Le droit au secret des informations personnelles a pour fondement les principes éthiques liés au respect de la dignité de la personne et les règles déontologiques des professionnels de santé.
La loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé rappelle la nature des informations considérées comme confidentielles. Celles-ci recouvrent bien-sûr les informations médicales mais aussi toutes les données personnelles portées à la connaissance des professionnels dans le cadre d’un soin.
A travers son article L .1110-4, la loi officialise le secret partagé au sein de l’équipe ; une protection étendue et fondamentale que le système de santé entend garantir à toute personne malade. Dans son numéro du mois d’octobre 2003, Trait d’union, journal interne du CHU de Toulouse fait le point sur le secret professionnel. Témoignages d’hospitaliers, commentaires d’experts
Le secret n’est plus ce qu’il était
L’hyperspécialisation modifie, de fait, l’environnement dans lequel s’exerce la confidentialité, voire le secret : aujourd’hui, on sait qui l’on croise, et pour quel motif, dans la salle d’attente de la consultation des maladies infectieuses ou du centre d’assistance médicale à la procréation.
Est-ce à dire que le secret n’existe pas – moins que jamais – entre le médecin et son patient ? Le Code de Déontologie, dans son article 35, semble aller dans le sens du droit des malades à une transparence totale : « Le médecin doit à la personne qu’il examine, qu’il soigne ou qu’il conseille, une information loyale, claire et appropriée sur son état, les investigations et les soins qu’il lui propose. Tout au long de la maladie, il tient compte de la personnalité du patient dans ses explications et veille à leur compréhension. » Mais le même article comporte deux autres alinéas : « Toutefois, dans l’intérêt du malade et pour des raisons légitimes que le praticien apprécie en conscience, un malade peut être tenu dans l’ignorance d’un diagnostic ou d’un pronostic grave, sauf dans les cas où l’affection dont il est atteint expose les tiers à un risque de contamination. »
« Un pronostic fatal ne doit être révélé qu’avec circonspection, mais les proches doivent en être prévenus, sauf exception ou si le malade a préalablement interdit cette révélation ou désigné les tiers auxquels elle doit être faite. »
Et quid de la libre gestion de la confidence par le patient lui-même ?
Les moyens d’investigations et la finesse des résultats peuvent créer de toutes pièces des situations nouvelles d’exercice du secret professionnel.
« Les patients eux-mêmes n’ont pas toujours la notion de ce qui peut se profiler derrière un simple examen », selon le Dr Norbert Telmon, qui imagine le « cas d’école » d’une femme qui se soumet à une échographie de grossesse, en présence de son mari, et ne sait pas que l’échographe est susceptible de dire avec précision (et à haute voix !) qu’il s’agit d’un embryon de huit semaines, époque à laquelle le mari était à l’autre bout du monde pour affaires ?
À l’inverse, la loi a permis, ces dernières années, de dégager un droit au secret en faveur des mineurs. Bien avant que la loi de mars 2002 permette au mineur de choisir un autre adulte que ses parents pour être dépositaire du secret (article L.1111-5), la loi du 4 décembre 1974 sur le remboursement des contraceptifs par la Sécurité sociale avait supprimé l’interdiction générale de la vente de contraceptifs aux mineurs sans accord parental et autorisé les centres de planification familiale à délivrer, à titre gratuit, des médicaments, produits ou objets contraceptifs, sur prescription médicale, aux mineurs désirant garder le secret (due à la même ministre, cette loi est différente et antérieure de quelques semaines à la loi du 17 janvier 1975 sur l’IVG, dite « loi Veil »).
Confidentialité ? Secret ?
« le secret n’existe que par rapport à sa divulgation (interdite), tandis que la confidentialité est intrinsèque à l’information elle-même » Anne-Marie Duguet, PH, maître de conférences en médecine légale, précise : « En France le patient ne peut pas relever le médecin du secret professionnel : juridiquement, légalement, il n’en a pas le pouvoir ! »
Accueil, secrétariat médical : des secrets au quotidien
Une femme a porté secours à quelqu’un accidenté sur la voie publique. Elle ne connaît pas le nom de la victime, mais avec la date, l’heure et le lieu de l’accident – C’est juste pour prendre des nouvelles, vous comprenez. « Mon rôle va consister à ne pas faire barrage, mais à ne pas donner le nom de ce patient, à ne rien communiquer des renseignements qui le concernent et qui figurent sur l’écran d’ordinateur que j’ai sous les yeux. Je vais simplement orienter mon interlocutrice vers le service. » Sylvie Bentaboulet, adjoint administratif en poste au service d’accueil de Rangueil, reconnaît qu’elle passe fréquemment le relais au personnel soignant. « Le temps que la personne se rende à l’étage que je lui ai indiqué, je peux prévenir l’aide-soignante qui l’accueillera là-haut, de sorte qu’elle ne soit pas prise au dépourvu. »
Il y a les cas particuliers, avec lesquels on ne transige pas : les patients entrés sous X – à la suite d’agressions, de coups et blessures, pour protéger la victime qui est parfois une femme battue que son mari va tenter de retrouver à l’hôpital – pour lesquels l’hôtesse se contente d’un laconique « Cette personne est absente de l’hôpital, prenez contact avec la famille » ; et quelques personnalités en vue qui exercent le droit de tout patient à ne pas laisser révéler qu’il est hospitalisé. « Le critère, à l’accueil, c’est que la personne qui se présente connaisse le nom et le prénom du patient et qu’elle ait au moins une notion des raisons de l’hospitalisation. Dans la plupart des autres cas, notre intuition et notre expérience vont nous permettre d’adopter la bonne attitude, celle qui tient compte de l’angoisse ou de la sollicitude de l’entourage et qui respecte le secret professionnel », résume Sylvie Bentaboulet. « lorsque je vois à l’écran que le patient est décédé. Là encore, j’oriente vers le service, que j’avertis aussitôt. »
Pas d’exception pour la presse !
