Vincent Lambert : la Cour Européenne rend son arrêt mais le débat public n’est pas clos ; les polémiques reprennent avec plus de violence.
Vincent Lambert infirmier de 38 ans, tétraplégique suite à un accident de la route aura passé 7 années en coma végétatif. Dont 3 ans durant lesquels sa famille se sera déchirée sur son sort. Son maintien en vie est aujourd’hui l’affaire de juristes. En France ses parents ont épuisé tous les recours jusqu’au Conseil d’Etat (24 juin 2014) pour maintenir leur fils en vie contre l’avis de son épouse favorable à l’arrêt des traitements dans le respect de la volonté de son mari. Ils ont ensuite saisi la Cour Européenne des Droits de l’Homme qui a rendu son arrêt le 5 juin 2015 par 12 voix contre 5 « Vincent Lambert a le droit d’exercer son choix à mourir en refusant de consentir à un traitement ». Selon la juridiction européenne, une personne peut revendiquer ce droit à condition qu’une loi nationale le permette ».
Les juges de la Grande Chambre, formation solennelle de la Cour, ont dû arbitrer entre l’article 2 de la Convention, qui consacre « le droit de toute personne à la vie », et l’article 8, qui impose « le droit au respect de la vie privée et familiale », le droit de chacun à diriger sa vie. Et ils ont statué tout en reconnaissant la complexité de la situation qui touche à des questions médicales, juridiques et éthiques : « il n’est pas possible d’aller contre la volonté du patient. Parce que « la dignité et la liberté de l’homme sont l’essence même de la Convention européenne des droits de l’homme » ». explique Le Monde du 7-8 juin 2015. L’arrêt de la jurisprudence européenne est sans recours possible
Mais la presse a aussi été attentive au désaccord au sein de la cour : cinq juges se sont désolidarisés de cette décision, avec précise Delphine de Mallevoüe dans le Figaro du 7 juin « un argumentaire d’une rare sévérité à l’encontre de ce jugement mais aussi de la Cour elle-même, qu’ils désavouent désormais jusqu’à la légitimité de porter son nom ». Plusieurs journaux reprennent le texte de ces magistrats : «Après mûre réflexion, nous pensons que, à présent que tout a été dit et écrit dans cet arrêt, à présent que les distinctions juridiques les plus subtiles ont été établies et que les cheveux les plus fins ont été coupés en quatre, ce qui est proposé revient ni plus ni moins à dire qu’une personne lourdement handicapée, qui est dans l’incapacité de communiquer ses souhaits quant à son état actuel, peut, sur la base de plusieurs affirmations contestables, être privée de deux composants essentiels au maintien de la vie, à savoir la nourriture et l’eau, et que, de plus, la Convention est inopérante face à cette réalité ». Pour eux, la décision est non seulement « effrayante » mais équivaut aussi « à un pas en arrière dans le degré de protection que la Convention et la Cour ont jusqu’ici offerte aux personnes vulnérables ».
Le JDD du 6 juin a diffusé une vidéo de la mère de Vincent Lambert qui, au lendemain de la validation de l’arrêt des soins dispensés à son fils, veut continuer le combat juridique.
Plus de 2 500 publications sur les médias et sites en ligne durant le mois juin font de cette tragédie familiale, un drame à résonnance nationale. Et l’affaire ne s’arrête pas à la décision des juges de la Cour européenne. Le 9 juin, un ami d’enfance de Vincent Lambert diffusait une vidéo prise lors de sa visite « pour convaincre le public que Vincent Lambert réagit et qu’il n’est pas inconscient » explique-t-il. Cette vidéo reprise par «Famille Chrétienne», « BFMTV» a créé une nouvelle polémique dans les médias. Bernard Debré, député, s’est dit bouleversé et choqué par l’utilisation de ces images « Vincent Lambert n’est pas en fin de vie… Là il s’agit d’un homme qui n’a plus de vie » a-t-il expliqué sur iTélé, le 10 juin « Cette vidéo est inhumaine ». Dans les médias, il est question de manipulation dramatique d’une personne en état végétatif grave et irréversible. Des médecins témoignent et expliquent les comportements des patients en état de conscience minimale.
L’épouse de Vincent Lambert se dit triste et blessée. L’opinion publique touchée, dérangée par ce « viol de l’intimité » comme titre Libération du 10 juin sous la plume d’Eric Favereau témoigne, commente et réagit de manière partagée.
Le 23 juin, l’affaire est encore dans tous les esprits quand le Sénat rejette l’instauration d’un droit à un une sédation « profonde et continue jusqu’au décès » pour les patients atteints « d’une affection grave et incurable» Le texte est reparti à l’Assemblée Nationale avant de repasser au Sénat. Pendant ce temps, la famille de Vincent Lambert attend la décision du CHU de Reims.
Le 26 juin nouvelle polémique : le CHU de Reims est publiquement critiqué pour sa prise en charge d’une personne tétraplégique en état« état pauci-relationnel » (végétatif). Le détracteur est un médecin strasbourgeois, le Dr Bernard Jeanblanc, proche des parents de Vincent Lambert. Ses critiques sont émises dans le cadre d’une rencontre avec la presse, vidéo à l’appui.
