« C’est un résultat exceptionnel, extrêmement rare dans l’histoire de l’oncologie. C’est l’une des premières fois que l’on parle de l’éradication d’un cancer ». Les mots sont forts, et pour cause. Il y a quatre ans, au moment de lancer l’étude TROPHAMET, les Professeurs Benoît You, oncologue, et Pierre-Adrien Bolze, gynécologue obstétricien, suspectaient que l’association des deux types de traitement pour lutter contre certaines tumeurs trophoblastiques gestationnelles (TTG) produirait des résultats intéressants. Mais pas au point d’arriver à un taux de guérison de 96%, rarement atteint dans l’histoire mondiale de la recherche contre le cancer, quel qu’il soit.
Survenant après une grossesse, généralement une grossesse môlaire mais parfois aussi après un accouchement, les TTG constituent la forme maligne des maladies trophoblastiques gestationnelles. Considérées comme des cancers rares, avec une estimation d’1 cas pour 10 000 grossesses, ces tumeurs trophoblastiques gestationnelles, pas toujours bien détectées, possèdent un fort potentiel métastatique et sont potentiellement mortelles en l’absence de traitement. Traditionnellement, ce dernier consiste en une chimiothérapie plus ou moins agressive, distinguant deux catégories de TTG : à haut risque ou à bas risque de résistance à la chimiothérapie. Cette dernière catégorie représente 80% de l’ensemble des tumeurs trophoblastiques gestationnelles.
Combiner, pour la première fois, immunothérapie et chimiothérapie
C’est à cette catégorie que se sont intéressés les Professeurs Benoît You et Pierre-Adrien Bolze, tous deux membres du Centre de référence des maladies trophoblastiques, lieu unique en France qui pilote depuis 1999 le suivi de toutes les patientes touchées par des maladies trophoblastiques gestationnelles, dont celles atteintes de TTG, se développant au décours ou pendant une grossesse et apparentées à une forme de « cancer de la grossesse ».
« En tant qu’oncologue médical, je donne des avis sur la chimiothérapie pour ces maladies et je suis aussi responsable du CLIP2 des HCL, centre d’essais cliniques de phases précoces labellisé par l’Institut national du Cancer. Par le passé, nous avons eu l’opportunité d’évaluer l’efficacité d’options thérapeutiques innovantes, afin de faire bénéficier les patientes de traitements modernes.Nous avions notamment travaillé sur un traitement contre les TTG résistantes à la chimiothérapie. Notre étude clinique inédite, TROPHIMMUN, avait montré l’efficacité de l’immunothérapie, via un anticorps, l’avelumab. A la suite de ces résultats favorables, notre intuition était que cette immunothérapie pouvait aussi fonctionner avant l’émergence de la résistance sur les TTG à bas risque, en complément de la chimiothérapie classique » , relate le Pr Benoit YOU.
26 patientes recrutées dans la France entière
En avril 2020, l’oncologue et le Pr Bolze lancent donc l’étude TROPHAMET avec l’objectif d’observer les effets de l’association entre immunothérapie (via la diffusion d’avelumab en intraveineux) et chimiothérapie (via l’injection en intramusculaire dau médicament méthotrexate, habituellement utilisé). « Avec le méthotrexate seul, le taux de guérison des TTG à bas risque était d’environ 70%. L’objectif était de dépasser cela » , souligne le Pr BOLZE.
Dans un premier temps, les deux médecins recrutent six patientes afin de vérifier que les deux thérapies, immuno et chimio, peuvent être combinées, ce qui n’avait jamais été réalisé auparavant. Cette première phase de sécurité validée, ils se mettent en quête d’un plus grand nombre de patientes pour déclencher la phase II, l’étude clinique à proprement parler. Entre fin 2020 et fin 2023, 26 patientes volontaires sont enrôlées dans neuf établissements de santé français (à Lyon, Paris, Lille, Rennes, Caen, Bordeaux, Toulouse, Marseille, Nice), tous affiliés au réseau du Centre de référence des maladies trophoblastiques de Lyon Sud et spécialisés dans les essais cliniques de phase précoce en gynécologie (certains étant aussi CLIP2) -« Sans cette coordination unique au monde dans le suivi des patientes atteintes de TTG offerte par le Centre Français de Référence, cette étude n’aurait jamais pu être menée » , affirme le Pr Jean Pierre LOTZ, responsable du centre investigateur parisien (Hôpital Tenon, APHP).
« Nous ne sommes plus très loin de l’éradication totale »
Savamment élaborée, la double-thérapie mise en place auprès de chaque patiente est méthodique : une injection de méthotrexate un jour sur deux pendant une semaine, répétée de cette manière toutes les deux semaines, et, au premier jour de chimio, 1 injection d’avelumab (toutes les deux semaines, donc). Ensuite, le taux de hCG (hormone chorionique gonadotrope, produite au cours de la grossesse) est surveillé chaque semaine. « Tant que cette hormone est présente à des taux anormaux, cela indique que la maladie est active. Dès que le taux se normalise, on repart sur trois dernières cures, donc six semaines, puis on arrête tous les traitements » , décrit l’oncologue.
En mai 2024, après l’arrêt des traitements de la 26e et dernière patiente recrutée pour l’étude, Benoît You et Pierre-Adrien Bolze peuvent dresser le bilan de TROPHAMET. « Initialement, nous espérions monter à 85% de guérison, soit 22 patientes. Finalement, nous sommes arrivés à guérir totalement 25 de nos 26 patientes, soit 96% ! En considérant que nous étions parvenus à guérir une patiente sur deux atteintes de TTG résistantes à la chimiothérapie avec TROPHIMMUN, cela signifie que nous ne sommes plus très loin de l’éradication totale de l’intégralité des tumeurs trophoblastiques gestationnelles. C’est une avancée considérable, certainement la plus importante des 15 dernières années concernant ce type de pathologies » , se félicite le Pr Bolze.
La rédaction avec les HCL
Les maladies trophoblastiques gestationnelles, c’est quoi ?
Prenant naissance dans les cellules qui forment le placenta durant la grossesse, les maladies trophoblastiques gestationnelles regroupent un large spectre de pathologies bénignes ou malignes qui débutent dans l’utérus.
La forme la plus fréquente (1 grossesse pour 1000 en France) est la môle hydatiforme. Elle est initialement bénigne et ressemble à une grossesse débutante, mais l’embryon ne se développe pas, seul le placenta prolifère. Dans 20% des cas, elle se transforme en tumeur trophoblastique gestationnelle (TTG) dite à « bas risque », souvent métastatique et potentiellement mortelle. Plus rarement, une TTG peut se développer après un accouchement normal et elle est généralement classée en » haut risque » .
C’est notamment pour la prise en charge de ces TTG, affections rares, peu connues des médecins et souvent mal diagnostiquées, qu’a été créé, en 1999, le Centre de référence des maladies trophoblastiques, à l’hôpital Lyon Sud par le Pr Golfier, labélisé Centre Tumeurs Rares par l’Institut National du Cancer. Unique en France, il réunit des praticiens de diverses disciplines (gynécologues-obstétriciens, oncologues, radiologues, anatomopathologistes et biologistes), dont la collaboration a permis de nombreuses avancées significatives et un leadership international au cours des 25 dernières années avec près de 15 0000 patientes enregistrées à ce jour.