Un journaliste qui braque sa caméra est, au regard du secret professionnel dont nous sommes dépositaires, un citoyen comme un autre. Les règles juridiques générales énoncées dans ce dossier s’appliquent, sans dérogation, à celle ou celui qui transgresserait son devoir de discrétion en cédant à la demande, fût-elle insistante, d’un journaliste.
Toutefois, la nécessité s’impose de maintenir un système de relais harmonieux et efficace entre l’hôpital et les journalistes. Devant un mur de silence, le journaliste peut rédiger un article « sauvage » dans lequel l’information serait déformée. C’est pourquoi, au CHU de Toulouse, la Délégation de la communication, missionnée par la Direction générale du CHU, remplit le rôle d’interface entre le monde hospitalier et la presse. Elle a élaboré une brochure fort claire intitulée Les médecins, l’hôpital et les médias – Guide de recommandations et de procédures.
Quelques notions de droit
Respect de la vie privée : L’article 9 du Code civil stipule que « chacun a droit au respect de sa vie privée », sans pour autant définir ce droit. La jurisprudence n’en donne pas non plus de définition précise mais elle s’est attachée à en cerner les contours. De ses appréciations successives, on peut conclure que le droit au respect de la vie privée est « le droit pour une personne d’être libre de mener sa propre existence avec le minimum d’ingérences extérieures », ce droit comportant « la protection contre toute atteinte portée au droit au nom, à l’image, à la voix, à l’intimité, à l’honneur et à la réputation, à l’oubli, à sa propre biographie ». Les domaines inclus dans la protection de la vie privée comprennent essentiellement l’état de santé, la vie sentimentale, l’image, la pratique religieuse, les relations familiales et, plus généralement, tout ce qui relève du comportement intime (source : href= »http://www.senat.fr » target= »_blank »).
L’atteinte au secret professionnel : le Code pénal dispose dans son article 226-13 que « la révélation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d’une fonction ou d’une mission temporaire, est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. » Cet article « n’est pas applicable dans les cas où la loi impose ou autorise la révélation du secret », indique l’article suivant. L’article 434-3 confirme l’obligation légale de signaler les privations, mauvais traitements ou atteintes sexuelles infligés à un mineur de quinze ans ou à une personne qui n’est pas en mesure de se protéger. Sont exceptées de ces dispositions : les personnes astreintes au secret professionnel dans les conditions prévues à l’article 226-13, en l’occurrence le personnel soignant.
Le secret professionnel dans le Code de déontologie médicale est défini à l’article 4 : « Le secret professionnel , institué dans l’intérêt des patients, s’impose à tout médecin dans les conditions prévues par la loi. Le secret couvre tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l’exercice de sa profession, c’est à dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu’il a vu, entendu, ou compris. »
L’article 44 est à rapprocher du 434-3 du Code pénal : « Lorsqu’un médecin discerne qu’une personne auprès de laquelle il est appelé est victime de sévices ou de privations, il doit mettre en oeuvre les moyens les plus adéquats pour la protéger en faisant preuve de prudence et de circonspection. S’il s’agit d’un mineur de quinze ans ou d’une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son état physique ou psychique il doit, sauf circonstances particulières qu’il apprécie en conscience, alerter les autorités judiciaires, médicales ou administratives. » [C’est nous qui soulignons, la réserve évoquée prévenant l’apparente contradiction avec le Code pénal, qui épargne la sanction aux professionnels astreints au secret en cas de non-signalement].
L’obligation de réserve des fonctionnaires : L’article 6 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires reconnaît que la liberté d’opinion est garantie aux fonctionnaires. Cependant, dans l’expression de leurs opinions, ces derniers sont soumis à une obligation de réserve définie par la jurisprudence au cas par cas.
