« Nous pouvons d’ores et déjà parler de rémission de l’infection VIH et d’un potentiel cas de guérison », ont annoncé le 17 janvier les hôpitaux publics de Marseille à propose d’une patiente prise en charge au CISIH de l’Hôpital Sainte-Marguerite. Cette première française (et seulement le huitième cas dans le monde) synonyme d’espoir 42 ans après la découverte du virus responsable du Sida, est le résultat d’une greffe de moelle osseuse réalisée il y a 5 ans.
Une leucémie diagnostiquée en 2020
Âgée d’une soixantaine d’années, la patiente a été diagnostiquée séropositive en 1999. Immédiatement traitée par antirétroviraux, ce n’est qu’à partir de 2010 que son traitement se montre véritablement efficace, avec une charge virale devenue « indétectable », c’est-à-dire contrôlée par le traitement. On ne peut alors pas parler de guérison pour autant.
» Il faut bien comprendre qu’une charge virale indétectable n’est pas pour autant synonyme de guérison. En effet, il subsiste toujours des traces ou fragments de virus latents susceptibles de se réactiver, de se répliquer de nouveau et de repasser dans la circulation générale. C’est la raison pour laquelle le VIH est une infection chronique persistante nécessitant normalement un traitement à vie. « , explique le Dr Sylvie Bregigeon, directrice du Centre d’Information et de Soins de l’Immunodéficience Humaine et des hépatites virales qui, depuis sa création il y a plus de 30 ans, prend en charge des patients vivant avec le VIH et éventuellement co-infectés par une hépatite virale C ou B.
En février 2020, une leucémie myéloïde aiguë est diagnostiquée chez la patiente. Prise en charge à l’Institut Paoli-Calmettes, elle bénéficie en juillet de la même année d’une allogreffe de moelle osseuse.
« L’équipe de l’Institut Paoli-Calmettes est parvenue à trouver un donneur non seulement compatible mais présentant aussi une particularité recherchée dans ce type de cas : une délétion appelée Delta32 au niveau du gène CCR5, co-récepteur utilisé par le virus du VIH comme porte d’entrée dans les cellules des personnes qu’il a infectées. De fait, les rares personnes dans le monde ayant cette mutation génétique sur les deux allèles du gène CCR5 ne peuvent pas être contaminées par le VIH. », poursuit le Dr Sylvie Bregigeon.
La patiente a arrêté son traitement en octobre 2023, avec une stratégie de contrôle de ses paramètres virologiques et immunologiques, d’abord hebdomadaire, puis bimensuel et à présent mensuel. Jusqu’à ce jour, tous les résultats sont restés négatifs !
Dr Sylvie Bregigeon, Directrice du CISIH
A ce jour, seulement 7 cas de guérison fonctionnelle du VIH après allogreffe de moelle osseuse, visant à traiter un lymphome ou une leucémie, ont été rapportés dans le monde. Pour 6 d’entre eux, le donneur était porteur de la mutation Delta 32 sur le récepteur CCR5.* Les équipes du CISIH et de l’IPC avaient ainsi un espoir qu’il en aille de même pour leur patiente.
Dans les suites de sa greffe de moelle osseuse, la patiente a été mise en rémission de sa leucémie. Elle a continué à prendre son traitement antirétroviral pendant près de 3 ans après la greffe et à être suivie de manière très régulière par son médecin au CISIH, le Dr Olivia Zaegel-Faucher. Des examens virologiques plus poussés ont été effectués au cours de sa surveillance, en collaboration avec le Laboratoire de virologie de la Timone du Pr Philippe Colson : en particulier des tests ultrasensibles de charge virale, des tests de culture virale ainsi qu’une recherche d’ADN pro-viral correspondant au réservoir possible de virus encore présent dans son organisme. Tous ces tests se sont avérés négatifs.
« Comme ces résultats négatifs persistaient dans le temps, avec une absence de toute trace de virus, nous avons décidé collégialement en réunion de concertation pluridisciplinaire regroupant médecins spécialistes du VIH, virologue, immunologiste et hématologue, l’arrêt du traitement antirétroviral. La patiente a arrêté son traitement en octobre 2023, avec une stratégie de contrôle de ses paramètres virologiques et immunologiques, d’abord hebdomadaire, puis bimensuel et à présent mensuel. Jusqu’à ce jour, tous les résultats sont restés négatifs ! Qui plus est, son taux de lymphocytes T CD4+ est passé de 250 à 1289/mm3 au dernier contrôle, les valeurs normales se situant entre 650 et 1500/mm3 environ. Les lymphocytes T CD4+ sont une catégorie de globules blancs ciblés par le VIH pour les détruire et se multiplier à leurs dépens, ils sont le reflet de nos défenses immunitaires.»
Une stratégie non reproductible chez tous les patients
Si la patiente est “évidemment ravie” de ce qui lui arrive, les hôpitaux marseillais souhaitent désormais collaborer avec une équipe parisienne afin de consolider ces résultats en réalisant des examens complémentaires sur le plan immunologique, avant publication de ce cas clinique rarissime.
Reste que cette stratégie d’allogreffe n’est malheureusement pas reproductible chez tous les patients infectés par le VIH. Elle implique en effet un conditionnement très lourd avec une chimiothérapie intensive, une radiothérapie, une hospitalisation longue dans des chambres stériles uniquement possibles et justifiables dans le contexte du traitement d’une hémopathie maligne comme un lymphome ou une leucémie.
Il n’en demeure pas moins que ces cas exceptionnels de rémission permettent une compréhension toujours plus fine du fonctionnement du VIH et contribuent grandement à ouvrir de nouvelles perspectives de recherche.
La rédaction avec l’AP-HM
* Le cas du patient dont le donneur n’était pas porteur de cette mutation laisse penser que le processus d’allogreffe à lui seul pourrait contribuer à la destruction du réservoir viral du VIH, et ce de par le conditionnement qu’il implique : chimiothérapie intensive avec radiothérapie du corps entier pour supprimer la moelle malade avant de la remplacer par celle du donneur.
Le Centre d’Information et de Soins de l’Immunodéficience Humaine et des hépatites virales de l’hôpital Sainte-Marguerite
Il s’agit d’une plateforme ambulatoire qui combine hôpital de jour et consultations, assurant le suivi d’environ 1200 patients à l’heure actuelle. La structure comprend en outre depuis 1996 un département de recherche clinique travaillant en étroite collaboration avec l’Agence Nationale de Recherche contre le Sida et les maladies infectieuses émergentes (ANRS MIE)