Pouvez-vous revenir sur votre parcours ?
J’ai toujours aimé que l’on me raconte des histoires. J’ai réalisé un parcours d’histoire à la fac et je m’intéressais particulièrement aux courriers qu’envoyaient les soldats pendant la première guerre mondiale. L’écrit, les mots que l’on utilise, les rencontres, les témoignages de vie de l’époque, c’est vraiment ce qui me constitue. Je me suis ensuite dirigée vers un métier dans l’écriture, avant de devenir biographe hospitalière. Je pense avoir cette capacité à la fois d’écriture, d’écoute et d’intérêt. C’est ce qui m’a amené, il y a quelques années, à la biographie hospitalière. Pour cela, j’ai fait un DU de soins palliatif. Il ne suffit pas d’aller au chevet d’un patient et dire : “voilà ce que je vous propose”. Le DU de soins palliatif m’a permis de rencontrer toute la chaîne des intervenants auprès de la fin de vie, ce qui m’a été très utile. En 2019, j’ai intégré le réseau Passeur de mots passeur d’histoire autour de Valéria Milewski.
Depuis combien de temps êtes-vous biographe hospitalière au CHU de Tours ?
J’exerce mon métier au CHU de Tours depuis 2022. J’ai entendu, par l’intermédiaire de Passeur de mots et passeur d’histoire, que l’hôpital de Tours était intéressé par la biographie hospitalière. Il n’y en avait pas de formée de disponible.
Pourquoi les patients acceptent-ils de vous rencontrer ?
Je pense que la biographie hospitalière est un accompagnement. A un moment donné, lorsqu’elles sont éprouvées par la maladie, les personnes voient une opportunité de se raconter. Remonter le film de sa vie et son histoire sans penser au décès, cela leur permet de se concentrer sur qui ils sont vraiment, sur ce qu’ils aiment faire, et surtout sur ce qu’ils ont fait. C’est très valorisant. Ça leur permet de dépasser soit la maladie soit de se dire qu’il n’y a pas que la maladie dans leur existence. Les finalités sont très diverses. En oncologie, je peux rencontrer des malades qui ont des cancers chroniques et qui sont inscrits dans la maladie depuis des années. Qui dit inscription depuis des années dit qu’il y a aussi une forme de banalisation. L’entourage est peut être moins présent, moins vigilant parce que ça fait des années que ces patients viennent en soins. Ils n’ont plus forcément d’espaces où ils peuvent s’exprimer. La biographie est vraiment un espace qui leur est proposé par l’hôpital pour se retrouver.
Quand vous les rencontrez pour la première fois, par quoi commencez-vous ?
Cela dépend de la personne. Il y a des gens qui ont dans leur esprit le fil de leur histoire en continue. Il y a en d’autres qui s’inscrivent tout aussi volontiers dans l’histoire mais qui ne savent pas forcément par quoi débuter. Je leur pose donc des questions pour leur donner l’amorce. Ensuite, il y a d’autres personnes qui me disent « Moi, ce que je préfère, c’est que vous me posiez des questions ». On peut effectivement être dans cet esprit de les aider au départ , de leur provoquer des souvenirs, de la parole et puis, au fil du temps, ils se saisissent de ce qu’ils racontent.
Vous arrive-t-il d’avoir peur de trahir le ressenti ou l’histoire des patients ?
Si jamais j’ai cette crainte, je peux en parler avec eux pour être sûr que j’ai bien compris ce qu’ils souhaitent confier. Une histoire de vie s’inscrit dans un certain nombre d’épreuves, de colère, quelquefois de dysfonctionnement familiaux. Si tant est que la personne a souhaité que ce récit soit remis et confié à sa famille, l’objectif de la biographie hospitalière n’est pas d’offrir à la famille une bombe de règlement de compte qui va exploser à la figure de tout le monde. Quand la personne est en colère, ou dans cette volonté de « régler » ses comptes, je le note, et bien souvent, la fois d’après, elle réclame que cela n’apparaisse pas, ou alors que cela soit raconté différemment, dans un souci d’apaisement. Il y a toujours autour de cet accompagnement un souci de pacification. Je pense à une jeune patiente partie il y a quelques mois, et pour qui la maladie a été très compliquée. Elle avait un enfant en bas âge et une maman qui ne supportait pas de la voir dans cet état, ce qui a créé beaucoup de tensions. Elle a passé du temps à me raconter toutes ces tensions. Je pense que cela lui a fait énormément de bien. Elle a écrit une lettre à son compagnon et à son petit garçon, et bien évidemment, tout ce qu’elle a raconté sur les difficultés familiales est resté du off. Elle avait besoin d’en parler pour se retrouver mais ce n’était pas pour le récit. Généralement les personnes font bien la distinction.
