Sur fond de pression européenne, la France s’engage à tenir le cap des 50 milliards d’économie sur ses dépenses publiques afin de ramener son déficit public à 3% du PIB dès l’année prochaine. Le plan 2015-2017 du premier ministre dévoilé mercredi 16 avril prévoit de faire porter près de la moitié de l’effort – 21 milliards – sur la protection sociale dont 10 milliards pour l’Assurance-maladie. Un programme que Marisol Touraine a précisé le 25 avril. Les médicaments et l’hôpital se retrouvent en ligne de mire. Anticipant une cure d’austérité, la FHF présentait le 10 avril un plan d’économies de 5 à 7 milliards d’euros sur 5 ans. Alors que 2 jours avant les CHU avaient révélé le montant de leur déficit de – 162 millions d’euros en 2013.
CHU : l’exercice 2013 se solde par un déficit de 162 M€
Le 8 avril la Conférence des Directeurs Généraux de CHRU présentait les comptes des plus grands hôpitaux de France, reconnaissant une « légère dégradation de leur situation financière en 2013, après quatre ans de redressement continu » -162 millions d’euros en 2013, contre -116 millions en 2012 pour les 29 CHRU de métropole. Chiffres repris par les agences de presse et les quotidiens. Guillaume Guichard dans le Figaro du même jour constate que « ramené aux ressources ce déficit correspond à 0,62% des produits d’exploitation contre 0,46% en 2012 ».
Et si les dotations des Agences régionales de santé ont effectivement augmenté, la Conférence note que cette progression reste insuffisante. Quant à l’activité, elle ne croît que de +1,7%. Vincent Collen dans les Echos du 8 avril déplore quant à lui « la dégradation de la capacité d’autofinancement des CHRU pour la 2ème année consécutive malgré le recul des investissements et des dépenses qui augmentent plus vite que les recettes ».
En cause : « La facture des médicaments et dispositifs médicaux qui a gonflé de 10 % en un an. A la hausse aussi les charges de personnel qui représentent l’essentiel des coûts des hôpitaux, + 3 %. (..) en particulier le paiement des journées de RTT des médecins accumulées dans des comptes épargne-temps ». En progression également les cotisations patronales pour la fonction publique hospitalière et le numerus clausus des internes. Le journaliste pointe la décélération de l’investissement passé de 2,09 milliards en 2012 à 1,88 milliard en 2013 et la contraction de la capacité d’auto-financement à 1,39 milliard qui reste cependant supérieure à l’emprunt (1,06 milliard).
Guillaume Guichard évoque les contrats de performance qui s’apparentent aux « plans de redressement » du privé, désormais en vigueur dans un tiers des grands établissements. Ces contrats allient plans d’économies, reconquête de parts de marché et réduction des coûts et par la même des effectifs. « Quant aux parts de marché elles seront développées surtout dans les domaines qui rapportent, comme la chirurgie cardiaque ou les greffes, grâce à une bonne valorisation des actes par l’Assurance-maladie. » ajoute le journaliste qui cite Philippe Domy, Président de la Conférence des directeurs généraux de CHU. Le responsable met en avant les efforts des CHU «Dans la chirurgie de haute spécialité, nous avons gagné 2 points de parts de marché sur les cliniques privées»
3 jours après la publication de ce communiqué, la Cour des comptes dénonce dans un rapport « un emballement de la dette hospitalière » dont les montants atteignent un niveau critique entraînant des « tensions de trésorerie récurrentes » et « des risques très importants pour certains établissements ». L’endettement de l’ensemble des établissements de santé publics a triplé en dix ans, frôlant les 30 milliards d’euros, fin 2012 soit 1,6% du PIB. En cause selon l’instance les programmes d’investissement des plans Hôpital 2007 et 2012. Le rapport dénonce aussi des projets trop ambitieux par rapport à l’accroissement réel de l’activité et insuffisamment contrôlés par l’Etat.
