Didier Delmotte, Président de la Commission Recherche et liens avec les universités de la Conférence des Directeurs Généraux de CHU et Directeur Général du CHRU de Lille répond aux questions de RESEAU CHU sur la recherche hospitalo-universitaire françaises…
Depuis leur création en 1958, les CHU Français sont à l’origine de 78 découvertes médicales majeures. Aujourd’hui, quel rôle occupent-ils sur la scène internationale de la recherche et de l’innovation en santé ?
Didier Delmotte Les très importantes avancées scientifiques et technologiques de ces 10 dernières années sont à l’origine de progrès diagnostiques et thérapeutiques considérables et laissent présager des évolutions médicales déterminantes. Ainsi de nouveaux espoirs sont permis dans les traitements d’indications médicales aujourd’hui encore non satisfaites, en particulier le cancer, la maladie d’alzheimer, l’obésité ou le diabète, ainsi que des opportunités de croissance pour l’industrie des biotechnologies en France
La recherche médicale en France se développe en grande partie sur les campus des CHU, qui regroupent dans un continuum scientifique d’une part, la recherche fondamentale réalisée au sein d’unités et d’équipes de recherche universitaires ou d’organismes de recherche, tels que l’INSERM et le CNRS et d’autre part, la recherche clinique menée directement au sein des pôles d’activités ou dans des plateformes spécialisées telles que les Centres d’Investigation Cliniques (CIC).
Les campus hospitaliers et universitaires occupent donc une place majeure sur la scène nationale et internationale de la recherche. Avec une participation à hauteur de 56% des publications françaises en recherche biomédicale, les sites hospitaliers et universitaires sont des lieux majeurs de production de la recherche biomédicale nationale. Ils concentrent des compétences médicales et scientifiques de haut niveau associées à des plateaux médicotechniques de haute valeur ajoutée ; c’est le lieu d’implantation des équipes de recherche médicale, essentiel à l’expérimentation et à l’évaluation clinique de nouvelles pratiques médicales ou de stratégies diagnostiques ou thérapeutiques.
Comment s’évalue la contribution des CHU au progrès médical ?
La valorisation de nature scientifique se traduit essentiellement par la publication des travaux de recherche. Ces publications sont cependant susceptibles d’être « valorisées » pour consolider un parcours professionnel académique ou justifier les financements sollicités dans le cadre de la dotation des Universités ou des CHU (financements MERRI).
Par ailleurs, la contribution des CHU au progrès médical s’inscrit dans la cadre des innovations. Créé en 2000 par le ministre chargé de la santé, le programme de soutien à la diffusion des innovations coûteuses a favorisé la promotion du progrès médical concernant de nombreuses techniques diagnostiques, thérapeutiques ou de prise en charge des patients, tout en permettant, grâce aux protocoles d’évaluation médico-économique dont il est assorti, de tirer les enseignements nécessaires à une diffusion raisonnée de ces innovations.
L’innovation au sens de ce programme répond à une définition précise. Il s’agit d’une technique ou d’un produit de santé, coûteux et récemment validé par une étape de recherche clinique, à vocation diagnostique, thérapeutique, de dépistage ou organisationnelle se situant en première phase de diffusion, de mise sur le marché ou de commercialisation.
La multiplication des processus innovants au cours des dernières années et la hausse des coûts de référence d’un certain nombre de ces innovations ont conduit les CHU à mettre en place une réflexion stratégique sur le choix des innovations à soutenir in situ compte tenu d’une ressource financière strictement encadrée.
Une meilleure connaissance des innovations émergentes et un suivi précis de leur première diffusion, située généralement dans les CHU, constitue donc un enjeu majeur pour la prise de décision tant au niveau national pour la promotion du progrès médical, qu’au niveau local au regard des stratégies médicales développées ou souhaitées et de la reconnaissance de certaines de ces activités au titre du financement des missions d’intérêt général (financement des missions d’enseignement, de recherche, de référence et d’innovation – MERRI).
La spécificité d’un CHU est d’être présent à chaque étape de la recherche translationnelle, de la recherche fondamentale à la recherche clinique. Pouvez-vous illustrer ce continuum par un exemple concret qui ferait ressortir les avantages de cette organisation originale ?
La recherche biomédicale est un processus continu. Elle part de la recherche fondamentale dans un laboratoire universitaire pour aller, après une évaluation clinique, vers une innovation et son application au malade. La force et la particularité d’un CHU, c’est d’offrir aux patients une triple capacité : le soin, l’enseignement et la recherche. L’ambition d’un CHU, c’est la cohérence entre ces trois compétences afin d’assurer une continuité entre la recherche biomédicale et les besoins de la médecine hospitalière.