« Admis(e) dans l’intimité des personnes, je tairai les secrets qui me seront confiés. Reçu(e) à l’intérieur des maisons, je respecterai les secrets des foyers […] Que les hommes et mes confrères m’accordent leur estime si je suis fidèle à mes promesses ; que je sois déshonoré(e) et méprisé(e) si j’y manque. » (Serment médical prononcé par tout nouveau médecin admis à exercer)
« Le » L.1110-4 Un article essentiel de la loi de 2002, qui concerne tous les professionnels de l’hôpital, sans exception.
La loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé traite dans un long article, désormais intégré au Code de la santé publique, du secret professionnel et de son exercice collectif : pas de limitation quant à la nature des informations concernant le patient, pas de limitation dans les fonctions des personnels hospitaliers (ou des personnes en relation professionnelle avec l’hôpital) concernés par le secret, mais possibilité explicite de partager le secret entre professionnels de santé, toujours dans l’intérêt du patient. Tout professionnel travaillant au CHU doit avoir lu au moins une fois ce long article, de la première à la dernière ligne.
« Art. L. 1110-4. – Toute personne prise en charge par un professionnel, un établissement, un réseau de santé ou tout autre organisme participant à la prévention et aux soins a droit au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant.
« Excepté dans les cas de dérogation, expressément prévus par la loi, ce secret couvre l’ensemble des informations concernant la personne venues à la connaissance du professionnel de santé, de tout membre du personnel de ces établissements ou organismes et de toute autre personne en relation, de par ses activités, avec ces établissements ou organismes. Il s’impose à tout professionnel de santé, ainsi qu’à tous les professionnels intervenant dans le système de santé.
« Deux ou plusieurs professionnels de santé peuvent toutefois, sauf opposition de la personne dûment avertie, échanger des informations relatives à une même personne prise en charge, afin d’assurer la continuité des soins ou de déterminer la meilleure prise en charge sanitaire possible. Lorsque la personne est prise en charge par une équipe de soins dans un établissement de santé, les informations la concernant sont réputées confiées par le malade à l’ensemble de l’équipe.
« Afin de garantir la confidentialité des informations médicales mentionnées aux alinéas précédents, leur conservation sur support informatique, comme leur transmission par voie électronique entre professionnels, sont soumises à des règles définies par décret en Conseil d’État pris après avis public et motivé de la Commission nationale de l’informatique et des libertés. Ce décret détermine les cas où l’utilisation de la carte professionnelle de santé mentionnée au dernier alinéa de l’article L. 161-33 du code de la sécurité sociale est obligatoire.
« Le fait d’obtenir ou de tenter d’obtenir la communication de ces informations en violation du présent article est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.
« En cas de diagnostic ou de pronostic grave, le secret médical ne s’oppose pas à ce que le famille, les proches de la personne malade ou la personne de confiance définie à l’article L. 1111-6 reçoivent les informations nécessaires destinées à leur permettre d’apporter un soutien direct à celle-ci, sauf opposition de sa part.
« Le secret médical ne fait pas obstacle à ce que les informations concernant une personne décédée soient délivrées à ses ayants droit, dans la mesure où elles leur sont nécessaires pour leur permettre de connaître les causes de la mort, de défendre la mémoire du défunt ou de faire valoir leurs droits, sauf volonté contraire exprimée par la personne avant son décès. »
Le comportement humain ne doit pas être entière géré par des textes
Le Dr Norbert Telmon, praticien hospitalier dans le service de médecine légale du Pr Daniel Rougé à Rangueil, y voit une véritable révolution : « On estimait jusqu’alors que le secret était l’affaire du médecin ? et l’on parlait de secret médical ?, et voilà, avec la nouvelle définition du législateur, que tous les professionnels sont susceptibles d’être concernés, et qu’il s’agit dès lors d’un secret professionnel. Le législateur a voulu que chacun soit dépositaire d’une part de responsabilité, donc d’un ?petit bout? de secret? Il a orienté son approche vers un exercice collectif de la médecine. »
En ce sens, la loi du 4 mars 2002, à travers son article L .1110-4, officialise le secret partagé au sein de l’équipe. D’autre part, le support est cette fois légal et non plus déontologique. Toutefois, pour Norbert Telmon, « le comportement humain en matière médicale ne doit pas être entièrement géré par des textes légaux. Des espaces doivent rester vacants pour le choix éthique. Aujourd’hui, l’encadrement légal est suffisamment étroit pour éviter les dérives, et assez flexible pour permettre des approches éthiques sur des situations singulières. »
« A priori, tout ce qui est confié par le patient fait partie du secret. Sauf? et l’on pourrait dérouler ici une liste non limitative d’exceptions. La règle absolue se déclinera, par exemple, dans une ?sous-règle? professionnelle simple : on ne donne à personne, par téléphone, des nouvelles du patient. Or, tous les jours, médecins et infirmières transgressent cette règle, car le secret ne doit pas empêcher de rassurer la famille. Le secret professionnel, c’est le noyau dur, et puis il y a l’exception, qui rend la règle belle et juste. Gérer l’exception ne peut s’acquérir qu’au sein des équipes soignantes, c’est le fruit d’un compagnonnage qui s’apprend sur le tas. »