Les conclusions d’une étude d’épidémiologie prospective de la maladie d’Alzheimer, conçue, initiée et dirigée par le Pr Jean-François Dartigues, service de neurologie du pôle neurosciences cliniques du CHU de Bordeaux coordonné par le Pr Jean-Marc Orgogozo, viennent d’être publiées dans la revue spécialisée américaine «Annals of Neurology». Elles révèlent, en première mondiale, que les troubles sont décelables dix ans avant le diagnostic Alzheimer.
Cette étude, initiée en 1986, est la plus ancienne de ce type dans le monde. Elle a été menée sur une population de 3800 personnes (sujets normaux) de 65 ans et plus, vivant en Gironde et Dordogne, suivies à domicile depuis 1989 tous les 1 à 3 ans.
Plusieurs variables ont été étudiées
1.test simple des fonctions intellectuelles globales
2.test de mémorisation visuelle explorant la mémoire de travail
3.évocation de mots sur commande explorant le stock verbal et la fonction exécutive
4.mesure des capacités conceptuelles
5.plaintes cognitives, notamment pour la perte de mémoire
6.symptômes dépressifs exprimés
7.difficultés dans la réalisation de 4 activités non-routinières de la vie quotidienne
Résultats
– les 4 tests neuropsychologiques (variables 1->4) commencent à décliner, significativement par comparaison aux sujets qui ne sont pas devenus déments, 10 A 13 ANS avant le diagnostic de MA;
– les plaintes mnésiques et les sentiments dépressifs (5-6) sont exprimés 8 A 10 ANS avant le diagnostic et les difficultés à réaliser des tâches un peu complexes (téléphoner, utiliser les transports, gérer les médicaments, utiliser l’argent) 5,5 A 6,5 ANS avant le diagnostic.
Cette étude est la première démonstration convaincante de la longue progression silencieuse avant le diagnostic avéré de maladie d’Alzheimer.
Bien avant la période d’accélération rapide du déclin des fonctions intellectuelles qui dure 2 à 3 ans avant le diagnostic avéré de maladie d’Alzheimer, l’émergence des différents troubles décrits se manifeste 6 à 12 ans en moyenne avant le diagnostic, c’est-à-dire 3 à 9 ans avant ce que l’on arrive à détecter aujourd’hui dans les centres spécialisés.
Traitement et perspectives
Il n’y a pas encore de traitement capable de bloquer ni de ralentir significativement l’évolution de la Maladie d’Alzheimer mais un certain nombre d’innovations thérapeutiques (vaccins anti-amyloide et autres) sont à un stade avancé de développement. Beaucoup d’équipes travaillent, pour permettre l’émergence de cette nouvelle ère thérapeutique, à la mise au point de marqueurs biologiques ou d’imagerie cérébrale qui permettraient un diagnostic le plus précoce possible (comme le sérodiagnostic d’infection à HIV longtemps avant le diagnostic de SIDA). Les résultats présentés dans l’article publié suggèrent que le diagnostic précoce de maladie d’Alzheimer serait possible jusqu’à plus de 10 ans avant le début du stade de démence.
« Dès qu’un test fiable de dépistage de la MA sera validé, peut-être dans les 2-3 ans qui viennent vu les moyens mis par les états, les laboratoires de recherche et les sociétés spécialisées, on pourra passer aux essais thérapeutiques dans la maladie d’Alzheimer “asymptomatique”, avant le stade irréversible et lourd de conséquences familiales, sociales et budgétaires de la démence avérée. » Pr Jean-François Dartigues, PUPH au service de neurologie du CHU de Bordeaux.
« Traiter à un stade plus précoce pourrait augmenter les chances de succès. En outre ralentir l’évolution de la maladie d’Alzheimer a beaucoup plus de chances d’avoir un impact majeur en santé publique au stade pré-démentiel (du fait de l’espérance de vie courte de cette population très âgée) qu’au stade de démence avérée où les déficits cognitifs et fonctionnels sont déjà lourds de conséquences. » Pr Jean-Marc Orgogozo, neurologue, responsable du pôle neurosciences cliniques du CHU de Bordeaux.
Prise en charge de la maladie d’Alzheimer au CHU de Bordeaux : Des consultations mémoire à Pellegrin et à l’Hôpital Xavier Arnozan
Le Centre de Mémoire de Ressources et de Recherche (CMRR) d’Aquitaine implanté au CHU de Bordeaux a été labellisé par l’Agence Régionale de l’Hospitalisation (ARH) en 2002 lors de la création des 13 premiers CMRR de France. Le Pr Jean François Dartigues, neurologue, est coordonnateur du CMRR et le Pr Muriel Rainfray, gériatre, est coordonnateur adjoint.
Consultation Mémoire : données quantitatives et qualitatives par site (2007)
Au CHU de Bordeaux, le CMRR est implanté sur deux sites :
– l’un plus spécifiquement neurologique, dirigé par Jean-François Dartigues, est situé dans le pôle de neurosciences cliniques du Groupe Hospitalier Pellegrin,
– l’autre plus spécifiquement gériatrique, dirigé par Muriel Rainfray, est situé dans le pôle de gérontologie clinique du Groupe Hospitalier Sud (à l’Hôpital Xavier Arnozan).
Pôle neurosciences cliniques du groupe Hospitalier Pellegrin
– 799 patients ont été vus au moins une fois à la consultation mémoire (dont 389 nouveaux patients).
– La moyenne d’âge est de 73,4 ans. 17,7% ont 60 ans et moins, 22,6% ont entre 61 et 70 ans, 39,1% ont entre 71 et 80 ans et 20,7% ont 80 ans et plus.
– Les démences représentent le diagnostic le plus souvent porté avec 59,3% des cas. La maladie d’Alzheimer est la cause la plus fréquente avec 40,9% des cas.
Pôle gérontologie clinique du groupe Hospitalier Sud (Hôpital Xavier Arnozan)
– Le pôle accueille chaque année 750 patients dont plus de 200 nouveaux.
– La moyenne d’âge des patients est de 83 ans et leur suivi de plusieurs années y compris quand ils sont entrés en institution.
– Des réunions pour les familles dans le cadre de l’aide aux aidants sont mises en place et animées par les médecins, les assistantes sociales et les psychologues. Un suivi personnalisé des patients et de leurs familles est assuré par la consultation mémoire, notamment en cas de « crise familiale ».