Si la chirurgie de l’obésité, notamment le « By Pass » gastrique, entraîne une perte de poids durable aux répercussions certaines et visibles sur la vie quotidienne des personnes obèses, cette intervention peut aussi les remettre en question au plus profond d’elles-mêmes, puisqu’elle va d’une part les changer physiquement, et d’autre part mettre un terme à un comportement frénétique vis-à-vis de la nourriture. Les équipes du CHU de Nancy ont anticipé depuis les années 2000 la nécessité de prendre en charge les patients de façon pluridisciplinaire et prévenir ainsi tout risque de rechute ou de compensation du symptôme de l’addiction alimentaire par un autre tout aussi dévastateur. Une problématique abordée lors de la 1re Journée Multidisciplinaire de la Chirurgie de l’Obésité de l’Interrégion Est organisée le 30 novembre 2012 à Nancy par le CHU. Rencontre avec le Pr Didier Quilliot du service Diabétologie – Maladies Métaboliques – Nutrition et le Dr Pierrette Witkowski du service Psychiatrie et psychologie clinique qui accompagnent ces patients en quête d’équilibre.
Plus de 200 gastroplasties verticales entre 1997 et 2005, une centaine d’interventions diverses par an jusqu’en 2010, plus de 200 « By Pass » en 2011 et autour de 300 prévus cette année : l’Unité Multidisciplinaire de Chirurgie de l’Obésité (UMCO) a vu les demandes de rendez-vous progresser de façon exponentielle ces dernières années. Cette réalité coïncide avec l’augmentation de la fréquence de l’obésité dans la population et avec les très bons résultats obtenus par les spécialistes nancéiens dans la prise en charge pluridisciplinaire des patients.
Leurs atouts : une préparation complète et sérieuse et un suivi assuré par une équipe experte et structurée composée de chirurgiens, nutritionnistes, psychologues et d’une psychiatre. Ces experts travaillaient en partenariat bien avant que la Haute Autorité de Santé ne le recommande officiellement en 2009 et n’en fasse une condition pour obtenir le remboursement de l’intervention.
Concrètement, tout commence par une rencontre collective de 2 heures rassemblant patients et professionnels qui donnent des informations sur la chirurgie, les résultats, les bénéfices, les risques de l’intervention. Sont aussi abordées les questions des comportements alimentaires et des sujets qui permettent aux futurs patients de s’exprimer. Après une consultation individuelle approfondie avec une diététicienne, ils sont invités à suivre une préparation par groupes de travail sur 4 thématiques bien précises ; une forme de thérapie de groupe sur les attentes de la chirurgie, les comportements alimentaires, l’image du corps et les a priori alimentaires. « Même si parfois ils viennent à ces séances un peu à reculons, dans la majorité des cas, ils en ressortent satisfaits » commente le Pr Quilliot. « C’est au cours de ces séances que nous pouvons commencer à repérer les patients qui ont besoin d’un travail de psychothérapie plus poussé et nous essayons alors de les convaincre. »
Plusieurs comportements se dessinent : soit le patient arrive par lui-même à faire émerger de son propre parcours de vie, l’événement, le traumatisme qui a modifié son comportement alimentaire jusqu’à le rendre malade physiquement. Si ce n’est pas le cas, le travail collectif sera l’occasion pour les spécialistes de l’alerter sur cette question, en lui précisant bien que, sans ce passage par une psychothérapie, il pourra se voir refuser l’accès à l’intervention. « Si les patients ne prennent pas conscience de cette dimension psychiatrique dans leur comportement, une fois l’opération réalisée, ils risquent de tomber dans une autre addiction (jeu, achat, sexe, drogue…) et ce, en quelques mois seulement. Dès que la vie va les confronter à des événements leur renvoyant une image d’eux-mêmes négative, ils se retourneront vers une conduite autodestructrice avec un risque de dépression » explique le Dr Witkowski. « Perdre du poids, c’est changer les repères et les regards des autres sur soi. Ce brouillage, cette nouvelle donne, peut provoquer un malaise psychologique qui, s’il n’est pas anticipé, aura de graves conséquences. Ils pourraient donc être gagnants d’un côté et perdants de l’autre. Notre rôle est de les aider le plus possible à gagner sur les deux plans. »
L’enjeu est de taille puisque des études récentes montrent que si l’espérance de vie se trouve améliorée par la chirurgie, la mortalité par mort violente, suicide notamment, est plus importante après l’intervention, et s’observe plus chez les personnes qui n’ont pas bénéficié d’une prise en charge psychothérapique. Autre enjeu : éviter que la reprise pondérale qui est fréquente dans les dix ou quinze années suivant l’intervention (environ ¼ du poids perdu), ne soit très mal vécue, entraînant une altération de la qualité de vie, synonyme de la réapparition de toutes les angoisses.
