouvelles pistes à l’issue de cet essai pour le traitement du syndrome de Sjögren ?
Grâce aux travaux de recherche au laboratoire de nombreuses équipes dont ceux de l’équipe strasbourgeoise, les mécanismes de la maladie commencent à être mieux connus. Ces progrès permettent d’envisager d’évaluer l’efficacité de nouveaux traitements ciblés, les biomédicaments.
Les biomédicaments ont considérablement amélioré la vie de certains patients atteints de polyarthrite rhumatoïde, de spondyloarthrite, de maladie de Crohn, de psoriasis ou de sclérose en plaques. « Nous avons débuté un nouvel essai multicentrique randomisé en double aveugle contre placebo coordonné à Strasbourg évaluant l’efficacité du tocilizumab (Roactemra), un biomédicament qui bloque une protéine de l’inflammation, l’interleukine-6, au cours du SJp. Un autre essai est prévu en 2015, avec le Professeur Jean Sibilia et le Professeur Jérôme De Seze, pour évaluer l’efficacité des immunoglobulines intraveineuses dans les neuropathies périphériques compliquant le syndrome de Sjögren primaire » précise le Professeur Gottenberg.
*Service de Rhumatologie et Centre National de Référence Pour les Maladies Auto-Immunes Systémiques Rares