Maison des femmes : à Marseille, 1200 victimes de violences prises en charge

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Inaugurée le 24 janvier dernier dans ses nouveaux locaux, la Maison des femmes Marseille Provence est née de la volonté de cinq soignantes de l’Assistance Publique Hôpitaux de Marseille. Pour CHU Média, une partie de l’équipe a accepté de revenir sur la genèse de cette institution, la 5e à avoir vu le jour en France pour accueillir des femmes victimes de violences. Organisation, diversités des parcours (violence, mutilations génitales, femmes enceintes, prévention, éducation et recherche), profils des patientes complètent la présentation de ce modèle de structure que l’on voit fleurir un peu partout sur le territoire national. Reportage.

13h26. Un portail vert s’ouvrant sur une petite cour, un escalier rapide à monter et un panneau de bienvenue. Alors que nous nous laissons guider jusqu’à la Maison des femmes Marseille Provence, située à quelques encablures des hôpitaux de La Timone et de la Conception, plusieurs femmes victimes de violences nous ont précédés durant la matinée. Inauguré en grandes pompes il y a un mois et demi, ce lieu leur est, en réalité, dédié et ouvert depuis septembre 2024. 

« Le protocole d’accueil est assez simple. Nous, on n’a pas connaissance des histoires des femmes qui viennent ici, sauf si elles nous en parlent. Quand une femme arrive, on lui demande avec qui elle a rendez-vous. On lui propose à boire », explique Constance, Aixoise de 33 ans et bénévole ici depuis le mois d’octobre. A l’heure où le calme règne, cette dernière, particulièrement touchée par le sujet des violences faites aux femmes, échange avec Aurore, une juriste avec qui elle partage cette mission d’accueil. Pour l’une comme pour l’autre, donner un peu de leur temps ici était une évidence. « Comme Constance, j’avais entendu parler de la maison des femmes de Saint-Denis. C’est peu la maison mère car c’est la première en France. J’avais gardé ça dans un coin de ma tête », se souvient Aurore, qui a donc souhaité servir la cause localement.

Constance et Aurore, bénévoles tous les jeudis à la maison des femmes. Crédit Photo : Adrien Morcuende

Quelques minutes plus tard, les deux bénévoles invitent un petit garçon de trois ans à investir l’espace salle de jeu le temps que sa maman voit l’une des professionnelles de la structure avec qui elle a pris rendez-vous. 

Mis gratuitement à disposition par le conseil départemental, les locaux la nouvelle Maison des femmes, qui accueillait déjà des indigentes dans un autre temps, reçoivent actuellement 750 femmes avec des parcours qui durent en moyenne entre 18 mois et deux ans. Pourtant au départ, rien n’était écrit.

Une salle de jeu pour occuper les enfants. Crédit Photo : Adrien Morcuende

Une ouverture précipitée 

« Nous sommes 5 co-fondatrices : Florence Bretelle (cheffe de service de la Maison des Femmes et de la maternité du service obstétrique de l’APHM), Sophie Tardieu (praticien hospitalier en santé publique), Françoise Cerri (sage femme coordinatrice), Hélène Heckenroth (gynécologue obstétricienne) et moi-même, nous raconte le Dr Anaïs Nuttal (gynécologue médicale) à quelques minutes d’un rendez-vous. Pour ma part, je m’étais dit que j’aimerais créer un jour une maison des femmes mais je n’imaginais pas que cela pourrait être aussi rapide. L’AP-HM nous a soutenu assez rapidement mais le premier gros coup de pouce a été la collecte de fond par Ghada Hatem, fondatrice de la Maison des femmes de Saint-Denis et du modèle ReStart, qui nous a permis d’avoir 150 000 euros pour créer une structure ici à Marseille. »

Sophie Tardieu, qui fait elle aussi partie du « club des 5 », se souvient : « On avait un projet qui tenait la route mais on nous prenait un peu pour les nanas qui voulaient leur maison des femmes. » Comme sa collègue, elle explique que l’arrivée d’une Maison des femmes dans la deuxième ville de France par Emmanuel Macron en septembre 2021 (à l’occasion du Plan Marseille en grand), a tout accéléré, faisant basculer le projet médical et associatif en enjeu politique pour l’ensemble des acteurs locaux. ARS, Région, ville, métropole appellent de leurs vœux une ouverture rapide. Elle sera très rapide. « On a presque eu une injonction d’ouverture. On a donc ouvert administrativement en décembre 2021, et la première femme a été reçue en janvier 2022. », résume Anaïs Nuttal. 