La continuité du processus de recherche est assurée grâce au lien étroit entre l’Université, la Faculté de Médecine, le CHU et les organismes de recherche, tels que l’INSERM et le CNRS qui sont présents à chaque étape de la recherche translationnelle et dans le cadre de la constitution d’équipes mixtes associant les compétences des 3 institutions.
Plus concrètement, le médecin chercheur titulaire d’une « Habilitation à diriger des Recherches » (HDR) peut intégrer une équipe de recherche existante ou constituer sa propre équipe. A ce stade, c’est le lien étroit entre l’université et l’hôpital qui lui offre une structure d’accueil, la Délégation à la Recherche Clinique et à l’Innovation (DRCI) lui permettant de s’impliquer dans des travaux de recherche sans jamais se déconnecter de la pratique quotidienne des soins.
A titre d’illustration, cette collaboration entre l’université, l’hôpital, la faculté de médecine et l’Inserm a permis de créer sur le campus hospitalo-universitaire Lillois une plateforme mixte commune de recherche biomédicale appelée « Institut de Médecine Prédictive et de Recherche Thérapeutique » sous l’égide d’un « Comité de la recherche biomédicale et en santé Publique»,qui garantit la cohérence de la recherche sur le campus.
C’est dans ce cadre que par exemple, l’équipe mixte aux institutions hospitalo-universitaires, animée par le Professeur Desreumaux, du service des maladies de l’appareil digestif du CHU de Lille, a développé une thématique de recherche sur la maladie de Crohn.
Plus largement, des efforts très importants ont été menés depuis plusieurs années par les médecins et chercheurs du CHRU de Lille pour combattre et comprendre les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI). Pour cela, un Centre Thématique de Recherche et de Soins (CTRS), qui valorise près de 14 unités de recherche qui permet de réunir associations de patients, associations de professionnels de santé, Universités de Lille 1 et Lille 2, CHRU de Lille, l’INSERM et le mode industriel.
Pour poursuivre la dynamique initiée via le CTRS, le Pr Desreumaux a créé la première fondation d’utilité publique de recherche sur les MICI de France, qui doit permettre de mobiliser, d’amplifier et de pérenniser les moyens humains et financiers nécessaires à l’optimisation de la recherche sur les maladies digestives et la nutrition.
Qui finance la recherche hospitalo-universitaire ?
La recherche hospitalo-universitaire est par nature très diversifiée : elle s’intéresse à des dimensions très différentes de la science ; de la recherche fondamentale (expérimentale, physiopathologique…) à la recherche clinique, préalable indispensable à la diffusion clinique d’une innovation médicale et le cas échéant à sa valorisation économique.
La recherche hospitalo-universitaire fait ainsi intervenir de nombreux acteurs : Universités, faculté de Médecine, CHU, INSERM, CNRS, Conseil Régional, etc…Ces divers acteurs participent à l’effort de recherche, notamment par des financements ciblés sur certaines dimensions de la recherche : par exemple les universités interviennent plus particulièrement sur les dimensions plus fondamentales dites académiques de la recherche hospitalo-universitaire, alors que l’intervention des CHU est plutôt centrée sur le financement de la recherche clinique.
Les modalités de financement diffèrent selon les acteurs : Missions de Recherche, de Recours et d’Innovation (MERRI), complétés par des appels d’offre nationaux (Agence Nationale de la Recherche, Institut National du Cancer (INCA), Programme de Soutien Thérapeutique aux Innovations Coûteuses (STIC), Programme Hospitalier de Recherche Clinique (PHRC). Ces modalités de financement s’appuient toutes sur des indicateurs de résultats parmi lesquels : la production scientifique (publications), la valorisation clinique (essais cliniques) ou économique (brevets, licences etc…) et sont essentiellement destinées aux financements des infrastructures de recherche (plateformes méthodologiques ou médico-techniques) ou des équipes de recherche labellisées par l’Université et/ou les EPST.
Une partie de ces financements s’établissent dans le cadre de dispositifs contractualisés : volet recherche du Contrat Quadriennal des Universités, volet recherche du Contrat Pluriannuel d’Objectifs et de Moyens des CHU, Conventions avec les Etablissements Publics par exemple, avec une évaluation des résultats obtenus.
Quels sont les retours sur investissements attendus (retombées positives sur la qualité des soins et la santé de la population, dimension économique, qualité de la formation médicale) ?
La recherche hospitalière participe à l’amélioration de la qualité des soins. D’ailleurs, le plan cancer prévoit l’augmentation du nombre de malades inclus dans des essais cliniques.