Désormais, la bataille médiatique n’a plus de limite. C’est en direct et sur le web que se déroule un tout autre procès d’une rare violence, sans respect ni retenue où le public est odieusement pris à témoin.
En réaction à « l’horreur de la vidéo diffusée récemment », des membre du collectif des Cinquante cinq intitulé « laissons partir Vincent Lambert, OUI à la décision de la CEDH » composé d’anciens camarades de promotion de Vincent Lambert 96-99 et 97-2000 se sont réunis le 27 juin devant le CHU de Reims. Et l’AFP du 27/06/2015 cite leur porte-parole « Nous avons recueilli 13 témoignages parmi ses amis de l’époque qui relatent ses propos émis à l’occasion de stages sur la fin de vie, les soins palliatifs ou le grand handicap, où il affirme clairement que, si cela devait lui arriver, il préférerait partir » (…) « Cela fait mal au cœur de voir un ami dans cette situation irréversible. C’est vrai qu’on a envie, quand on lui pose une question, de lire une réponse dans ses yeux, mais il faut se rendre à l’évidence, les expertises ne laissent aucun doute sur son état ».
1ère implantation mondiale d’un sternum en céramique
L’actualité du mois de juin, c’est aussi une nouvelle enthousiasmante : la 1ère pose au monde d’un sternum complet en céramique biocompatible sur une femme de 55 ans. Cette patiente souffrait « d’un cancer du sternum « radio-induit » après avoir été traitée par radiothérapie pour un cancer du sein » précise notamment Sciences et Avenir du 24 juin. Cette prouesse réalisée par le chirurgien François Bertin du CHU de Limoges porte à 102 le nombre de premières mondiales signées par un centre hospitalier universitaire français. L’opération a eu lieu le 19 mars 2015 et l’information a été diffusée le 23 juin – A noter que le fabricant de la prothèse est I.CERAM, société limougeaude créée en 2006, et spécialisée dans les prothèses de hanche, du genou, de la cheville…
L’annonce a été reprise dans plus d’une trentaine de supports
AP-HP : une nouvelle feuille de route
18 juin, 4ème journée* de grève à l’AP-HP en moins d’un mois et un taux de grévistes à 12,47%, contre 21,5% la semaine d’avant, selon la direction de l’AP-HP. La tension se relâche doucement, peut être suite aux nouvelles dispositions prises avec la direction générale. « La veille, l’intersyndicale a été reçue pendant près de 7 heures par la direction, dont deux en présence de Martin Hirsch. » selon une information publiée le jour même sur le site le10.com. La direction a revu sa position et un nouveau calendrier est arrêté. En juin, juillet, septembre se déroulera une enquête sur les conditions de travail avec l’ouverture d' »espaces d’expression et de discussion, dans les pôles ou services volontaires » afin de dresser un état des lieux sur le terrain. Les syndicats seront associés à l’enquête et au diagnostic. Au vu des résultats un nouveau document sera élaboré et l’ouverture des négociations à l’automne. Enfin, aucune expérimentation n’aura lieu avant la rédaction d’un bilan présenté devant les instances du personnel. Selon le journal Jim du 23 juin « Ces discussions de terrain seront même élargies de façon à couvrir l’ensemble des problèmes quotidiens des agents». Une feuille de route à laquelle tous les syndicats n’adhèrent pas. Quant à la révision du temps de travail, ils précisent que « ce sera dans le cadre d’un donnant-donnant »
Petit retour en arrière sur le déroulé des événements. Le 19 mars dans une interview accordée aux Echos, Martin Hirsch, directeur général de l’AP-HP annonce qu’il entend renégocier l’accord sur les 35h. Au vu des mouvements soulevés par ce projet : 2 journées de grève en mai, les 21 et 28, largement suivies, il sera ensuite uniquement question de réorganisation du temps de travail, de réaménagement des horaires des 75.000 agents (hors médecins) des 38 hôpitaux de l’institution. L’idée était de faire passer les agents qui travaillent 7h36 ou 7h50 par semaine à 7h30 et ainsi de limiter les jours de RTT à 15 au lieu des 18 à 20 actuels. Et un premier calendrier précisait que les discussions devaient être achevées le 18 juin – Si tout cela est aujourd’hui renégocié, il n’en demeure pas moins que l’objectif reste inchangé : économiser entre 20 et 30 millions d’euros, tout en préservant 4.000 emplois sur 4 ans.
Et le 25 juin, les hospitaliers, les travailleurs sociaux et les agents des transports étaient à nouveau dans la rue (de même que taxis anti Uberpop). Une fronde collective pour défendre leur métier et s’opposer au diplôme unique qui nierait les spécificités du travail social, contester les économies planifiées (trois milliards d’euros d’ici à 2017 pour les hôpitaux) qui vont immanquablement déboucher sur « une révision de l’organisation du travail comme à l’AP-HP et pour les hôpitaux plus petits vont entraîner un regroupement de structures autour d’un même projet médical et une mutualisation des moyens ». résume l’AFP dans une dépêche du même jour reprise par les médias.
Liens
Listes des premières mondiales en CHU
*Compter les 21 et 28 mai et la journée du 11 juin qui a rassemblé près de 15.000 agents selon les syndicats, entre 3.500 et 3.700 de source policière, devant la direction avant de défiler vers l’Elysée.
Marie-Georges Fayn