Le Dr Anaïs Nuttal, gynécologue médicale et l'une des 5 fondatrices. Crédit Photo : Adrien Morcuende

Les premiers pas de la 5e Maison des femmes (sur les 28 qui existent aujourd’hui) se font dans les sous-sols de l’hôpital de la Conception. « On a pu recruter rapidement une petite équipe et on s’est lancées comme ça. C’était un peu le jeu des chaises musicales car on recevait les patientes dans trois salles ainsi que dans une salle de la direction pour la partie atelier psycho-corporel. En moins de deux ans, on a pu développer pas mal de choses, et rencontrer deux cents partenaires. », indique Sophie Tardieu. 

Le déménagement au 165 rue Saint-Pierre intervient en septembre 2024 dans 460m2 de locaux flambants neufs, aménagés et décorés par Maison du monde, a permis de changer encore d’échelle et de développer l’offre médicale, doublant les effectifs et recrutant des profils dont elle ne bénéficiait auparavant, faute d’espace suffisant. Aujourd’hui, une quinzaine de personnes travaillent au sein de la structure, dont deux assistantes sociales et une sage femme à plein temps, des gynécologues, un médecin généraliste, deux psychologues (bientôt trois), un psychiatre etc. Stagiaires, internes en médecine générale, psychiatrie, gynécologie médicale et obstétricale, bénévoles (dont la moitié oeuvre en coulisses pour proposer une communication efficace, notamment sur les réseaux) complète la cinquantaine de personnes impliquées.

Le Dr S. Tardieu coordonne le parcours prévention éducation, enseignement et recherche. CP : Adrien Morcuende

Des parcours de soins divers et adaptés

Plus qu’une question organisation, les sept derniers mois ont permis d’inscrire pleinement cette maison des femmes dans le modèle ReStart, dont la prise en charge qui repose sur quatre volets  – médical, psychologique, social et juridique – est entièrement coordonnée au sein de la Maison (on parle de « guichet unique ») afin d’éviter un morcellement des parcours des femmes qui ont besoin de repères fixes. Dernier ingrédient pour être estampillé Maison des femmes ReStart, l’adossement hospitalier. Derrière cette troisième valeur cardinale, se trouvent les notions d’expertise, de spécialisation, d’accès à un plateau technique large.

Quatre parcours sont proposés. Crédit Photo : Adrien Morcuende

Car la structure est avant tout un lieu de soins, assurés par des hospitalières salariées de l’AP-HM, que l’on retrouve au bureau d’une association de support. Aussi, dans un modèle de financement hybride public privé, relativement innovant au sein du paysage hospitalier, la Maison des femmes a accès, comme tout service, à une mission d’intérêt général (MIG), c’est -à -dire un financement pérenne de 350 000 euros annuels du ministère de la santé. Le reste est issu de fonds privés. 

La plus jeune patiente que nous suivons a 15 ans et la doyenne 78 ans.

Pour ce qui est des parcours de soins proposés, ils répondent au nombre de quatre. « Chaque maison peut s’organiser comme elle le souhaite sur ses parcours de soins. A Marseille, nous avons violence, mutilation génitale féminine, femme enceinte en situation de violence. Un quatrième parcours est axé autour de la prévention éducation, de l’enseignement et de la recherche. », décrit Sophie Tardieu. Et d’enchaîner sur les profils qui se retrouvent à venir chercher une aide ici. « Le profil un peu typique, c’est une femme d’environ 34 ans. C’est un moyenne puisque la plus jeune patiente que nous suivons a 15 ans et la doyenne 78 ans. On a par ailleurs entre 20 et 25% de demandeuses d’asiles. En tout, ce sont 1200 femmes de 43 nationalités qui se sont présentées depuis le début. Une majorité d’entre elles s’inscrivent dans le parcours violence qui comprend les violences de type physique, psychique, sexuelle, sexiste, conjugale, intrafamiliale, actuelle et passée. On prend aussi en charge des femmes qui ne sont plus dans le cycle de la violence mais pour qui il y a un besoin de soins. Donc cela c’est la grosse partie de notre file active. Sur le deuxième parcours, on a 20% de femmes excisées. »

