Quelques Pokémons souriants dans des cadres, deux gros oursons affalés et de petits fauteuils rose et bleu. « On n’imagine pas forcément des policiers sur ces chaises ! » lance en préambule le Dr Yves Marot, le chef des urgences pédiatriques, avant de rapidement préciser : « C’est justement tout le principe de l’UAPED : se mettre à hauteur des enfants et pas le contraire. » Assis à ses côtés, une partie de l’équipe de l’Unité d’Accueil Pédiatrique Enfants en Danger de Tours, qui s’est rendue disponible pour nous expliquer le fonctionnement de cette unité ouverte en septembre 2023, et située à quelques mètres des urgences pédiatriques de l’hôpital Gatien de Clocheville.
Un lieu unique pour accueillir l’enfant violenté
A Tours comme dans l’ensemble des UAPED répartis sur l’hexagone (145 sont déployés ou en cours de déploiement depuis la publication de l’instruction ministérielle de novembre 2021), on reçoit donc depuis plus d’un an des mineurs victimes de violences ou de maltraitances, physiques et psychologiques. Et c’est précisément dans ce décor épuré et coloré de la salle Mélanie que de jeunes enfants ou adolescents sont interrogés chaque semaine par des enquêteurs de la police ou de la gendarmerie.
En cela réside tout l’intérêt de cette jeune structure : pouvoir recevoir, dans une unité de lieu et de temps, les enfants maltraités ou suspectés d’être victimes, plutôt que de les trimballer de l’hôpital au commissariat, de la gendarmerie à la médecine légale et vice et versa. Un parcours chaotique qui prévalait pourtant il y a encore peu de temps. « Nous étions bien conscients que la prise en charge avant l’UAPED n’était optimale ni pour le bien de l’enfant et ses accompagnants, ni pour les soignants. En effet, l’enfant était entendu et examiné aux urgences pédiatriques, puis était entendu par les services judiciaires voire par le médecin légiste chargé de l’examiner et/ou par les structures psychosociales, et ce sans oublier son entourage auquel il avait déjà raconté son histoire avant d’être emmené aux urgences. Or, pour l’enfant, devoir raconter son histoire plusieurs fois ne faisait qu’accentuer son traumatisme. Redire, c’est revivre. » , explique le Dr Laure Bonraisin. En rejoignant l’aventure UAPED 37, cette dernière a, comme ses collègues médecins ou infirmières, poussé sa formation en faisant un DIU centré sur la maltraitance de l’enfance.
Fini donc la démultiplication des lieux*. La restructuration d’un itinéraire médico-judiciaire, où l’enfant se trouve au centre la prise en charge, avec une coordination des acteurs (pédiatre, infirmière légiste, policier/gendarme, psychologue, assistante sociale) présente, au-delà de la limitation du traumatisme et de l’opportunité donnée au mineur de se sentir plus en confiance, d’autres avantages : le raccourcissement du délais de prise en charge globale d’une part et, d’autre part, la facilitation des examens médicaux complémentaires (fond d’œil, radiographies du squelette, TDM cérébral, bilan biologique), voire une hospitalisation si la situation le commande.
« Le bilan prévisionnel était de 200 dossiers d’enfants reçus par an. Nous en sommes, depuis le début de l’année à 183** » , résume le Dr Myriam Landier, l’une des trois médecins de l’UAPED. Un constat qui fait écho aux propos tenus l’an dernier par l’ancienne secrétaire d’état chargée de l’Enfance Charlotte Caubel, quant à la réalité des violences sur les plus jeunes : « Un enfant est victime d’inceste, de viol ou d’agression sexuelle toutes les trois minutes. Un enfant meurt tous les cinq jours au sein de la sphère familiale . »
C’est la chute du canapé, les pieds coincés dans les barreaux du lit, le frère ou la soeur qui lui est tombé dessus.
Dr Myriam Landier, pédiatre au CHRU de Tours
Des récits qui ne collent pas toujours
Les enfants maltraités ne sont pas rares. Et la violence dont ils font l’objet peut prendre bien des aspects. « On a vu au mois de juin une fillette de 9 ans qui avait dit à sa mère, à propos de son frère aîné partant en week-end, que ce dernier ne pourrait ainsi « pas l’embêter. » Elle a ensuite révélé des attouchements sexuels. On a alors été contacté par la maison des adolescents qui recevaient ce garçon à cause de troubles du comportement au collège. Les faits relatés par la petite sœur dataient de plusieurs mois. Elle a été auditionnée par les gendarmes ici. », relate le Dr Bonraisin.
