Ce n’est pas une faute de frappe, encore moins une erreur de style, ce n’est rien qu’un jeu de mots pour rendre plus audible le témoignage des médecins travaillant au service des soins palliatifs du CHU de Nancy ainsi que dans l’équipe mobile. Unique en Lorraine, le service de soins palliatifs est une structure de quinze chambres individuelles où travaille une trentaine de soignants. « Se sentir bien quand même ! », la phrase résume ce à quoi aspirent tous les professionnels pour ces patients, différents des autres, puisque le diagnostic de leur maladie est définitivement posé et que la guérison n’est pas envisageable. Au-delà de leurs compétences qui leur permettent, dans un premier temps, de guérir la douleur, les médecins des soins palliatifs s’attachent aussi à soulager les souffrances de ceux dont ils s’occupent. Des missions particulières que chaque année à l’automne la journée mondiale des soins palliatifs met en lumière dans une France restée longtemps frileuse sur le sujet par rapport aux pays anglo-saxons.
Dans ce service hospitalier, plus que dans tout autre, les mots ont une importance primordiale. Quand on parle de leur mission en soins palliatifs, cette recherche de précision imprègne la conversation des docteurs Thérèse Jonveaux, chef du service et Catherine Lamouille pour les définir au plus juste :
– « Nous sommes là pour permettre aux patient d’atteindre un niveau de bien-être malgré une maladie invalidante. C’est possible. Combien de personnes touchées par plusieurs maladies font preuve d’une vitalité remarquable dans la vie quotidienne et combien en parfaite santé se sentent mal ? »
– « Il s’agit de les accompagner, mais pas seulement, puisque dans un premier temps nous « guérissons » la douleur soit par la médication, soit par la technique, soit les deux. Cependant, nous nous attachons aussi à rendre les patients « confortables », c’est-à-dire à trouver des solutions à leurs souffrances psychiques voire sociales. »
– « Nous, médecins et personnels du service, nous considérons le malade dans son ensemble. La situation particulière que ces patients traversent met au même niveau les soins et le bien être. Par exemple cette souffrance peut être liée à un contact difficile avec des proches ou encore au fait de n’avoir pu régler une démarche administrative, ce n’est pas seulement physique. Leur état de santé, rend l’urgence encore plus urgente pour ces patients et nous jouons le rôle de médiateurs pour renouer des liens ou dénouer des blocages. Sans la résolution de ces problèmes, l’angoisse des malades sera un frein à leur bien être. »
– « Et cela fait partie de notre rôle de médecin. Pourtant, il ne faut pas croire que la maladie et son issue sont les uniques sujets de conversation des patients. Ca me rappelle une anecdote. Une personne en soins palliatifs s’était vue approchée par la psychologue du service parce qu’elle restait silencieuse sur sa pathologie et sa situation. Agacée par cette intrusion, la patiente a déclaré : « Mais j’ai envie de parler d’autre chose ! » »
Les services de soins palliatifs ont été ouverts dans les établissements hospitaliers au milieu des années 80 en même temps que se propageait l’épidémie de sida. Il s’agissait à l’époque de faire face à un afflux de malades atteints d’une pathologie et de symptômes inconnus mais dont on savait l’issue fatale. Cette urgence de l’accueil d’un public pour beaucoup désocialisé et marginalisé a favorisé le « retour aux sources » de la mission médicale dans les hôpitaux. A savoir, une prise en charge du patient dans sa globalité humaine, rompant ainsi avec ce qui avait prévalu dans les années 70/80 : l’hyper technologie comme réponse aux dysfonctionnements des « corps malades ». Par la suite, et jusqu’à aujourd’hui, la cancérologie et les soins gériatriques ont contribué à la pérennisation de ces unités, faisant même des soins palliatifs une spécialité médicale enseignée sous forme de module en 5e année de médecine alors que le DU existe depuis les années 2000.
– « Nous acceptons d’avoir avec les patients cette part relationnelle sans laquelle leur passage dans l’unité ne serait qu’une attente sordide. Nous n’avons pas de sujets tabous entre nous. Il s’établit une confiance particulière qui nous lie au-delà de la simple relation hospitalière parce qu’elle a ses limites dans le temps et que nous ne savons pas quelle en sera la durée ? »
– « La seule chose dont nous soyons sûres c’est que la vie continue. Les patients eux-mêmes affichent des comportements de vie. Il est fréquent par exemple de voir des malades reliés à des perfusions parce qu’ils ne peuvent plus se nourrir, regarder à la télévision des émissions de cuisine et les commenter avec leurs proches.»
– « La plupart des gens pensent qu’une fois en soins palliatifs, le patient n’en sort pas. C’est faux ! Il nous arrive de donner des autorisations de sortie pour la pratique d’une activité dont le malade a envie : Comme par exemple une plongée sous-marine ! Tout reste vivant !»
Les unités de soins palliatifs sont des espaces hospitaliers singuliers au regard de la profonde évolution que connaissent les politiques de santé des pays développés. Leurs missions interpellent la société et ses citoyens sur les questions philosophiques et éthiques de leur relation à la fin de vie dans cet espace suspendu entre la vie et la mort où l’on peut « se sentir bien quand m’aime. »