Crédit Photo : Adrien Morcuende

De ce que l’on comprend, il arrive aussi que des femmes cochent un peu toutes les cases. Elles entrent alors dans ce que l’on appelle en interne les « parcours complexes. » Beaucoup sont des primo arrivantes débarqués à Marseille depuis l’Italie et qui ont des parcours parsemés par une violence systémique, depuis leur pays d’origine (excision, mariage forcé, violence intrafamilale) jusqu’au plateformes d’arrivées en passant par le parcours migratoire (violences physiques et sexuelles). Parmi elles, des femmes Nigériennes et Guinéennes, dont le calvaire se poursuit souvent dans la rue, les centres d’hébergement avant de trouver assistance à la Maison des femmes.

Cours de français, karaté et jardinage

Au moment de leur arrivée, le rôle des secrétaires est alors déterminant. « Elles sont incroyables ! », s’enthousiasme Anaïs Nuttal. Elles filtrent les adressages des professionnels, que ce soit les associations, médecins, psy. Elles reçoivent aussi les appels et les patientes qui se présentent de manière spontanée. Elles nous programment ensuite un premier entretien en fonction de la situation. On reçoit donc les femmes en premier entretien pendant une heure, où on va évaluer l’aspect médico, psycho, social et juridique et la demande de la patiente. Elles vont nous expliquer leur demande et ce qu’elles ont déjà mis en place ou non. Ensuite on décide avec elles du parcours de soin qui lui correspond au mieux. On ne refait pas déjà ce qu’elles ont fait.  Si elles ont déjà une psychologue, on ne remet pas une psychologue ici… La porte d’entrée c’est vraiment le soin, car nous sommes l’hôpital, qui dépasse de loin la simple aide sociale ou juridique. L’objectif est la sortie du parcours, avec des femmes qui sont de nouveau sécurisées, qui se sont de nouveau autonomisées. »

Crédit Photo : Adrien Morcuende

Des ateliers sont également mis en place. Un jeudi sur deux, Constance invite les femmes à mettre les mains dans la terre à l’occasion d’une session jardinage. Une permanence avocats (grâce à une convention avec le barreau de Marseille), mise en place à l’époque des premiers locaux à La Convention, a depuis été maintenue. De la lecture, d’écriture et des cours de français sont sont aussi proposés, de même que des activités accès sur corps, assurées par des associations extérieures, comme de la danse ou le Karaté.  » Avec la danse, on est dans de la réappropriation de son corps par la posture, de la récupération de son estime de soi. L’objet du Karaté, ce n’est pas du self défense. C’est là encore un travail de posture, de libération et de relation à l’autre. » conclut Sophie Tardieu. 

1 200 femmes ont donc été reçues depuis l’ouverture, avec une file active de 750 femmes actuellement. Pour ce qui est des délais, ils sont comparables, selon les professionnelles, à ce que l’on trouve à l’extérieur. Pour un premier entretien, l’attente est d’environ deux à trois semaines. Si l’urgence l’exige, les patientes peuvent être néanmoins reçues dans la journée. 

Crédit Photo : Adrien Morcuende

Si la Maison des femmes Marseille Provence a bénéficié d’un alignement de planètes depuis son origine, parvenant à s’ancrer très rapidement dans le paysage des soins marseillais grâce à un dynamisme de ses acteurs, du soutien des soutiens institutionnels et de relais publics (Clara Luciani en est la marraine) on se dit que les prochaines années devraient être tout aussi ambitieuses. 

Adrien Morcuende

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