L’histoire du Cœur Carmat, invention potentiellement inestimable pour la science et le bien-être de l’humanité, est révélatrice du chemin complexe et parfois douloureux qu’emprunte le progrès médical ; création fragile et composite où se mêlent le génie et la détermination des chercheurs et ingénieurs, l’engagement des investisseurs* et aussi le courage voire l’héroïsme des premiers patients qui acceptent de participer à un essai clinique novateur, en toute connaissance de cause. Début mars, l’aventure scientifique et industrielle du Cœur Carmat prenait un tournant tragique avec le décès du premier patient porteur d’un cœur artificiel autonome qui suscitait un émoi planétaire. « Soixante-quinze jours après l’implantation du premier cœur artificiel bioprothétique Carmat chez un homme de 76 ans souffrant d’une insuffisance cardiaque terminale, le malade est décédé le 2 mars 2014. » annonçait l’Hôpital européen Georges-Pompidou (AP-HP) dans un communiqué daté du lendemain. L’AFP relaie immédiatement la nouvelle. Quelques jours plus tard dans les colonnes du journal du dimanche du 15 mars, le nom du patient est révélé, il s’agit de Claude Dany. Saluant son engagement, le Pr Alain Carpentier, père du cœur bioprothétique a rendu hommage à cet homme et à travers lui à tous les patients « qui acceptent de participer à des thérapeutiques nouvelles (…) véritables pionniers du progrès médical. »
Retour sur un événement couvert par les plus grands médias mondiaux
La dépêche de l’AFP du 3 mars titre « Décès du malade ayant bénéficié de la 1ère implantation du coeur artificiel Carmat » et reprend le communiqué de l’hôpital. L’AFP souligne aussi l’originalité du Cœur Carmat "un cœur artificiel implantable, total, biologique et définitif" précise le Pr Fabiani, capable de reproduire le fonctionnement du cœur naturel et donc de pallier les machines temporaires posées dans l’attente du greffe et la pénurie de greffon et les traitements lourds qui accompagnent les transplantations.
S’en suivent aussi des interrogations sur le maintien des futures transplantations prévues « soit à l’hôpital Georges-Pompidou, soit à Marie-Lannelongue au Plessis-Robinson ou encore au CHU de Nantes. »
La dépêche cite également les condoléances que la ministre de la Santé, Marisol Touraine a adressé à la famille du patient ainsi que son soutien "aux équipes qui luttent sans relâche pour faire avancer la médecine »
La journaliste rappelle que « tous les patients en insuffisance cardiaque ne pourront pas en bénéficier. Cet appareil de 900 grammes, plus lourd qu’un cœur humain (300 g), ne peut pour l’instant être implanté que chez des personnes corpulentes : il est compatible avec 70% des thorax des hommes et 25% de ceux des femmes. »
Il est aussi précisé que « Les causes du décès ne pourront être connues qu’après l’analyse approfondie des nombreuses données médicales et techniques enregistrées ». Mais déjà les médecins soulignent « l’importance des premiers enseignements qu’ils ont pu tirer de ce premier essai clinique, concernant la sélection du malade, le suivi postopératoire, le traitement et la prévention des difficultés rencontrées. »
L’avis de décès du patient resté anonyme est repris dans tous les journaux nationaux et internationaux.
Le 4 mars, le Monde et l’AFP relaient la décision de Carmat de maintenir le programme d’essai et note que le marché du cœur artificiel est évalué à 16 milliards d’euros : La première phase qui doit durer un mois à compter de l’implantation du quatrième malade, portera avant tout sur la sécurité de la prothèse. Au cours d’une seconde phase se déroulant sur six mois et visant à mesurer son efficacité, Carmat élargira ses tests à 20 malades tout en augmentant le nombre des centres d’implantation en France et à l’étranger. » Rien qu’en Europe ou aux USA, le nombre de personnes potentiellement concernées s’élève entre 100 000 et 120 000. Le prix de cette prothèse étant évalué entre 140 000 et 180 000 euros alors qu’une transplantation classique coûte 250 000 euros en France.
Le 15 mars, le journal du dimanche révèle l’identité du patient jusque-là toujours tenue secrète. Son nom Claude Dany « appartient à l’histoire » témoigne le Pr Carpentier qui évoque sa précieuse contribution. «Ce patient nous a aidés à franchir un pas considérable ». Le chirurgien reconnaît que « Dans la lutte contre la maladie, le médecin n’est pas seul. Par son courage et sa confiance, le malade occupe une place essentielle.» Quant aux causes, le Pr Carpentier avance une explication « (…) le cœur s’est arrêté brusquement. Il y a eu un court-circuit. Cela a entraîné un arrêt cardiaque identique à celui que peut présenter un cœur naturel pathologique.(…) Grâce à Claude Dany « nous améliorons déjà la préparation et donc la réussite des prochaines implantations, ainsi que le confort du malade."
