Un début d’été marqué par l’annonce des grandes orientations de la future loi de santé. A la Une également la terrible controverse autour de l’acharnement thérapeutique sur Vincent Lambert, otage d’une surenchère judiciaire entre les membres de sa famille.
Le 19 juin 2014, Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales et de la Santé, présentait les orientations de la loi de santé. Son ambition, répondre à trois enjeux majeurs : l’allongement de la vie, le développement des maladies chroniques, la lutte contre les inégalités de santé… Une « réforme structurelle » dans un contexte de réduction des dépenses publiques de santé à hauteur de 10 milliards d’économies sur la période 2015-2017. Seules les grandes lignes ont été dévoilées, les détails seront connus en septembre lors de la présentation du texte en Conseil des ministres. Son examen au Parlement prévu début 2015. Que retiennent les médias ?
Confirmation de la généralisation du tiers payant pour tous d’ici 2017. « Les patients n’ont plus à faire l’avance de frais chez le médecin ». Alors que cette mesure est contestée par la Confédération des syndicats médicaux français (CSMF) qui y voit un risque « de transformer la carte vitale en carte de paiement (…)de déresponsabiliser les patients au regard du coût de leur santé, mais surtout de déprécier les actes médicaux devenus virtuellement « gratuits » propos cités dans la Tribune du 19 juin sous la plume de Fabien Piliu. Mêmes réserves soulevées dans le Parisien et le Figaro « La gratuité induit des comportements différents. Et je n’ai pas envie que mon acte n’ait aucune valeur. C’est une question de respect du médecin», explique ainsi Jean-Paul Ortiz, le président de la Confédération. Dans le Figaro, le responsable souligne le possible durcissement de cette position «Si la ministre nous impose la généralisation du tiers payant, nous entrerons en conflit ouvert». Quant à Jean-Paul Hamon, président de la Fédération des médecins de France, il dénonce dans le Monde du 23 juin, une décision dogmatique. « On marche sur la tête dans ce pays : la Sécurité sociale, qui devrait seulement gérer les remboursements, se pique de faire de la médecine, et les médecins doivent faire de l’administration. Ils n’ont plus le temps de soigner »
Marisol Touraine a assuré que cela ne changerait "en rien (…) la liberté du mode d’exercice.
Un numéro d’appel médical unique
Pour faciliter l’accès à un médecin en dehors des heures d’ouverture des cabinets, la ministre a annoncé qu’un numéro d’appel unique à trois chiffres – "facilement mémorisable" – serait mis en place "dans chaque département" afin de pallier l’inégal fonctionnement des permanences de soins. « Et même quand la permanence est bien organisée, les Français ne le savent pas», constate l’entourage de la ministre cité dans le Figaro du 19 juin qui précise également qu’ « En plus du numéro de téléphone à trois chiffres, un site internet sera lancé ». L’ensemble sera coordonné par les agences régionales de santé. Autre engagement : « tout patient, quels que soient son âge et sa pathologie, sortira dorénavant de l’hôpital avec une «lettre de liaison». Où sera écrit précisément quand il devra à nouveau consulter, qui et où… Une espèce de carnet de parcours de santé, qui existe déjà pour certains malades soignés pour un cancer, et qui devrait se généraliser. » ajoute Libération.
Parmi les autres annonces phares
La possibilité pour les patients victimes de dommages médicaux dus à leurs traitements de mener des actions de groupe, « Class action » à la française. Les demandes de réparation concernant un grand nombre de patients seront regroupées en une procédure, « comme dans les récentes affaires des prothèses PIP, du Mediator ou des pilules de troisième génération. » précise Piquemal dans Libération du 19 juin.
L’expérimentation des salles de shoot : La loi santé permettra de "définir le cadre de l’expérimentation de salles de consommation à moindre risque" pour les toxicomanes, a déclaré la ministre des Affaires sociales.
Un logo pour la qualité nutritionnelle. La ministre s’est déclarée favorable à la mise en place d’un "logo" pour informer les consommateurs de la qualité nutritionnelle des produits alimentaires industriels. Marisol Touraine a indiqué que "de nombreuses marques (lui) ont fait part de leur intérêt pour une telle démarche". Une disposition qui ne laisse pas indifférents les entreprises. Dans un communiqué l’Association nationale des industries alimentaires a réitéré sa « ferme opposition à la mise en place de tout dispositif simpliste et partiel visant à discriminer les produits par une couleur ou une note », tout en reconnaissant « qu’il est nécessaire de mieux informer le consommateur sur son alimentation ». reprend le Monde du 23 juin.
Dans son axe prévention et éducation, Marisol Touraine a aussi évoqué la mise en place d’un "parcours éducatif de santé" pour permettre "à tous les enfants, de la maternelle au lycée, d’acquérir des connaissances en santé et d’adopter des bons réflexes". La ministre souhaite que les enjeux de santé imprègnent le contenu de tous les enseignements. « Il est aussi question de faciliter l’accès à la pilule du lendemain dans les collèges-lycées, en enlevant la condition de «détresse» comme c’est le cas aujourd’hui. » souligne Libération. Et le Figaro note que les parents devront choisir à l’avenir un pour leur enfant de moins de 16 ans, qu’ils optent pour un généraliste ou pour un pédiatre.
