Jeudi 14 janvier 2016, un accident clinique inattendu va bouleverser le grand public et le monde de la recherche biomédicale. Au cours d’un essai de phase 1 conduit par l’entreprise de recherche BIOTRIAL de Rennes, six volontaires sains, des hommes âgés de 28 à 49 ans, ont été hospitalisés. L’un d’entre eux qui se trouvait en état de mort cérébrale est décédé le 17 janvier, les 5 autres ont été hospitalisés dans le service neurologie au CHU de Rennes. Les jours suivants leur état de santé s’est amélioré et le 21 janvier, les 5 patients avaient quitté le CHU. Trois étaient accueillis dans des établissements proches de leur domicile
Le 26 janvier, une seule personne restait hospitalisé dans un établissement proche de son domicile "en raison d’un événement intercurrent " annonçait le CHU de Rennes dans son 7ème bulletin de santé.
Le futur médicament en question, le BIA 10-2474, est un antalgique expérimental. Les victimes l’avaient pris de manière répétée à partir du 7 janvier. Les premiers symptômes remontent au dimanche 10 janvier.
L’essai a été interrompu le 11 janvier. L’Agence du médicament a été informée jeudi 14 janvier. La ministre aurait préféré une alerte plus rapide.
A ce jour, 90 personnes ont reçu la molécule à des doses variables : les 6 personnes hospitalisées et 84 autres volontaires. Ces derniers ont été contactés par le CHU de Rennes, 44 d’entre eux ont pu bénéficier d’un examen neurologique et d’une IRM cérébrale. Les anomalies cliniques et radiologiques présentes chez les patients hospitalisés n’ont pas été retrouvées. 23 volontaires seront vus en rendez-vous au CHU. 16 vont bénéficier des mêmes examens dans des établissements proches de leur domicile en coordination avec le service de neurologie du CHU.
Tous les médias ont couvert le drame et repris les propos que Marisol Touraine a tenus lors de sa conférence de presse du 15 janvier. La ministre est revenue sur la chronologie des faits. La société BIOTRIAL « a déposé le 30 avril 2015 un dossier d’essai clinique de Phase 1 pour une nouvelle molécule développée par le laboratoire portugais BIAL. Cette molécule vise à traiter les troubles de l’humeur et de l’anxiété, et les troubles moteurs liés à des maladies neurodégénératives. » L’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a autorisé l’essai clinique le 26 juin 2015, conformément à la procédure en vigueur*. L’essai a démarré le 9 juillet 2015 dans les locaux de BIOTRIAL. Marisol Touraine a également souligné que, contrairement à ce qui était écrit," ce médicament ne contient pas de cannabis et n’en est pas non plus un dérivé. Il agit sur les systèmes naturels qui permettent de lutter contre la douleur, c’est ce qu’on appelle le système endocannabinoïde."
La plupart des médias ont détaillé les procédures réglementaires appliquées pour tout étude clinique et rappelé que la phase I marque le début de l’essai sur l’homme. Elle arrive après des études de toxicité sur les animaux qui peuvent durer plusieurs années. La phase 1** ne peut démarrer qu’après autorisation de l’agence du médicament, ou pour un essai multicentrique européen, de l’agence européenne et du comité de protection des personnes. Ces instances évaluent le bien-fondé de l’étude, sa nature éthique, sa sécurité et l’information au patient.
Suite à l’accident, trois enquêtes ont été diligentées Sur le plan judiciaire, le pôle de santé publique du parquet de Paris a ouvert vendredi une enquête de flagrance pour blessures involontaires supérieures à trois mois. Cette enquête a été confiée à la direction interrégionale de la police judiciaire (DIPJ) de Rennes et à un service de gendarmerie spécialisé dans la santé (Oclaesp), précise les médias du 15 janvier. "Il s’agit de comprendre ce qui c’est passé, si l’accident est dû une erreur de procédure dans l’essai ou bien à la molécule qui était testée" note l’AFP.
Indépendamment de la procédure judiciaire, deux enquêtes ont été diligentées au Ministère de la santé. Une de l’agence nationale de sécurité du médicament, l’autre de l’inspection générale des affaires sociales.
Un pré-rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) sur l’accident doit être remis à la ministre de la santé, lundi 1er février.
