Inscrites au projet de loi de santé de Marisol Touraine, les «class actions» ou actions de groupe appliquées à la santé pourraient bien voir le jour en France. Un phénomène consumériste que connaissent déjà la plupart des pays européens, les USA et le Canada. Que risquent les hôpitaux français ? Comment anticiper cette possible montée en puissance ? Réseau CHU a sollicité deux expertes, une spécialiste de la communication publique, Odile Vernier et une avocate Maître Anne Servoir.
Des us et coutumes qui interpellent
Génération quasi spontanée, les class actions se diffusent aux USA ou au Canada à la vitesse du web. Des avocats communiquent sur internet. Ils citent le nom de l’hôpital, les raisons pour lesquelles une class action se constitue et le buzz fait le reste.
La médiatisation des class actions porte préjudice aux établissements concernés. L’impact se traduit très vite par une baisse d’activité qui risque de perdurer puisque les class actions s’éternisent au cours de procès retentissants livrés par avocats et journalistes interposés.
Difficile cependant de transposer les class actions outre-Atlantique dans l’hexagone du fait des différences profondes entre les systèmes juridiques. Et pour ne pas subir ce phénomène mieux vaut s’y préparer. Le projet de loi « santé », en discussion au Parlement, devrait introduire, pour la première fois en France, les actions de groupe dans le domaine de la santé. Dans la version soumise aux députés, le champ d’application de cette nouvelle procédure devrait rester limité, marquant ainsi une forte différence avec les pratiques américaines, en particulier en ce qui concerne les hôpitaux.
En effet, les actions de groupe seraient réservées aux seuls dommages sériels causés par la défectuosité ou la mauvaise utilisation d’un produit de santé. Par conséquent, si le projet était adopté en l’état, une action de groupe pourrait être engagée, à l’encontre d’un hôpital, uniquement lorsque serait en cause l’utilisation d’un produit de santé au sens large (médicament, dispositif médical, produit dérivé du sang…) et que ce dit produit se serait lui-même révélé défectueux, ou que serait mise à jour une défaillance dans son entretien d’un produit ou une mauvaise utilisation.
Ce champ d’application limiterait, de jure, l’impact d’une actions de groupe sur les hôpitaux. Serait ainsi exclue la recevabilité même de nombreuses poursuites qui ont vu le jour au Canada. Par exemple celles menées à l’encontre d’actions de grèves « sauvages », de maltraitance ou d’infections nosocomiales.
Par ailleurs, si l’introduction des « class actions » dans notre ordre juridique va, sans aucun doute, induire des changements de comportements, coté patients comme coté hôpitaux, elle n’entrainera pas nécessairement de « dérive à l’américaine ». A cet égard, l’exemple du Canada et plus spécifiquement du Québec est édifiant. Introduite depuis plus de 30 ans au Québec, la "class action" est perçue plutôt positivement. Elle est vue comme une mesure d’équité qui garantit l’accès à la justice à tous les patients.
Selon Jean Saint-Onge, avocat québécois du Cabinet Lavery, de Billy, spécialiste des class actions, les différences avec les Etats-Unis s’expliquent d’une part, par l’environnement culturel et, d’autre part, par l’environnement juridique. Comme le droit français, le droit québécois est fondé sur un système civiliste. Aux Etats-Unis par contre les jurys populaires interviennent ce qui explique le montant élevé des dommages et intérêts accordés dans la plupart des class actions.
En France, il aussi est permis de s’interroger sur l’opportunité même pour les patients de mener des actions de groupe à l’encontre des hôpitaux. A la différence du Canada, la France s’est dotée, dès la loi du 4 mars 2002, d’un mécanisme de résolution amiable des conflits et de solidarité nationale, efficace et opérationnel : l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM). Cet organisme poursuit un objectif identique à celui des class actions au Canada, à savoir : ouvrir l’accès à la justice à tous les patients victimes d’un tel dommage et garantir une indemnisation en cas d’accident médical. Une procédure plus rapide et moins coûteuse que celles portées devant les tribunaux.
En l’état actuel du texte, la class action à la française devrait, à tout le moins, être particulièrement longue, compte tenu des différentes étapes prévues.
De plus, au fil des réformes, le législateur a tenu à renforcer le rôle et l’écoute des usagers au sein même des institutions hospitalières : présence de représentants d’usagers dans différentes instances, nomination d’un médiateur chargé d’éclairer une difficulté médicale et d’éviter un contentieux, ouverture de « maisons du patient » ayant pour mission de diffuser la meilleure information aux associations de patients souffrant d’une même pathologie, et ce en relation avec le corps médical.
Le dialogue, la meilleure information donnée par les établissements aux patients, la médiation constituent de solides remparts contre les risques contentieux dont chacun sait qu’ils trouvent souvent leur origine dans un manque de communication et de transparence… Ainsi, les patients sont devenus de véritables partenaires de soins et non de simples consommateurs captifs. Quant aux procès intentés, ils sont toujours longs et coûteux pour tous.
L’arrivée possible des actions de groupe en France va conduire les hôpitaux à prendre des mesures anticipatrices sur le plan juridique et en communication. En terme de communication, les hôpitaux vont devoir disposer de books de crise très spécifiques avec un volet dédié aux class actions. Sur le plan juridique, ils devront se montrer particulièrement attentifs dans la contractualisation avec leurs fournisseurs pour la définition des responsabilités respectives des uns et des autres et réfléchir aux moyens de processualiser la gestion et le traitement de cette catégorie nouvelle de procédure.
Même si les habitudes des français n’ont pas grand-chose à voir avec ce qui se passe aux USA, force est de constater une judiciarisation accrue des comportements. A titre d’illustration, 12 016 réclamations ont été adressées en 2013 aux établissements de santé publics, privés et PSPH (soit un indice qui croît de 11% par rapport à 2012 (source Sham*) les actions de groupe qui se multiplient dans la consommation (Foncia, Axa) pourraient un jour ou l’autre gagner le monde de la santé. Un domaine qui n’est plus sacralisé, dont on répète à l’envie qu’il coûte cher…et qui, à ce titre, doit se préparer à rendre davantage de comptes.
Odile Vernier, agence Public Voice en collaboration avec Maître Anne Servoir Cabinet Intuity
* https://www.chu-media.info/les-articles/article/article/les-hopitaux-davantage-exposes-aux-risques/
site américain « Top Class Actions »