Désormais, la rue qui mène au Centre Esquirol, établissement du CHRU de Caen spécialisé dans la psychiatrie porte le nom de l’éminent professeur qui dès les années 1980 s’est érigé contre le tout médicament « le tout biologique, le tout symptomatique et le tout pharmacologique ». Ardent défenseur d’une psychiatrie humaine, Edouard Zarifian a replacé l’écoute du sujet et la reconnaissance de sa parole au centre du soin. L’hommage officiel lui a été rendu le 13 novembre 2008 par les représentants du CHU : Joël Martinez, Directeur Général et le Pr Henri Bensadoun, Président de la commission Médicale d’établissement, des municipalités : Philippe Duron, Député-maire de Caen et Rodolphe Thomas, Maire d’Hérouville Saint-Clair et de Michel Declomesnil, Président du Comité de soutien des amis d’Edouard Zarifian. La cérémonie s’est déroulée en présence de son épouse et de ses enfants.
Edouard Zarifian n’a eu de cesse de remettre en question sa pratique et de défricher une voie nouvelle pour la psychiatrie moderne. De même le malade en souffrance psychique qui s’engage volontairement dans la rue Edouard Zarifian prend un itinéraire douloureux mais peut-être salvateur. Au bout de la route il trouvera un accompagnement thérapeutique pour l’aider à « mettre en mots sa douleur », la situer dans son existence et lui donner un sens. De cette rencontre fondée sur l’échange naîtra une relation singulière : empathie essentielle à toute progression sur le chemin de la guérison.
Verbatim
Nous avons sélectionné quelques citations du Pr Edouard Zarifian extraites des documents transmis avec le dossier de presse. 20 ans après ses propos restent d’une telle acuité que l’on regrette qu’ils n’aient pas été mieux entendus.
« Je ne conteste pas à la psychiatrie d’être une discipline médicale – il faut bien apprendre à manipuler des médicaments, les posologies, etc- mais il ne faut jamais oublier qu’elle constitue une médecine différente des autres : elle ne concerne pas un organe mais la totalité d’un sujet. Une « médecine du sujet souffrant » comme disait Henri Ey, suppose une compétence psychologique, sociologique et culturelle »
L’humanité – 26 septembre 2005 – p 23
« Notre but est moins d’expliquer, au sens scientifique du terme, que de comprendre ce qu’une souffrance psychique individuelle veut dire en essayant de se faire entendre.(…) L’élimination du seul symptôme est absurde et ne conduit qu’à la récidive sans l’élucidation du sens et sans le changement du contexte. »
Actualités médicales internationales –Psychiatrie – décembre 1996 p 3017
Parfois, hélas ! le symptôme est récalcitrant. Il ne veut rien entendre et ne se laisse ni séduire, ni réduire. Il veut continuer à exister et se refuse à disparaître. En un mot il résiste ! (…) On augmente les posologies jusqu’à des sommets inouïs, on additionne les substances en listes vertigineuses, on les change, on les modifie, on les mélange et surtout on en prolonge la durée en les renouvelant régulièrement. Alors, de guerre lasse, on qualifie le symptôme de chronique ce qui lui confère à jamais la marque de l’infamie. Cela évite de se poser des questions bêtes. Pourquoi résistait-il ? à qui ? que voulait-il dire en résistant ? Et puis, la question la plus bête d’entre toutes, celle que l’on pourrait éventuellement poser au sujet qui exprime le symptôme : « Et vous – tiens vous êtes encore là ? – qu’en pensez-vous ? »
Le déni du psychisme par la psychiatrie contemporaine in Psychiatrie Française, 1999- janvier-mars – p9
« Celui qui ne dispose que de la science conventionnelle et de ses diplômes n’est pas en mesure de supporter la mise en cause de soi-même dans la confrontation à la souffrance psychique intense de l’autre (…) C’est le moment de vérité »
« Retrouver le plaisir de la parole. Parlez pour exister, pour moins souffrir. Sachez parler d’amour, raconter des histoires, déclamer de la poésie. Parce que parler c’est toujours s’adresser à un autre et que l’on n’est pas humain quand il n’y a pas d’échange »
Extrait cité par Bernadette Conguet in Santé mentale mars 2005 n°96 – p19
« C’est le savoir du malade sur lui-même qui donne un sens au signe du symptôme. Sa dimension impalpable c’est le subjectif et le qualitatif, c’est-à-dire l’éprouvé et l’affect que seule peut appréhender la relation duelle. Elle se développe dans l‘empathie, l’intuition, le ressenti et le désir d’écouter pour entendre ce qui est réellement exprimé. Alors on peut s’autoriser à supprimer le symptôme, de surcroît, mais seulement après l’avoir déchiffré. La psychiatrie est un humanisme où s’équilibrent et se complètent, indissociables et intriqués, le relationnel et le technique.