Comment faites-vous pour rester dans votre rôle sans être atteinte par des récits qui peuvent être durs à entendre ?
J’aurais envie de dire que pour moi, la biographie hospitalière est un métier de la maturité, c’est-à-dire que ce n’est pas un métier que j’aurais eu envie de faire à 20 ou 30 ans. Je pense qu’aimer les histoires de vie m’aide. Quand c’est trop chargé émotionnellement, les patients et moi pouvons faire des pauses. Ce qui est important pour moi quand je rencontre une personne, quel que soit son état physique – car la maladie abîme-, c’est de s’accrocher à l’idée que ce sont des histoires de vie. Je n’ai peut-être pas eu l’occasion de vous le dire, mais je suis aussi biographe hospitalière à Lille, dans une unité de soins palliatifs. C’est forcément très différent, car les rencontres s’inscrivent plus dans la brièveté. Ici, à Kaplan [CHRU de Tours], j’ai pu rencontrer des personnes à de nombreuses reprises pendant des temps de rencontre assez longs. Il y a des moments ou je ressens leur chagrin, d’autres moments où j’éprouve du chagrin parce qu’ils sont décédés. Alors je ne suis pas une proche de la famille mais, en même temps, ce ne sont plus des étrangers pour moi. Je m’autorise à avoir de l’émotion par rapport à la rencontre qui s’est faite. Il y a une intimité, une confiance qui se met en œuvre.
Pouvez-vous me parler d’un patient avec qui vous avez été jusqu’au bout du processus ?
Je pense à un projet qui a donné lieu à de l’intergénérationnel […] Nous sommes à proximité d’un lycée technique qui forme des BTS aux métiers de l’édition. Avec le Dr Barbe, nous sommes allés leur présenter la biographie hospitalière. Le responsable pédagogique a proposé la mise en livre à trois étudiants. Ils ont travaillé avec ce patient qui a plus de 70 ans. Ils avaient un peu l’impression de faire le livre de leur grand-père. Mi-juin, on a fait une remise du livre en présence de la famille du patient, du jeune, du lycée, du personnel médical et c’était vraiment un chouette moment.
Comment faites-vous si la personne décède avant la parution du livre ?
Un livre inachevé n’est jamais une problématique car on ne fait pas une autobiographie. L’état de la personne et le temps qui lui reste à vivre n’a pas d’importance. Le but, c’est qu’elle en ait envie. Même si c’est partiel, même si ce n’est pas achevé, même si la mémoire est revisitée, tant que le patient éprouve cette envie, on remet le livre à la famille.
Combien de personnes exercent le métier de biographe hospitalier ? Souhaiteriez-vous qu’il soit plus connu ?
Dans le réseau auquel j’appartiens, il y a environ une centaine de personnes formées sur une dizaine d’années. Toujours dans ce même réseau, nous sommes une vingtaine en exercice. Un jour j’avais entendu une phrase disant « c’est tellement bien que ça devrait être remboursé par la sécurité sociale ! » [rire]. J’ai un peu cette image là à l’esprit. Je pense que cela aide les personnes ,soit dans l’accompagnement à la fin de vie soit au quotidien de la maladie grave, et que, dans tous les cas, cela leur fait du bien.
Propos recueillis par Adrien Morcuende
Crédit photo : Adrien Morcuende
Secrétariat de rédaction Charlotte Dieuaide




