En ce mois d’octobre 2012, le décès tragique du nouveau-né pose avec une terrible acuité la question des inégalités territoriales d’accès aux soins. Le drame a relancé le débat autour de la fermeture des petites maternités et du danger que représente l’avancée des déserts médicaux. L’actualité a également été dominée par l’âpre négociation de l’accord sur l’encadrement des dépassements d’honoraires du secteur libéral. D’autres sujets de santé ont aussi retenu l’attention des médias : la complexité des structures de recherche hospitalo-universitaire, l’informatique …
Le weekend du 20-21 octobre a été assombri par la mort d’un nouveau-né dont la mère a accouché sur l’A20 alors qu’elle se rendait à la maternité de Brive. Sur le site de l’Express, Jean Marty, président du Syndicat national des gynécologues-obstétriciens français (Syngof), a dénoncé "la dégradation globale de la périnatalité". « Le bilan de la fermeture de maternités privées et publiques est mauvais, assure-t-il, sur le plan économique, car on a déplacé les accouchements vers des lieux où c’est plus cher, mais aussi en termes de sécurité". Le journaliste Jean Ayussi cite également la coordination nationale pour la défense des hôpitaux et maternités de proximité pour qui le décès de ce bébé illustre "l’aspect néfaste des regroupements de maternité". Le journaliste note que le Parti communiste a fait entendre sa voix ainsi que le député Nicolas Dupont-Aignan, pour qui "l’Etat a failli dans sa mission de service public". Le Président s’en est ému. Il a déclaré que ce drame "appelle une nouvelle fois à ne rien accepter en matière de désert médical. Aucun Français ne doit se trouver à plus de 30 minutes de soins d’urgence". Une enquête administrative a été diligentée.
Dans sa chronique sur France Inter du 21 octobre, Yvan Levaï cite un rapport alarmant de la cour des comptes publié le 1er février 2012 : Au classement des plus faibles taux de mortalité infantile, la France serait passée du septième rang européen en 1999 au vingtième (sur 30 pays) en 2009. »
Pour illustrer la fracture sanitaire, Direct matin du 20 oct avise ses lecteurs de la mise en ligne d’une carte interactive des déserts médicaux sur le site l’UFC-Que Choisir. Il ressort que « 5% de la population n’a pas accès à un médecin généraliste, que 19 % à des pédiatres, 14 % à un gynécologue et 13 % à ophtalmologiste » et l’association de consommateurs de préciser que « le pourcentage de la population vivant dans un désert médical gynécologique passe de 14 à 54 % si l’on s’en tient au tarif de la sécurité sociale. » Pourtant, selon le Pr Israël Nisand, chef du pôle gynécologique obstétrique du CHU de Strasbourg " On ne peut pas multiplier les moyens médicaux." En France, on compte 1 service de réanimation pédiatrique pour 1 million d’habitants. "Il ne serait pas raisonnable de multiplier les structures de haut niveau, on en a ni les moyens, ni les médecins" déclare le spécialiste au micro de Bruce Toussaint sur Europe 1, le 22 octobre.
Martine Perez dans le Figaro du 23 octobre plaide pour la qualité plutôt que la proximité « Il vaut mieux en urgence bénéficier de soins adaptés, dans un hôpital doté d’un plateau technique de pointe et d’un personnel spécialisé, plutôt que de multiplier les structures hospitalières de proximité (…) sans moyen humain suffisant, ni matériel de pointe. » Elle appuie son argumentation sur deux études françaises, l’une portant sur l’ablation de la prostate pour cancer « qui montre que le risque de décès péri-opératoire est multiplié par 3,5 lorsque le chirurgien fait moins de 50 ablations par an par rapport à celui qui en réalise plus de 100». L’autre enquête du docteur Bouvier-Collea révèle que les maternités françaises qui pratiquaient moins de 500 accouchements par an avaient un taux de mortalité maternelle plus élevé que celles qui en faisaient plus » Pour cette observatrice du monde de la santé, «ce n’est pas le nombre d’hôpitaux qui fait la qualité, mais la coordination entre les acteurs de santé, la fluidité du transport sanitaire en urgence, l’accès aux soins, la compétence des équipes et les performances du plateau technique. Et de citer en conclusion le rapport Larcher qui proposait non pas de fermer tous les hôpitaux locaux, mais de les transformer en maisons de santé. Il envisageait des regroupements d’hôpitaux, selon trois niveaux hiérarchisés. Les hôpitaux locaux réaliseraient des consultations, des soins postopératoires et de la gériatrie. Les centres hospitaliers généraux assumant les actes courants en chirurgie et obstétrique, en médecine interne et spécialités, tandis que les centres hospitaliers de référence, souvent des CHU, chapeauteraient le tout.
