La télédermatologie s’affirme comme une réponse adaptée aux besoins sanitaires des détenus alors même que les autorisations de sortie pour raison médicale diminuent et que cette spécialité connaît une pénurie de praticiens. Expérimentée depuis deux ans et demi dans une prison d’Ile-de-France, la téléconsultaton est assurée par le Dr Fabien Guibal exerçant au sein du service du Pr Martine Bagot à l’Hôpital Saint-Louis (AP-HP). Au total 460 patients détenus ont bénéficié de l’expertise à distance du dermatologue. Aussi efficace que la dermatologie au contact du malade, la télédermatologie n’a induit ni perte de chance ni perte de qualité du diagnostic.
Préalable obligatoire à toute téléconsultation : l’accord des patients. L’examen se déroule de la manière suivante : les internistes formés à cette nouvelle forme d’exercice médical prennent les photos de lésions dermatologiques avec un appareil numérique reflex. Ils vérifient la qualité des prises de vue et les adressent au dermatologue accompagnées d’un email où le praticien décrit l’essentiel de l’histoire du patient. Si cela s’avère nécessaire d’autres photos seront prises et des examens complémentaires effectués comme une biopsie, la recherche d’infection… Pour des raisons de créneaux horaires, le diagnostic est fait en temps différé dans un délai maximum de 48h ouvrables.
Contrainte importante : la sécurisation des données puisqu’il faut absolument respecter le secret médical Les informations et images passent par un réseau sécurisé. Les données sont anonymes, les photos ne montrent pas les visages sauf obligation médicale, etc.
En prison comme ailleurs, la demande en dermatologie est forte
Elle représente 10 % de l’activité d’un médecin généraliste. Les patients détenus sont anxieux d’où la très grande attention qu’ils portent à la moindre modification cutanée. Il y a beaucoup de problèmes d’infections sexuellement transmissibles (IST), et les mêmes problèmes que le reste de la population : acné, psoriasis, eczéma, verrues, mais aussi des cancers parmi les plus âgés, des maladies auto-immunes… Un avis est sollicité pour douze à quinze patients par semaine. Mais en prison, il peut y avoir des demandes qui visent à obtenir de meilleures conditions de détention ; l’exercice est donc particulier pour le dermatologue.
Perspectives de développement
Avec la généralisation de la télémédecine, le principe va s’étendre aux services hospitaliers standards. « La dermatologie est une tête de pont pour cette activité car l’image est primordiale, et ce qui est faisable en dermatologie l’est aussi dans d’autres spécialités remarque le Dr Fabien Guibal. La télémédecine va permettre de lutter contre la désertification médicale, au fin fond de l’Ardèche ou en région parisienne, pour un coût devenu négligeable. « En milieu carcéral, Il y a des contraintes administratives propres car les prisons dépendent des hôpitaux de leur zone. Idéalement, même si la distance n’est plus un problème, cette télémédecine doit se faire au niveau régional ; il faut conserver une proximité au cas où un patient détenu doit être pris en charge à l’hôpital. Le maillage de télémédecine permettra d’avoir accès à une expertise au sens large, à une compétence non disponible localement, mais pas trop éloignée tout de même sans quoi elle ne pourra pas aller jusqu’au bout de son expertise. »
Et si au plan médical l’organisation et la répartition des responsabilités est clairement définie, des progrès restent à faire sur le plan financier, les « télémédecins » attendent une « lettre clé » pour que l’Assurance-maladie valorise l’acte et lui donne une « existence ».
La télémédecine fluidifie les organisations ; elle s’adapte au quotidien et aux contraintes des médecins, des patients, des paramédicaux, de l’administration, etc. « A terme, nous pouvons imaginer un travail en temps réel avec une liste de médecins disponibles à des créneaux horaires bien définis. » envisage le Dr Guibal. C’est une question d’organisation.
Remerciements
L’expérimentation de la téléconsultation dermatologique n’aurait pu voir le jour sans le soutien du Dr Catherine Fac, responsable de l’unité de consultations et de soins ambulatoires du service de médecine interne de l’hôpital Kremlin-Bicêtre. Les consultations ont également bénéficié de l’appui et de l’expertise des docteurs Christelle Chantalat et Anne Bambe
D’après un article de Jocelyn Morrisson pour le webzine de l’AP-HP