Violences sexuelles, traumatismes physiques, cyberharcèlement… A Tours, la majorité des enfants et/ou adolescents reçus à l’UAPED passent d’abord par les urgences. Et dans certains cas, les histoires qui les accompagnent sont pour le moins surprenantes. « C’est la chute du canapé, les pieds coincés dans les barreaux du lit, le frère ou la soeur qui lui est tombé dessus, en tout cas pour les enfants qui ne parlent pas. Bref des histoires pas vraiment compatibles avec ce que l’on constate sur le plan clinique. », rapporte le Dr Myriam Landier, qui exprime toutefois la nécessité de ne pas braquer les parents. « On peut leur dire « j’entends ce que vous nous racontez mais, pour nous, ça peut pas être du à cela, il faut qu’on réalise d’autres examens pour arriver à comprendre ce qu’il s’est passé. »
Abondant dans ce sens, le Dr Bonraisin insiste elle aussi sur cette idée d’alliance avec les parents. « On ne va pas commencer par leur dire : « Vous êtes suspectés de maltraitance, on est obligés d’hospitaliser votre enfant ! » En mettant en avant qu’on veut faire des examens, en avançant des hypothèses comme une maladie des os de verre, des troubles de la coagulation, ils acceptent la situation. Il n’y a pas de parents qui ne veulent pas chercher à savoir ce qui est arrivé à leur enfant, même si intérieurement ils savent…Ça ne m’est jamais arrivé d’être obligée d’appeler le proc’ en disant qu’il me faut d’urgence une ordonnance de placement provisoire. Et pour ceux qui ne voudraient pas rester, on leur explique que c’est dans leur intérêt de ne pas s’y opposer. »
En cas de danger, l’enfant est donc hospitalisé, le temps pour l’équipe de l’UAPED de faire des soins nécessaires et, si le cas l’exige, de faire un écrit (information préoccupante ou signalement au parquet) via un mail sécurisé, pour qu’il y ait une ordonnance de placement provisoire. « S’il y a un danger immédiat, on peut aussi appeler les autorités judiciaires. Il y a un lien très direct, dans l’intérêt de l’enfant et le respect du secret médical », précise l’urgentiste Yves Marot.
Une unité autonome des urgences pédiatriques
L’implantation d’une Unité d’Accueil Pédiatrique Enfants en Danger au sein du CHRU a été permise grâce à certains aménagements, rapidement soutenus par la direction. « La première rencontre a eu lieu en novembre 2021. Tout le monde était disponible ce jour-là : le procureur, Pauline Saint-Martin de l’Institut Médico Légal, l’ancien DGA Richard Dalmasso qui était impliqué dans les projets architecturaux. Puis il y a eu trois réunions au tribunal, deux en visio avec le département… Et ça s’est fait! » s’enthousiasme le Dr Marot.
"Je me présente, je leur explique tout, l’hôpital, je présente les différents intervenants de l’UAPED. Quand il y a des examens à faire, j’amène l’enfant faire sa prise de sang, sa radio, son IRM etc."
Angéline Lailler, infirmière puéricultrice au CHRU de Tours
Pour recevoir les enfants conduits par le(s) parents ou adressés par l’école, un médecin de ville ou les services de la protection de l’enfance, une ancienne salle de bain de l’unité d’hospitalisation a été isolée puis transformée en salle d’attente. Là encore, on s’adapte à eux. Mobilier, théâtre de guignols, placard à jeux, ciel bleu en trompe-l’oeil, tout est fait pour créer une atmosphère joyeuse et réconfortante. Un point de départ où Angéline Lailler, l’une des puéricultrices, accueille enfants et adolescents, et pour qui elle deviendra un visage familier, presque un fil rouge, durant son passage à l’hôpital. « Je me présente, je leur explique tout, l’hôpital, je présente les différents intervenants de l’UAPED. Quand il y a des examens à faire, j’amène l’enfant faire sa prise de sang, sa radio, son IRM etc. », explique l’intéressée. Parfois, ce rôle de repère peut s’avérer extrêmement précieux, notamment dans le cas d’enfants amenés à revenir.
« Pas plus tard qu’il y a quinze jours, on a vu une enfant de 4 ans qui dénonçait des attouchements sexuels., se souvient le Dr Bonraisin Pendant qu’on discutait avec la maman, Manon, l’une des puéricultrices, était dans la salle d’attente avec l’enfant et sa grand-mère. Ensuite, Manon, Julia [la psychologue] et moi avons vu l’enfant seule. Tout ce qu’elle avait rapporté à ses parents, elle n’a jamais voulu nous le dire. C’était la première fois qu’elle voyait les locaux, elle avait l’air un peu perdue et stressée. La maman nous en avait suffisamment dit pour que nous fassions un signalement. L’enfant est revenue une semaine après pour son audition. Le fait de revenir dans les locaux qu’elle avait déjà vus, qu’elle revoie la puéricultrice, retrouve le petit train sur lequel elle avait jeté son dévolu la première fois, l’a aidé à se détendre. Finalement, elle a énormément parlé durant l’audition. La gendarme nous a dit que cela l’avait aidé. »
De l’autre côté du couloir, se trouve la salle d’examen où les enfants peuvent être examinés par les pédiatres et faire l’objet de soins. Cette pièce communique avec la salle d’audition par l’intermédiaire d’une glace sans tain. Comme dans les commissariats, il est ainsi possible de suivre les échanges entre le mineurs et les enquêteurs, échanges qui sont par ailleurs filmés et enregistrés par une caméra (financée par l’association La voix de l’enfant), toujours dans ce souci d’éviter la répétition et le risque de faire revivre un traumatisme. La possibilité de varier la couleur de l’éclairage, de plonger la pièce dans des atmosphères plus ou moins chaudes, fait oublier la lueur cru du traditionnel néon d’hôpital.