Conséquence : les banques sont plus réticentes pour prêter, défiance d’autant plus forte en période de crise financière. Plus de contrôle aussi avec depuis 2010, l’obligation pour les établissements les plus endettés de recevoir l’autorisation du ministère de la santé pour tout nouveau recours à l’emprunt. Autre préoccupation ajoute Fabien Piliu dans la Tribune du 14 avril, « une possible crise des subprime ». Des hôpitaux voient leurs finances encore grevées par des emprunts dits toxiques ou risqués. Leur montant est chiffré fin 2012 à 2,5 milliards d’euros, soit 9 % de l’encours total de la dette. « Certains hôpitaux se retrouvent coincés avec des contrats qui prévoient des majorations de taux d’intérêt » prévient le Journaliste. D’où la requête de la FHF, d’inclure les hôpitaux dans le fonds de soutien aux collectivités
Le plan de maîtrise des dépenses de santé proposé par la FHF
Le 10 avril, la Fédération Hospitalière de France (FHF) présente son plan d’économies de 5 milliards sur 5 ans « Aux grands maux les grands remèdes » écrit le Parisien "Propositions détonantes et sans langue de bois" «pavé dans la marre »… s’enflamme Pierre Bienvault dans la Croix du 14 avril qui voit dans ce programme sans tabou "une véritable transformation du système de santé". Des 7 propositions, l’AFP retient 4 mesures phares « révision de l’organisation du travail et baisse des emplois, davantage de coopérations entre hôpitaux, réduction des actes et prescriptions inutiles. ».
Concrètement, la FHF préconise de s’attaquer aux actes médicaux inutiles avec à la clé 2 milliards d’euros d’économies sur 5 ans, une exhortation qui remonte à 2012 quand les résultats d’un sondage lancé par l’instance avait révélé que plus du quart des actes (28%) n’étaient pas pleinement justifiés selon les 800 médecins répondants. Pourquoi cette recommandation de bon sens n’est-elle pas suivie ? Selon Gérard Vincent, délégué général de la FHF, cette mesure met en cause les praticiens libéraux qui vivent du paiement à l’acte et l’Assurance Maladie qui pourrait publier les données des actes non pertinents, se retient « ne voulant pas faire de vague »… – en cause aussi reconnait-il l’application de la tarification à l’activité dans les hôpitaux… D’où la nécessité d’instaurer un deuxième avis obligatoire.
Dans le viseur de la FHF, les cliniques privées qui n’assurent pas de missions de service public. Certaines autorisations d’activités ou d’équipements devraient être conditionnées aux missions de service public. « Pas d’IRM pour un cabinet de radiologie de ville tant que ses médecins ne participent pas au tour de garde de nuit et pour une clinique pas le droit d’opérer la cataracte sans ophtalmologistes de permanence la nuit » explique le délégué général. Les régulations de l’activité libérale et les coopérations entre établissements devraient générer 100 millions d’euros.
Autre proposition largement reprise, le développement de l’ambulatoire que la cour des comptes appelle également de ses vœux – bien que l’estimation des économies générées varie dans des proportions hallucinantes 550 millions pour la FHF à 5 milliards selon les calculs de la Cour des Comptes !
Parmi les autres postes, la réduction de moitié des postes dans les Agences Régionales de Santé atteintes du virus de la bureaucratisation (léger tacle au passage), la limitation de la revalorisation salariale dans les hôpitaux, la possibilité pour des manageurs du public de renégocier certains accords sur les 35h et probablement de supprimer des postes – ces mesures pourraient épargner 1 milliard d’euros sur 5 ans.
Par contre la dernière mesure qui porte sur la valorisation du modèle hospitalier français à l’étranger pour en faire moteur de croissance et de développement économique à l’international a reçu très peu d’écho. Dommage car cette ambition à l’export qui passe par la création d’un label « Hôpitaux de France » et d’un consortium franco-français afin de vendre des hôpitaux clé en main – porte sur un marché estimé à 10 milliards d’euros selon la FHF. L’instance encourage aussi l’accueil de patients étrangers souhaitant payer pour leur prise en charge médicale et hospitalière ; un secteur qui rapporte déjà 1,5 milliard d’euros à l’Assurance-maladie.
Plan d’économies du Medef
Pour préserver le système de santé français le Medef a aussi des solutions qu’il expose en 22 mesures pour 2014-2017. L’enjeu, s’adapter " aux nouveaux défis des maladies chroniques, du vieillissement et du progrès technique médical" reprend le Figaro du 9 avril. Un plan qui produirait entre 25 à 30 milliards d’économies à horizon 2017. Parmi ces mesures qui visent à établir un nouveau système de financement de l’Assurance Maladie : « une baisse des soins pris en charge par l’assurance maladie et une montée en puissance des complémentaires santé » détaille Jean-Christophe Chanut dans la Tribune du 15 avril. Pour résumer : recentrage des prestations sur les soins et services essentiels, transfert de la couverture vers les mutuelles, autres complémentaires et sur-complémentaires santé, responsabilisation des assurés, meilleure répartition des soins vers la ville, réservant l’hôpital aux cas lourds et complexes.