Essais cliniques : 12 229 volontaires sains en France
Le Journal du dimanche du 24 janvier couvre les obsèques du patient décédé et revient sur les motivations des personnes qui se portent volontaires pour des essais cliniques. L’envoyée spéciale, Juliette Demey, s’intéresse au montant des indemnités qu’ils perçoivent allant de 400 à 4 500 € annuels non imposables – en l’occurrence 1 900€ pour l’essai de BIOTRIAL. Ces sommes représentent un argument de poids pour les 12 229 Français en quête de revenus complémentaires et inscrits au fichier national des volontaires de la recherche médicale. Pour Yannick Bardie, expert en essais cliniques et enseignant à la faculté de Montpellier, il s’agit de personnes « potentiellement "vulnérables", "La crise peut entraîner certaines personnes à minimiser le risque qu’elles prennent. Cette vulnérabilité est un invariant de la recherche depuis l’Antiquité. Pasteur voulait déjà tester des vaccins sur des condamnés à mort au Brésil… Aujourd’hui, la loi atténue cela. » Malgré un dispositif légal et réglementaire exigeant, le spécialiste reste très critique. Il estime que l’essai clinique demeure « une pratique dangereuse, inéthique par nature, et aux limites du droit. »
Comprendre d’où vient l’erreur
L’essai conduit par la société BIOTRIAL est un essai dit d’escalade de doses. « Dans la première partie, chaque sujet devait recevoir une dose unique. Il était prévu huit paliers de dose, avec, à chaque palier, six sujets testant la molécule, auxquels s’ajoutaient deux volontaires recevant un placebo. » précisait Anne Jouan dans le Figaro du 21 janvier qui a publié en exclusivité le protocole de l’essai clinique et l’a soumis à trois experts. Ils s’interrogent sur la métabolisation de la molécule « A-t-elle été suffisamment étudiée en préclinique afin de déterminer s’il n’y a pas eu une accumulation importante qui pourrait avoir des effets secondaires non pas liés à la dose du jour mais au cumul des doses pendant plusieurs jours d’affilée ? »
Les réactions : un accident qui entache une démarche scientifique indispensable au progrès de la médecine
La communauté scientifique est unanime, cet accident ne doit pas remettre en cause les essais thérapeutiques. Le tour dramatique pris par l’essai thérapeutique de BIOTRIAL est "véritablement inédit et inattendu", selon François Chast. Sur Europe Midi, le chef du service de pharmacie clinique du groupe hospitalier Cochin-Hôtel-Dieu. "S’il y a eu un manquement ou une carence, il faudra sûrement renforcer les contrôles et verrouiller la procédure mais on ne peut pas le dire tant qu’on n’a pas compris." déclare à l’antenne d’Europe 1, le 15 janvier le professeur Jean-François Bergman, chef du service de médecine interne à l’hôpital Lariboisière de Paris et ancien vice-président de la commission des autorisations de mise sur le marché de l’Agence du médicament
Pour Claire Le Jeunne, professeur de thérapeutique à la faculté de Paris Descartes, chef du service de médecine interne à l’hôpital Cochin, "Il existe énormément d’essais thérapeutiques, tout le temps, il faut bien expliquer et ne pas dissuader les volontaires sains qui font avancer la science"
Rodolphe Bourret, directeur général par intérim du CHU de Montpellier, responsable de la recherche et de l’innovation de l’établissement rappelle les enjeux de la recherche clinique dans une tribune publiée sur RESEAU CHU du 17 janvier : «Passage obligatoire pour passer de l’expérimentation animale à l’homme, elle représente une source de progrès thérapeutiques majeurs que les accidents ne doivent pas faire oublier ». En France, la totalité des essais cliniques a permis à 11 349 patients d’accéder plus tôt aux nouveaux traitements. Cette activité représente 13 000 emplois privés en 2013*** et 10 000 dans le public (chefs de projets, Techniciens d’essais cliniques et attachés de recherche clinique) – hors médecins investigateurs****.
Le Pr Dubray, responsable du Centre d’investigation clinique (CIC) de Clermont-Ferrand espère aussi que le dramatique accident de Rennes "ne remettra pas en cause brutalement la poursuite des essais cliniques. " Il pense que la sécurité sera accrue « Avec le risque d’alourdir le système. Déjà, nous faisons deux fois moins d’études qu’il y a dix ans, parce que les procédures deviennent plus compliquées, que la paperasse augmente. Mais cela fait partie de notre mission : nos deux règles principales sont la transparence, avec des patients qui doivent être informés, notamment des risques encourus, mais également la sécurité de ces patients » confie-t-il à La Montagne le 25/01/16
Même analyse de la part d’Yves Alamercery, membre du Comité Directeur de l’association représentant les entreprises de la recherche clinique (AFCROs) "qui ne voit pas de raison de remettre en cause les études cliniques dont les protocoles sont déjà rigoureux. Et jusqu’à maintenant il n’y avait pas eu de souci en France." souligne-t-il
Marie-Georges Fayn
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Relay H, un réseau très hospitalier |
*L’ANSM autorise en moyenne chaque année près de 1 000 essais sur les médicaments (821 en 2014, 899 en 2013)
**Les essais cliniques qui portent sur les médicaments ont pour objectif d’établir ou de vérifier des données :
– pharmacocinétiques (modalités de l’absorption, de la distribution, du métabolisme et de l’excrétion du médicament) ;
– pharmacodynamiques (mécanisme d’action du médicament notamment) ;
– thérapeutiques (efficacité et tolérance).
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