Ultime rendez-vous avant l’intervention, et après les 3 jours de bilan somatique fait en hospitalisation, une rencontre collective avec les professionnels et d’anciens patients pour faire la synthèse de cette préparation, avant le passage devant la psychiatre qui décide de la poursuite ou non du parcours. « Cette expertise n’est pas un examen de passage ! » précise le Dr Witkowski. « Elle est située en bout de parcours parce qu’elle me permet d’évaluer le chemin parcouru par ceux qui ont déjà démarré une psychothérapie, ceux qui s’étaient engagés à le faire et n’ont pas donné suite, ceux qui ont une vision très consumériste du soin et qui vienne « acheter » une opération sans se sentir concerné par la démarche globale. Mon évaluation se base aussi sur les capacités du patient à appliquer dans le futur les recommandations nécessaires à son suivi. »
Sur l’ensemble des patients reçus dans l’unité du CHU de Nancy, environ 60% sont victimes de pulsions de «remplissage», ce que les spécialistes qualifient aussi d’hyperphagie compulsive ou encore de frénésie alimentaire. Concrètement quand le patient ne va pas bien, il va se « remplir » de nourriture qu’il apprécie (1re différence avec la boulimie) en moins de 2h jusqu’à avoir mal à l’estomac. Alors seulement, il s’arrêtera de manger pour se retrouver dans un état où vont se mélanger l’apaisement et la culpabilité sans pour autant régurgiter les aliments (2e différence avec la boulimie). « Il y a des choses qui émergent par rapport à notre compréhension de ce qui se passe » développe Pierrette Witkowski, « beaucoup de patientes que nous recevons ont vécu des traumatismes comme la maltraitance, la carence affective mais aussi des traumatismes sexuels pour 15% d’entre elles. Alors que normalement la conséquence admise de cette réalité pour un individu est ce que l’on appelle le syndrome de stress post traumatique, nous nous apercevons que dans la population que nous suivons, il n’existe pas ! La question que nous nous posons donc actuellement est : est-ce que les compulsions alimentaires ne protégeraient pas du syndrome de stress post traumatique ?»
Avec la prise en charge pluridisciplinaire, les chirurgiens de l’équipe ont également développé cette connaissance qui leur permet de repérer, dès la première rencontre, les patients potentiellement à risques psychologiques, permettant ainsi une prévention améliorée.
Une fois le feu vert donné par la psychiatre en bout de parcours et l’intervention réalisée, le patient continue à être suivi de près. Dans les 15 jours, c’est par les nutritionnistes afin de mettre en place des traitements nécessaires pour endiguer les risques de carences vitaminiques comme la B12 par exemple, qu’il devra prendre à vie. De même, le chirurgien le rencontre 6 semaines après l’intervention pour s’assurer de son état post opératoire.
Enfin, certains d’entre eux sont vus par un binôme psychologue/nutritionniste sur le thème de l’image de soi : il leur est demandé de se photographier régulièrement et de mettre des mots sur leur évolution. Contrairement à ce que l’on peut croire, l’amaigrissement n’est pas forcément synonyme de « bonheur » pour le patient : « L’image du corps a une fonction importante. La façon dont les gens se voient est très variable. » explique le Dr Witkowski. « Une jeune fille abusée par exemple qui commence à manger de façon démesurée, peut avoir pour objectif inconscient de ne plus être perçue comme « désirable ». Dans le cas où l’amaigrissement survient avant que le psychotraumatisme ne soit surmonté, le fait d’être à nouveau perçue comme séduisante dans le regard des autres peut être vécu de façon terrifiante, du fait d’une réactivation des angoisses du passé. » « Et puis, complète le Pr Quilliot, il y a aussi les patients qui finalement pensaient qu’en maigrissant cela allait changer leur vie. Le « By Pass » comme une sorte de « baguette magique » pour résoudre leurs problèmes existentiels, leur crise de couple, la fin du chômage… Progressivement, ils se rendent compte que ce n’est pas si simple. Ils surinvestissent l’intervention médicale et sont les plus déçus. »
Complexité donc à tous les niveaux pour les professionnels de l’Unité Multidisciplinaire de Chirurgie de l’Obésité du CHU de Nancy, dont l’expérience les autorise à organiser des formations et des communications régulières et internationales sur l’état de leurs connaissances. Leur complémentarité renforce leur efficacité auprès de patients qu’il est nécessaire d’accompagner dans leur recherche du mieux être.
Concours de l’internat : la Conférence des doyens de médecine défend une réforme “favorable”
Dans un contexte de polémique suscitée par les nouvelles modalités de choix de spécialités pour les internes en médecine, qui dénoncent une forme d’injustice, la Conférence des doyens de médecine a pris la plume. Dans un communiqué publié le 28 août, celle-ci tente de rassurer en affirmant que “l’équité est bien respectée” et que la baisse actuelle du nombre d’internes n’empêchera pas le fonctionnement global de l’hôpital “d’être bien assuré”.