David Gruson, fondateur d’Ethik IA et directeur du programme santé de la société de services numériques du Groupe Jouve et le Dr Louis Delamarre, médecin réanimateur au CHU de Toulouse ont participé au webinaire, organisé par le think tank #Leplusimportant (1), sur le sujet le 7 mai. Florilège de leurs analyses…
Les nouvelles technologies constituent-elles une aide ou une menace pour les professionnels de santé ? Si la crise sanitaire a accéléré le recours à ces outils, elle a aussi mis en valeur une gestion essentiellement humaine « dans des conditions parfois rudimentaires, le numérique n’étant qu’un outil subsidiaire par rapport aux masques ou encore au matériel de protection », a souligné David Gruson, qui a essentiellement mis l’accent sur les questions éthiques liées au recours à l’intelligence artificielle. « Si nous n’apportons pas des réponses claires, les soignants et les patients adopteront une attitude conservatrice, fermée et de blocage de l’innovation. D’où notre volonté de promouvoir la garantie humaine ». Ce concept, précisé à l’article 11 du projet de loi relatif à la bioéthique, figurait déjà dans le livre blanc intitulé « Intelligence artificielle : Une approche européenne axée sur l’excellence et la confiance » publié par la commission européenne le 19 février dernier. Le fondateur d’Ethik IA appelle donc à anticiper la mise en place de collèges de garantie humaine, associant des professionnels de santé, des patients et leurs représentants afin de superviser les innovations technologiques. Evoquant une course poursuite entre les besoins d’efficacité et de régulation, David Gruson a aussi listé les différentes IA développées dans le monde avec comme principaux enjeux le diagnostic, la prédiction de la propagation, les pistes de traitement et le data tracking.
Protection des données
En France, le sujet de l’utilisation des données de santé fait débat depuis de nombreuses années. « Il faut du temps pour préparer un cadre de régulation mais plus on attend pour mettre en oeuvre des outils numériques et moins ils seront utiles », a précisé David Gruson qui a également illustré son propos en présentant une solution de dématérialisation des processus d’admissions à l’hôpital développée par le groupe Jouve. Ce programme appelé « Know your patient », qui permet de réaliser les admissions administratives et financières à distance, a connu ces derniers mois un essor majeur sur l’ensemble du territoire.
"La disponibilité des données pose la question de la protection de la vie privée et de l’individualité des patients. Sans de solides garanties sur ce sujet, l’implémentation des solutions technologiques se fera difficilement", a pour sa part réagi le Dr Louis Delamarre. Avant d’ajouter « L’acceptation de ces solutions par les soignants et par les patients sera un challenge dans nos sociétés européennes. »
Pour le médecin réanimateur du CHU de Toulouse, « la crise sanitaire n’a pas donné lieu en France à l’émergence d’applications d’IA au contact ou au lit du malade, sauf en cas de détection ou de suivi des formes peu sévères du Covid-19. Nous avons davantage vu se développer l’analyse d’images ou la formation accélérée des professionnels à distance, mais d’autres pays sont allés plus loin en matière de détection ou de screening de symptômes ». Le sujet de la reconnaissance thermique à distance le laisse d’ailleurs dubitatif : « la température ambiante, l’humidité, la poussière ou encore le sexe des personnes sont autant de facteurs qui influent sur la performance de l’algorithme. Nous devons être et nous serons extrêmement exigeants et vigilants sur la rigueur de la méthodologie proposée. Innover pour innover n’est pas un argument suffisant ». Le Dr Louis Delamare se montre également « enthousiaste mais prudent » s’agissant des applications de diagnostic et d’aide à la décisions en matière de traitements : « La méthodologie est parfois imparfaite avec des applications en vie réelle assez hasardeuses. ». Un autre point crucial selon lui est l’identification de la responsabilité en cas d’erreur. « L’explicabilité des algorithmes est cruciale. La gestion de l’épidemie de Covid-19 est et restera humaine jusqu’à la fin de la crise même si nous avons considérablement augmenté le recours à des technologies déjà présentes comme la télé-consultation ou le suivi à distance. Et dans ces deux cas, nous avons pu mesurer à la fois le bénéfice et la qualité de ces outils », a-t-il conclu.
Hélène Delmotte
1- Les webinaires ainsi que les propositions du think tank sont à retrouver sur le site leplusimportant.org