La Tribune du 19 juin insiste sur la réorganisation du système hospitalier. Fabien Piliu rappelle que l’hôpital est sollicité pour le plan d’économies du gouvernement à hauteur de deux milliards d’euros pour la rationalisation des dépenses (achats, coopérations, …) et d’un milliard d’euros via des séjours raccourcis. Les changements porteront sur la modification de la gouvernance, la régulation des médecins mercenaires, la formation, la négociation et les conditions de travail. Sur ce point, le Figaro reprend le constat du député socialiste Olivier Véran qui dans un récent rapport dénonçait des rémunérations individuelles pouvant atteindre 15.000 euros pour certains praticiens ; la note du recours à l’intérim s’élève quant à elle à 500 millions d’euros par an pour les établissements de santé. La loi redéfinira aussi le principe de service public hospitalier et les modalités de participation du privé. Une mesure qualifiée de symbolique par Libération. Alors que le secteur privé s’inquiète de ne pas voir ses autorisations renouvelées s’il n’est pas reconnu "service public hospitalier"
Le pari de l’innovation – extrait du discours de Marisol Touraine
La France figure parmi les leaders mondiaux en recherche et l’innovation en santé, dans les biotechnologies, nanotechnologies, médecine personnalisée et prédictive, thérapie génique. « Les 98 premières mondiales signées par nos CHU y sont pour beaucoup. De même que les entreprises et les startups qui construisent, elles aussi, la France des technologies médicales. Le secteur de l’e-santé connaîtra à lui seul une croissance de 4% à 7% par an dans les prochaines années. Cette position, nous devons la consolider, car la concurrence internationale est vive. ».Parmi les mesures envisagées pour « garantir un écosystème favorable à l’innovation » la réduction pour les hôpitaux, des délais concernant les essais cliniques à promotion industrielle qui passeront de 18 mois à 2 mois et la généralisation du dispositif de la convention unique à l’ensemble des catégories d’établissements de santé.
En conclusion
Dans son décryptage publié le Monde du 23 juin, Pascale Santi insiste sur l’ampleur des mesures « Le champ d’application est vaste, ce qui pousse certains à considérer ce texte comme une loi « fourre-tout ». Par contre l’approche prévention a été bien perçue « L’action publique était jusqu’à présent principalement orientée vers la prise en charge et le soin, reléguant au second plan la dimension préventive » comme le soulignait un communiqué du Haut Conseil de la santé publique, qui salue la place faite à la prévention dans cette prochaine loi de santé » cite la journaliste.
Vincent Lambert ignore tout du débat de société dont il est devenu la figure emblématique
Le 24 juin 2014 au matin, le Conseil d’Etat juge légale « la décision médicale prise par le CHU de Reims de mettre fin aux traitements de Vincent Lambert, suivant l’avis du rapporteur public qui avait préconisé l’arrêt des soins vendredi 20 juin -c’est-à-dire l’arrêt de l’alimentation et l’hydratation artificielles accompagnée «d’une sédation profonde, en raison du principe de bienfaisance».
Une décision fondée sur le fait que le patient était maintenu "artificiellement" en vie, ce qui relevait d’une "obstination déraisonnable". Les journalistes ont fait état de ce refus d’acharnement thérapeutique et insisté sur le commentaire de Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil pour qui «l’état médical le plus grave, y compris la perte irréversible de toute conscience, ne peut jamais suffire à justifier un arrêt de traitement» ; le Conseil accordant «une attention toute particulière à la volonté du patient ». Or, avant que ne survienne son accident de la circulation qui depuis 6 ans a plongé ce jeune infirmier psychiatrique âgé de 32 ans dans un coma profond puis dans un cauma pauci-relationnel, Vincent Lambert avait manifesté son souhait de ne pas être artificiellement maintenu en vie. La presse nationale du 24 juin a réservé ses gros titres à la décision de la plus haute juridiction administrative française.
Renversement de situation quelques heures après quand, avant même d’avoir eu connaissance de cette décision, les parents de Vincent, Pierre et Viviane Lambert catholiques traditionalistes, en désaccord avec l’épouse de leur fils et plusieurs de ses frères et sœurs ont saisi en urgence la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) ; l’instance a demandé en urgence le maintien en vie de Vincent Lambert.
Cette question interpelle la société. Des sondages d’opinion ont été lancés par les instituts et les journaux pour connaître leur position des français sur l’euthanasie passive et active. Le 21 juin, une mission parlementaire a été confiée à Jean Leonetti (UMP) et Alain Claeys (PS) qui devraient émettre des propositions en vue d’une loi sur l’assistance médicalisée en fin de vie » un engagement du candidat Hollande réitéré par le président le 14 janvier 2014.
Marie-Georges Fayn
|
|
---|---|