« Les mots véhiculent le sens, le symbole et le mythe qui fondent l’être humain comme être de parole dans le monde du vivant. Chaque univers intérieur se construit, s’éprouve et s’exprime grâce aux mots pour le dire. C’est ainsi que de l’échange des subjectivités du soignant du soigné peut se constituer l’alchimie de la guérison. Les patients ne s’y trompent pas qui réclament maintenant – au-delà des soins techniques le droit de parler et d’être écoutés comme ce fut récemment le cas lors des « Etats généraux du cancer »
La parole perdue in Le carnet psy – n°42 – février 99 – p1
« Il reste beaucoup à faire dans l’articulation entre les secteurs libéraux, publics et associatifs pour que les patients perçoivent une harmonie et un lien entre les différents acteurs du système de soins »
Il y a deux psychiatrie in Le généraliste N° 1638 – vendredi 20 octobre 1995 –p56
« On naît homme, mais on devient humain. La nature a fait de nous une espèce parmi d’autres dans le règne du vivant. Notre psychisme constitue notre singularité parmi les autres hommes. Tous les cerveaux d’hommes se ressemblent, aucun psychisme humain n’est identique à un autre. Ce qui permet la naissance de notre psychisme, son développement au cours de la vie, ses luttes, ses souffrances et ses bonheurs, c’est la parole d’autres êtres humains. La parole peut sauver, elle peut soigner et elle peut tuer. La parole est un échange qui permet de donner et de recevoir. La souffrance psychique naît du déficit de parole dans une société individualiste en perte de solidarité où l’on a confondu le culte de l’individu et le respect de la singularité. La souffrance psychique se cultive dans la solitude. Pourrons-nous un jour retrouver la parole perdue ?
Conférence donnée le 12 avril 2005 au Foyer du théâtre de Caen à l’occasion de la sortie de son livre «Le goût de vivre » Retrouver la parole perdue aux Editions Odile Jacob – 2005
Vie et oeuvre d’Edouard Zarifian
Emporté par la maladie, le Professeur Edouard ZARIFIAN est décédé le 20 février 2007 à son domicile, à l’âge de 65 ans.
Interne des Hôpitaux de Paris de 1969 à 1973, il obtient la spécialité de neuropsychiatre en 1973. Après avoir exercé au Centre Hospitalier Sainte-Anne à Paris, il rejoint le Centre Hospitalier Universitaire de Clermont-Ferrand en 1981, en tant que Professeur des Universités et Praticien Hospitalier, puis le Centre Hospitalier Régional Universitaire de Caen en 1984.
D’abord orienté vers la psychiatrie biologique, dont il devint l’un des chefs de file, il se prononce à la fin des années 80 contre les excès de prescription de médicaments et pour une approche plus psychothérapique des soins. Il sera d’ailleurs chargé en 1995 par Simone VEIL, alors Ministre de la Santé, d’une mission sur la consommation des psychotropes par les français.
Au sein du CHRU de Caen, le Professeur Edouard ZARIFIAN remplit la triple mission de soin, de recherche et d’enseignement :
– Soin : Plaidant pour une psychiatrie plus humaine fondée sur l’écoute, il accorde une grande importance au contact avec le patient et instaure au sein de son service divers courants comme la psychanalyse, la thérapie familiale, l’hypnose…
– Recherche : Outre la psychiatrie biologique, il s’intéresse à l’imagerie cérébrale et à la génétique des maladies mentales. Il contribue notamment au montage final du centre Cycéron, crée une unité INSERM et le Groupement de Recherche Pharmacologique sur le Système Nerveux Central, grâce à un contrat de plan entre l’Etat et la Région.
– Enseignement : Lorsqu’en 2005, il cesse ses activités de praticien, il poursuit ses activités d’enseignement en devenant Professeur émérite de psychiatrie et de psychologie médicale.
Très engagé, Edouard ZARIFIAN, parallèlement à sa carrière hospitalière, travaille auprès du Ministère de la Santé, de 1978 à 2000, dans le cadre de l’évaluation du médicament et occupe également des postes à l’INSERM, au CNRS et à l’OMS.
Auteur de plus de 450 publications dans des revues scientifiques internationales et françaises, il crée “Actualités Médicales Internationales en psychiatrie” et en est le rédacteur en chef de 1988 à 1998. Passionné par le journalisme, il entre dans le domaine de la communication médicale grand public : il occupe le poste de rédacteur en chef du premier journal médical télévisé français, Médiscope (1970-1978), est responsable de la rubrique médicale du “Figaro” pendant 5 ans et correspondant du magazine “Le Point” (1975-1980).
Il est également en charge de la collection » Santé au quotidien » chez l’éditeur Odile JACOB.
Il publie plusieurs ouvrages plébiscités par le grand public :
– Les jardiniers de la folie, en 1988,
– Des paradis plein la tête, en 1994,
– Le prix du bien être : psychotropes et sociétés, en 1996,
– La force de guérir, en 1999,
– Le goût de vivre, en 2005,
– Bulle de champagne, en 2005.
Impliqué dans toutes ses activités, le Professeur Edouard ZARIFIAN se distingue comme brillant conférencier, bibliophile averti et grand mélomane. Il est aussi un fin gourmet et grand passionné d’oenologie comme en témoigne son dernier ouvrage. Il était membre de l’Institut Universitaire de la Vigne et du Vin (Université Bordeaux II).