Le parcours d’un futur hospitalo-universitaire passe obligatoirement par un travail en laboratoire, accompagné par des chercheurs académiques et cliniques. La recherche est une source importante de formation continue des médecins et contribue à améliorer la qualité des soins.
Chaque année la recherche clinique implique plus de 300 000 personnes nouvelles en France à travers 22 000 demandes de recherche déposées auprès de l’Afssaps
(Essais cliniques et médicament, FHF LEEM avril 2005)
Il existe plusieurs définitions de la valorisation :
– d’un point de vue strictement économique, la valorisation correspond à l’utilisation directe ou indirecte des connaissances issues de la recherche pour concevoir, créer et commercialiser un produit, un procédé ou créer et fournir un service nouveau.
– d’un point de vue plus politique, le Comité National d’Evaluation indique : « la valorisation correspond aux moyens de rendre utilisables ou commercialisables les résultats, les connaissances et les compétences de la recherche ».
La valorisation économique et industrielle accompagne les équipes de recherche tout au long du processus de recherche : contrats avec les partenaires scientifiques, etc…Elle fait appel à de nombreuses compétences : scientifiques, juridiques etc….Le CHU est donc nécessairement partie prenante d’un partenariat institutionnel élargi avec l’Université, l’Inserm et les agences de développement au moyen notamment d’un guichet partagé de valorisation entre hôpital et université et éventuellement les EPST.
De même, la création des pôles de compétitivités marque un changement important dans la nature des relations entre la recherche publique et les entreprises privées : en rupture avec les pratiques anciennes, au sein des pôles de compétitivité, la recherche publique vient conforter les points forts de l’économie ou vient en appui d’un secteur de l’économie qui a besoin de renforcer une offre compétitive dans des domaines où la France a pris du retard. Ces pôles favorisent la mise en place de projets collectifs de recherche et de développement associant centres de recherche, entreprises et le cas échant centres de formation et peut déboucher sur des études cliniques pour les innovations appliquées à l’être humain.
La participation d’équipes de recherche fondamentales et cliniques aux projets collectifs labellisées par un pôle de compétitivité, offre la possibilité aux différents acteurs de la recherche biomédicale de bénéficier des fonds et des partenaires nécessaires à la valorisation économique des innovations issus de la recherche régionale en associant des savoir faire publics et privés.
La recherche en CHU reste une mission très abstraite pour le grand public. L’exposition dédiée aux 15 premières mondiales contribue t-elle à rendre plus tangibles les bénéfices que la société retire des connaissances scientifiques produites par les équipes hospitalo-universitaires ?
Le domaine de la recherche biomédicale est encore parfois complexe. Ce sont des chercheurs qui s’adressent aux chercheurs. La recherche a essentiellement comme objectif d’améliorer les thérapeutiques, les équipements, les prises en charge, les techniques et technologies. Mais la recherche souffre de méconnaissance, elle est le parent pauvre, notamment des médias et donc du grand public.
Toutes les démarches visant à désacraliser le domaine de la recherche sont essentielles pour que le grand public perçoive ce qu’elle peut apporter en matière médicale. De nombreuses actions de « vulgarisation » du domaine connaissent d’ailleurs un véritable succès. Par exemple, les fêtes de la science ou récemment la nuit des chercheurs, qui permettent au grand public de voir concrètement et de comprendre l’importance de la recherche et ses possibles applications.
L’exposition dédiée aux 15 premières mondiales trouve toute sa place dans cette démarche d’ouverture de la recherche vers le grand public. Il est important de montrer et de démontrer que les CHU sont des acteurs majeurs de la recherche en France.
Chiffres clés de la recherche en CHU
10 CHU sont associés à un pôle de compétitivité
625 équipes labellisées
235 brevets déposés par an
531 programmes hospitaliers de recherche clinique par an
14 600 articles publiés par an en moyenne *
950 essais cliniques multicentriques dont les CHU assurent la promotion
969 essais cliniques monocentriques dont les CHU assurent la promotion
Les CHU sont 1 977 fois centres investigateurs pour des essais promus par des sociétés savantes, des associations …et 4 291 fois centres investigateurs pour des essais promus par d’autres CHU, des CLCC ou des CHG. Enfin ils sont 6 276 fois centres investigateurs dans des essais industriels.
*Source Système d’Interrogation, de Gestion et d’Analyse des Publications Scientifiques (Sigaps)° Ce système recense le nombre de publications scientifiques rédigées par les équipes hospitalo-universitaires françaises référencées sur Medline.