Une rencontre avec la psychologue de l’équipe est systématiquement proposée aux familles qui sont reçues sur rendez-vous du lundi au vendredi, de 9h00 à 16h30. Une évaluation sociale par l’assistante sociale, un rendez-vous avec un juriste de l’association France Victimes, et bien sûr le recours, sur demande du parquet, à l’expertise d’un légiste de l’IML, complètent la prise en charge approfondie que propose l’UAPED 37. Un an après son ouverture, on se réjouit de l’utilité que cette structure de soins, de mieux en mieux identifiée dans et hors CHU, a pu, sans remettre en cause les organisations existantes, apporter du point de vue de la protection des enfants victimes de violences et du recueil de leur parole. « On a de très bons retours des gendarmes » , affirme Angéline Lailler. Et au Dr Yves Marot de conclure : « Je pense qu’on a le bon outil. Et c’est une bonne chose que ce soit le côté pédiatrique et non pas légal qui soit au cœur du sujet. »
Adrien Morcuende
* En théorie car, à Tours, la police possède elle aussi une salle dédiée au recueil de la parole des enfants et adolescents reçus. De même que l’IML se situe à l’hôpital Trousseau.
** Nous nous sommes rendus à l’UAPED de Tours le 24 septembre dernier.
Coordonnées de l’UAPED de Tours : 02 47 47 90 90 / uaped37@chu-tours.fr
L’UAPED DE TOURS EN CHIFFRES
(Sources : UAPED de Tours)
- Une équipe constituée de :
3 pédiatres exerçant aux urgences (0,8 ETP)
3 et prochainement 4 puéricultrices : Infirmières de Coordination et d’Accueil (ICA) exerçant aux urgences et formées à la protection de l’enfance (1,2 ETP)
3 assistantes sociales entre les urgences, l’UAPED et les autres services de l’hôpital (1 ETP affecté aux urgences)
1 psychologue depuis février 2024, avec une activité libérale et notamment d’expertise (0,5 ETP)
1 secrétaire (0,2 ETP)
Activité des 7 premiers mois (fin septembre 2023 – fin avril 2024) :
132 patients accueillis
154 consultations
57 signalements rédigés et 13 informations préoccupantes
81 filles (61,4 %) et 51 garçons (38,6 %).
Âge moyen : 7,1 ans / âge médian : 8 ans
Âge minimal : 20 jours / âge maximal : 17 ans
Modes d’entrée : 84 consultations initiales aux urgences (63,6 %), 48 accueillis sur rendez-vous (36,4 %), 18 adressés dans le cadre d’une réquisition judiciaire
Types de violences
Physiques dans 67 cas (50,8 %)
Sexuelles dans 41 cas (31 %)
Psychologiques dans 24 cas (18,2 %)
Négligences dans 20 cas (15,2 %)
Pour au moins 20 % des dossiers (donnée probablement sous-estimée), plusieurs types de violence étaient associésAuteurs suspectés
Violences intra-familiales : 99 des 132 situations, soit 75 % des cas.
les parents 75 cas soit 56,8 %
pères (36 soit 27,3 %), mères (17 soit 12,9 %), l’un des parents ou les deux (22 soit 16,7 %).
beau-père 5 (3,8 %), la sœur 4 (3 %), frère ou demi-frère 4 (3 %), grands-parents 4 (3 %), oncle 3 (2,3 %) cousin 2 (1,5 %).
Violences extra-familiales (en partie ou exclusivement) : 43 situations sur 132, soit 32,6 % des cas
Mineurs de la même tranche d’âge, même établissement scolaire, centre de loisir ou foyer et autres fréquentations : 21 soit 15,9 %.
Assistantes maternelles et assistant(e)s familiaux : 11 cas soit 8,3 %.
Ami de la famille ou une connaissance adulte de la victime : 4 cas (3 %).
Enseignant : 2 soit 1,5 %
Inconnus rencontrés dans la rue ou sur les réseaux sociaux : 4 situations (2 majeurs, 2 mineurs)
soit 3 %.
Hospitalisation
51 enfants ont été hospitalisés, tous après passage par les urgences (38,6 % des cas)
19 en UHCD, 14 en pédiatrie, 10 en chirurgie orthopédique pédiatrique, 1 en chirurgie viscérale pédiatrique, 1 en chirurgie ORL, 2 en pédopsychiatrie et 4 en neurochirurgie pédiatrique.