Le mois d’octobre a été traversé par les négociations sur les dépassements d’honoraires des médecins libéraux. Des tractations marathons ponctuées de manifestations d’internes, de départ et de retour à la table des discussions, d’intimidation d’en passer par la loi. Finalement un accord qualifié d’historique a été conclu entre la CNAM, 3 syndicats de médecins (SML, CSMF et MG FRANCE) et les complémentaires. L’enjeu: améliorer de l’accès aux soins des patients les plus modestes, encadrer les dépassements d’honoraires tout en sauvegardant les rémunérations des médecins par une revalorisation des tarifs conventionnels. Grâce à cet accord, « Près de 5 millions de Français supplémentaires auront la garantie d’être soignés au tarif de la Sécurité sociale » se félicite la ministre de la santé, Marisol Touraine.
Les grandes lignes de l’accord prévoient de sanctionner les dépassements excessifs ( + de 150 % du tarif Sécu soit 70 euros pour une consultation de spécialiste à 28 euros). Ce taux pourra être « adapté » dans certaines zones géographiques limitées et « aura vocation à se modérer en cours de convention » est-il précisé dans l’avenant.
Autre disposition le contrat d’accès aux soins prévu pour l’été 2013. Il propose aux médecins adhérents de limiter leurs dépassements d’honoraires et de facturer le tarif de la sécurité sociale aux patients les plus modestes (bénéficiaires de la CMU et éligibles à l’aide à la complémentaire santé) en contrepartie les médecins ont obtenu des remboursements de cotisation sociale et des revalorisations des tarifs remboursables par le régime obligatoire. Ce contrat réversible d’une durée de 3 ans sera proposé aux praticiens de secteur II et aux anciens chefs de clinique bloqués en secteur I – leur taux de dépassement ne devant pas excéder 100%. Reste que la partie sanction en cas de dépassement excessif (2,5 fois le tarif remboursable) manque de précision.
Il est aussi prévu que l’Assurance-maladie finance des forfaits pour les médecins traitants, 5 € par patient et par an. Quotidiens et magazines ont abondamment suivi les pourparlers.
Dans son communiqué en date du 24 octobre intitulé "les usagers, "pigeons de la farce", le collectif associatif sur la santé (CISS) dénonce un accord au rabais, un fiasco pour les patients "il n’y a pas de changement, on est toujours dans la même logique que celle qui nous a conduit à plus de 2,5 milliards d’€ de dépassements d’honoraires médicaux." L’instance qui regroupe 38 associciation de santé a une autre lecture de l’accord. Pour elle, la création du nouveau secteur tarifaire appelé « contrat d’accès aux soins » est la porte ouverte à la généralisation et à la légitimation des dépassements d’honoraires, plutôt qu’à leur limitation…". Et de s’interroger : "Quel médecin acceptera de lâcher la proie des dépassements d’honoraires en secteur 2, pour l’ombre de la prise en charge de ses cotisations sociales dans le cadre du « contrat d’accès aux soins » ? Il suffit de faire le calcul : puisque les dépassements peuvent aller au-delà de 150%, le médecin n’a plus d’intérêt à adhérer au contrat d’accès aux soins qui bloque ses dépassements à 100% !". Et le CISS de démontrer le mécontentement des français sondage à l’appui : 80% d’entre eux ne trouvent pas « normal » que les médecins facturent des dépassements d’honoraires. Pour en finir, le CISS propose de faire majoritairement basculer la rémunération de la médecine de ville sur un mode forfaitaire.
De nouvelles dispositions pour les médecins hospitaliers : Rendre l’exercice libéral à l’hôpital plus transparent pour le moraliser. Telle est la finalité des nouvelles mesures votées vendredi 26 octobre par les députés qui visent à renforcer le contrôle de l’hôpital sur l’activité des praticiens inscrits en secteur 2. Ainsi le patient règlera sa consultation à l’hôpital et non plus directement au médecin ; l’établissement reversant ensuite ce qu’il doit au praticien et non pas le contraire. Ce nouveau dispositif est résumé dans l’article de Vincent Collen "L’Assemblé s’attaque aux consultations privées à l’hôpital" paru dans les Echos du 29 octobre. A noter que peu de médecins hospitaliers sont concernés. En effet, sur les 80 000 praticiens hospitaliers (dont plus de 35 000 exercent en CHU), un peu plus de la moitié (45 000) pourraient, au regard de leur statut, prétendre à une activité libérale. Or en 2010, très peu d’entre eux, 5% – 4 525 très exactement – exerçaient une activité privée à l’hôpital public (pas plus de deux demi-journées) et sur ce nombre 1 862 étaient inscrits en secteur 2 avec honoraires libres soit 2,3% de l’ensemble de la communauté médicale hospitalière.