Selon le Medef, la seule amélioration du fonctionnement et de la gestion des établissements de santé devrait rapporter de 2 à 3 milliards d’euros d’économies par an cite Christine Lagoutte dans l’Express du 9 avril (les manageurs hospitaliers apprécieront…). Au programme également la fin des inégalités de traitements entre public et privé comme l’instauration d’une «situation de quasi-faillite» des établissements publics et un processus de reprise par d’autres opérateurs en meilleure forme" cf les pratiques en vigueur en Grande-Bretagne, en Espagne ou en Italie.
Jean-Baptiste Chastand et Laetitia Clavreul reprennent dans le Monde du 10 avril les propositions du cabinet de conseil Kurt de fermer 200 petits hôpitaux ce qui ferait gagner entre 2 et 3 milliards et de fusionner les CHU parfois distants de moins de 100 km ou 600 à 700 millions avec des médecins généralistes moins nombreux et mieux payés, comme outre-Manche. Pour un gain d’1 milliard.
Yann Bourgueil, directeur de l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé interrogé par Donald Hebert du Nouvel Observateur du 10 avril, sur les possibles mesures d’économie cible quant à lui les médicaments (baisse des prix, de la consommation et augmentation des génériques), réduction des honoraires des laboratoires, économies sur les ambulances et taxis et aussi réduction du nombre de caisse primaires, fusion de certains régimes. Et pour l’hôpital enfin, il faudra repenser les parcours de soins, car "on hospitalise trop" afin de réserver les établissements « aux soins les plus techniques et aux séjours plus courts." et renvoyer les patients chez eux plus rapidement.
Enfin, selon l’économiste Claude Le Pen qui s’exprime dans une tribune publiée par le Figaro du 17 avril, le système de santé a besoin « d’une profonde réforme de son mode de financement, avec transfert vers une ressource collective du type TVA des charges pesant sur l’entreprise et le travail, comme l’ont fait avec succès les Allemands, et une meilleure distinction entre les charges relevant de la solidarité nationale et celles que les individus doivent assumer eux-mêmes, notamment à travers les assurances complémentaires. »
De cette avalanche de prescriptions quelles seront les mesures retenues ? Un début de réponse a été livré dans les Echos du 25 avril par la Ministre des Affaires sociales et de la santé. Interviewée par Vincent Collen, Marisol Touraine a détaillé un plan « historique » et « sans précédent » qui devra générer 10 milliards d’euros d’économies en trois ans. Ce plan est-il réaliste s’inquiète le chroniqueur ? Oui car « il est au cœur d’une politique cohérente fondée sur des réformes de structures explique Marisol Touraine. Pas de rupture mais une simplification, un rapprochement entre établissements et une meilleure organisation du système de soins et une progression des dépenses plafonnée à 2,1% puis à 2 % en 2016 et à 1,9 % en 2017. Mais la ministre se veut rassurante : pas de « déremboursements ni de nouvelles franchises. « Les réformes que j’engage n’aboutiront pas à un système de santé « low cost » mais, au contraire, à préserver l’excellence de notre modèle, son excellence médicale mais aussi son excellence sociale. » Quatre axes sont privilégiés : les soins de proximité et la coopération entre médecine de ville, l’hôpital et les maisons de retraite. Les séjours hospitaliers doivent être moins fréquents et moins longs. La chirurgie ambulatoire verra son rythme de croissance doubler. « Dès 2016, une opération sur deux pourra être réalisée en ambulatoire ! » déclare la ministre qui fixera des objectifs par région et par pathologie. Pour l’opération de la cataracte, on peut tendre vers les 100 %. Avec l’espoir d’économiser 1,5 milliard dont près de 1 milliard pour la chirurgie ambulatoire. Invité à réagir par Guillaume Guichard dans le Figaro du 26 avril, Gilles Bontemps, directeur associé de l’Agence nationale d’appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux souligne que « ces économies sont conditionnées à la fermeture de lits traditionnels (…) et au redéploiement de personnels vers d’autres tâches. »
Deuxième axe, la chasse aux actes inutiles ou redondants en médecine de ville et la consommation inadaptée de médicaments, deux postes chiffrés à 2,5 milliards d’euros. Troisième volet, la baisse des prix des médicaments de marque comme des génériques avec un gain estimé à 3,5 milliards d’euros. Quatrième cible, les achats hospitaliers mutualisés qui devraient rapporter 2 milliards d’euros et la fin d’un recours excessif aux médecins intérimaires. Enfin des dispositions seront prises pour lutter contre la fraude.
… Ceux qui souhaitent davantage de précision devront attendre la stratégie nationale de santé que la ministre doit présenter cet été.
Marie-Georges Fayn
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