A l’heure où l’on vit globalement plus vieux que les générations précédentes, le sujet de la dépendance constitue un véritable enjeu de santé publique. C’est vrai aujourd’hui, cela sera davantage le cas demain puisqu’on estime que 618 millions de personnes seront concernées par la perte d’autonomie à l’horizon 2050. Au CHU de Toulouse, on a décidé d’investir ce terrain via le programme de l’Organisation Mondiale de la Santé ICOPE, destiné à favoriser le vieillissement en bonne santé. Il y a quelques jours, conjointement avec son gérontopôle, centre collaborateur de l’OMS sur la fragilité, les équipes du CHU ont publié dans le Lancet Healthy Longevity l’étude intitulée “Implementation of the WHO integrated care for older people (ICOPE) programme in clinical practice: a prospective study” afin de démontrer, au regard de son expérience au niveau régional, qu’il est possible de mettre en oeuvre, et à grande échelle, le programme ICOPE.
ICOPE, mode d’emploi
Sur quoi ce programme repose-t-il ? Proposé depuis 2019 par l’OMS, ICOPE, qui s’adresse aux personnes de soixante ans et plus, parfaitement autonomes et résidant à leur domicile, est basé sur le suivi régulier de six fonctions essentielles au maintien de l’indépendance : la mobilité, la nutrition, la vision, l’audition, l’humeur et la cognition. Quant à sa mise en œuvre, elle se décline en cinq étapes réalisables au sein de la filière des soins primaires (dépistage, évaluation intégrée, plan de soin personnalisé, suivi du plan de soin, implication des collectivités et aide aux aidants) et s’appuie essentiellement sur les professionnels de santé, du secteur médico-social et social.
A Toulouse, le Gérontopôle du CHU, coordonné par le Pr Bruno Vellas, a très rapidement saisi l’opportunité. Avec l’appui financier de l’ARS, de la Région et du POCTEFA (Programme Interreg V-A Espagne-France-Andorre), cela fait maintenant trois ans qu’il développe ICOPE (dans le cadre du projet de santé public INSPIRE) à l’échelle de l’Occitanie, deuxième plus grande région métropolitaine. Une vaste action de prévention qui confirme aujourd’hui toute sa pertinence, l’étude du Lancet Healthy Longevity s’appuyant sur des résultats obtenus sur près de deux ans (janvier 2020 – novembre 2021) auprès de dix milles personnes. “L’OMS adresse ses félicitations au CHU de Toulouse, son centre collaborateur, pour le déploiement de l’approche ICOPE, qui comprend l’utilisation d’outils numériques et l’engagement d’équipes multidisciplinaires dans les établissements de soins”, a déclaré le Dr Anshu Banerjee, Directeur du Département Santé de la mère, du nouveau-né, de l’enfant et de l’adolescent, et vieillissement au sein de l’OMS.
Si la France n’est pas la seule à s’être lancée dans le déploiement du programme ICOPE (la Chine, l’Inde, Andorre et d’autres l’ont fait également), elle reste aujourd’hui le seul pays à avoir intégré le plus grand nombre de patients dans une cohorte digitale, permettant ainsi un bilan.
En faire bénéficier soixante mille personnes d’ici 2025
Outre la description du déploiement d’ICOPE et une prise de connaissance par l’ensemble de la communauté internationale de l’existence du programme, l’étude a poursuivi plusieurs autres objectifs : permettre une description de la prévalence des différents types de déclins observés ainsi que le niveau d’adhésion des sujets au suivi de leur état de santé, évaluer la satisfaction des participants, marqueur essentiel de la réussite du programme. Au final, le nombre élevé de participants inclus, de même que leur adhésion dans le temps, indiquent que la mise en œuvre à grande échelle d’ICOPE dans la pratique clinique est faisable (voir détails de l’étude plus bas). “La prévalence importante de tests de dépistage positif, suggérant un déclin dans la capacité intrinsèque, ainsi que les taux élevés de déficits confirmés lors de l’étape 2 (évaluation intégrée), montrent que le programme INSPIRE ICOPE-CARE cible les personnes présentant un risque accru de perte fonctionnelle et offre la possibilité de prévenir concrètement la dépendance”, affirme le CHU.
Aujourd’hui, le Gérontopôle de Toulouse a inclus plus de vingt mille sujets âgés dans le programme INSPIRE ICOPE- CARE. Avec le soutien de l’ARS Occitanie et de ministère de la santé et de la prévention, ce sont soixante-mille personnes âgées de soixante ans et plus qui devraient bénéficier du programme en Occitanie d’ici 2025. Sur le plan national, l’expérience séduit. Sept autres régions françaises sont désormais impliquées.
La rédaction avec le CHU de Toulouse
Détails de l’étude
Entre le 1er janvier 2020 et le 18 novembre 2021, 10 903 personnes âgées (âge moyen 76,0 ans ; 60,8 % femmes) ont bénéficié d’un premier test de dépistage (étape 1 d’ICOPE) dont 10 285 (94,3%) présentant un dépistage positif. Les atteintes le plus souvent observées concernent la vue, la mémoire, l’audition, l’humeur, la mobilité et la perte de poids.
Parmi elles, 958 (9,3%) ont bénéficié d’une évaluation approfondie de leurs fonctions (étape 2 d’ICOPE) et d’un plan de soin personnalisé (étape 3 d’ICOPE) qui ont permis de confirmer un déclin à la capacité intrinsèque chez 865 (90,3 %) participants.
Parmi 7 367 participants éligibles au suivi (inclusion au moins 6 mois avant le 18 novembre 2021), 5 185 ont eu un suivi de l’étape 1 à 6 mois soit un taux d’adhésion au suivi de 70,4%. Une enquête de satisfaction réalisée auprès de 1 215 seniors participant au programme INSPIRE ICOPE-CARE (âge moyen 72,5 ans, 55,6% femmes) a montré que 638 (52,5%) ont utilisé les outils numériques en total autonomie, 82 (6,7%) avec l’aide d’un proche et 495 (40,7 %) ont été évalués par un professionnel.
Parmi ceux ayant utilisé les outils numériques sans assistance ou avec l’aide d’un proche (n=720), 563 (78,2%) étaient globalement satisfaits de l’outil numérique qu’ils ont utilisé (ICOPE MONITOR ou ICOPEBOT).