Dans les Echos du 1er octobre Alain Pérez s’intéresse aux départements hospitalo-universitaires chargés de développer la recherche thérapeutique et s’étonne non sans ironie de l’incroyable millefeuille qu’est devenue la recherche hospitalière. Et d’énumérer les 6 instituts Hospitalo-Universitaires créés en 2011 issus de la commission Marescaux, puis les PHU et les DHU respectivement pôles et départements hospitalo-universitaires. Qualifiés de « dernières trouvailles des états-majors parisiens », les 8 DHU devraient dynamiser la recherche hospitalière autour d’une thématique précise et établir des passerelles avec le monde industriel. "Le premier appel à projets en a ciblé 8, un second devrait en désigner 20 d’ici la fin de l’année et les régions vont suivre" précise le journaliste qui mentionne l’inquiétude des petits établissements soucieux de voir ces super laboratoires « rafler tous les financements ». Un observateur anonyme constate que les IHU ont créé un déséquilibre et qu’il eut mieux fallu déclasser des « CHU qui ne faisaient pas de recherche plutôt que de rajouter une nouvelle couche au millefeuille ». Comment les DHU se situeront-ils par rapport aux superlaboratoires comme l’institut des biothérapies des Biothérapies des Maladies Rares – qui n’est pas un IHU – et relève de l’Association Française de lutte Myopathies. Ce centre fédère les compétences de plus de 650 chercheurs et experts chargés eux aussi de mener de front recherche fondamentale et appliquée, bioproduction et développement clinique.
Les médicaments du futur seront produits aux Ulis titre le Parisien du 24 oct qui présente la première usine de cellules-médicaments avec 150 emplois à la clé. Sébastien Morelli note qu’avec cette insallation sur le site de LFB Biotechnologies "L’Essonne confirme son statut de pionnier dans la médecine de demain" . Parmi les principaux partenaires du projet C4C (CellForCure) on retrouve l’établissement français du sang, les CHU de Bordeaux, Lille, Nantes et Toulouse et la banque des tissus et cellules des hospices civils de Lyon.
Le 15 oct, Sébastien Ramnoux dénonçait dans le Parisien « Le grand gâchis de l’informatique hospitalière », ses dysfonctionnements et ses importants surcoûts pour l’AP-HP. Il est question de bugs du nouveau système testé sur le site pilote d’Ambroisé Paré. L’AP-HP ne partage pas ce bilan catastrophique et a publié un communiqué le lendemain précisant que, sur l’ensemble des services qui l’ont utilisé (8 100 séjours en hospitalisation complète), un dossier hospitalier unique a été ouvert pour 90% des patients. Dans 86% des cas le compte-rendu d’hospitalisation a pu être adressé aux dans un délai d’envoi en constante amélioration – moins de 15 jours au mois d’août. Au vu des résultats probants et de la satisfaction des équipes hospitalières de l’hôpital Ambroise Paré, la Commission Médicale d’Etablissement (CME) de l’AP-HP a apporté son soutien au projet et à son déploiement sur l’ensemble des hôpitaux de l’institution. Le logiciel sera donc déployé dans deux autres sites (hôpitaux Bicêtre puis Tenon) avant d’engager la phase de généralisation pour l’ensemble des 38 hôpitaux de l’AP-HP – soit un investissement global de 125 millions d’euros. Et l’AP-HP de rappeler l’intérêt stratégique des systèmes d’information comme levier de la modernisation de l’institution et aussi de qualité, de sécurité et de meilleure organisation du parcours de soins pour les patients et de meilleure articulation avec la médecine de ville.
Mais, au-delà de la situation de l’hôpital Ambroise Paré, Gérard Bapt député de Haute-Garonne et spécialiste des questions de santé déplore toujours dans le Parisien l’incapacité du système sanitaire à « passer correctement au stade de l’informatisation ». Un handicap qui n’est d’ailleurs pas propre à la santé comme l’a indiqué l’Agence nationale d’appui à la performance (Anap) : « sur 263 programmes d’informatisation des services publics en cours, 30% sont en retard et 20% en échec ! » ; Que penser alors du retard pris par le dossier médical personnel (DMP), déployé depuis 8 ans et qui selon Gérard Bapt touche 200 000 personnes et a déjà coûté 210 M€ fin 2011 ? La solution viendra peut-être en février 2013 avec « la feuille de route numérique » du gouvernement qui désire « mieux suivre les programmes informatiques » et mettre plus d’ordre et de transparence dans tous ces outils.
Marie-Georges Fayn