Sa famille loue le courage de cet époux et père. Pour sa fille Isabelle, Claude Dany est un pionnier, un héros « À mes yeux, il n’a pas donné son corps, il a donné sa vie. Malgré notre chagrin, on n’en veut à personne : ce cœur, on y a cru, il faut que la recherche continue. » Son épouse revient sur les 10 années de maladie cardiaque de Monsieur Dany, ses hospitalisations à répétition, ses 23 cachets quotidiens et la décision de participer à l’essai. Les membres de la famille n’étaient pas tous d’accord mais ils ont respecté la décision de leur parent. « Après l’opération témoignent-ils, il y eut 3 semaines d’amélioration continue puis le malaise le 10 janvier suivi d’une ré-opération « et ensuite la dégringolade, l’infection du poumon, la trachéotomie, le respirateur artificiel, les ulcères à l’estomac, septicémie, puis une infection dans l’intestin. Parce que Claude Dany a donné sa vie à la médecine, l’essai doit continuer. « Même si ça n’a pas fonctionné comme on aurait aimé, ce cœur Carmat fonctionnera un jour ». confie sa fille Isabelle.
Le 19 mars, Le Monde revient sur la communication dissonante entre les acteurs notant que le 3 mars, le président de Carmat, Jean- Claude Cadudal qui s’entretenait avec le journal citait « les étapes suivantes comme si de rien n’était, alors que le patient était décédé la veille. Sa mort ne sera annoncée que cinq heures plus tard, par un communiqué de l’hôpital Georges-Pompidou envoyé dans la soirée aux rédactions. Une hésitation qui traduit un certain malaise, alors qu’il est à ce stade impossible de déterminer avec certitude si un dysfonctionnement de la prothèse est en cause.» Pour expliquer cette discordance, Sandrine Cabut et Chloé Hecketsweiler évoquent les montagnes russes de l’action en Bourse « où la moindre inflexion de la communication se traduit en euros. Introduite à un peu moins de 20 euros à l’été 2010, l’action en vaut près de 90 ce 19 mars après avoir frôlé les 180 euros à l’été 2011. » et le fait que les actions sont détenus par 9 000 petits porteurs. Pour l’heure « Carmat garde la confiance de ses principaux financeurs (…) dont celui de la Banque publique d’investissement (Bpifrance), qui finance le projet à hauteur de 33 millions d’euros. » concluent les journalistes.
* Le cœur Carmat aura nécessité plus de 100 millions d’euros d’investissement
Les internes prennent goût aux palmarès
Après la publication en février 2014 du palmarès des CHU et des spécialités préférés des internes par What’s up doc "le magazine des jeunes médecins", c’est au tour du Parisien du 19 mars de sortir le classement inédit des villes qui « forment le mieux les internes ». L’étude porte sur de la qualité de la formation des 28 facultés de médecine de France. « Avec ce classement, explique le quotidien à ses lecteurs, vous allez savoir si le médecin qui exerce en bas de chez vous a été bien formé. En regardant sa plaque, vous verrez si « l’ancien interne des hôpitaux de… » vient d’une bonne fac ou non ».
L’Intersyndicat national des internes (ISNI) a mené l’enquête auprès de 5 600 futurs médecins. Les résultats révèlent la grande hétérogénéité de cet enseignement évalué à l’aune de critères de qualité, d’organisation, de niveau scientifique, d’adaptation des cours au futur exercice médical… Résultats Lille arrive en tête devant Angers, Nantes, Paris (toutes facultés confondues) et Toulouse. En queue de peloton, on retrouve Limoges, Nice, Caen et les Antilles-Guyane. Marseille ferme la marche, recueillant par ailleurs le taux le plus fort d’étudiants insatisfaits (83,4 %).
Tableau d’honneur des 28 facultés de médecine
Lille 1, Angers 2, Nantes 3, Paris 4, Toulouse 5, Nancy 6, Amiens 7, Rouen 8, St-Etienne 9, Brest 10, Tours 11, Montpellier 12, Besançon 13, Poitiers 13 bis, Rennes 15, Grenoble 16, Clermont-Ferrand 17, Bordeaux 18, Dijon 19, Océan Indien 20, Lyon 21, Strasbourg 23, Limoges 24, Nice 25, Caen 26, Antilles-Guyane 27 et Marseille 28.
Plus de 5 600 internes (sur les 19 000 actuellement engagés dans le 3e cycle des études médicales dans les 28 villes de facultés de France) ont répondu (30%) par voie électronique au questionnaire diffusé par le syndicat entre juillet et octobre 2013. Six mois d’analyse ont été nécessaires pour établir ce premier classement de la qualité de la formation. Cette enquête informe aussi sur la qualité de l’enseignement des spécialités. En tête, la médecine du travail, l’anesthésie-réanimation, l’anatomo-pathologie, la médecine nucléaire et la psychiatrie. Et au bas du tableau certaines spécialités figurant pourtant parmi les premiers choix des internes à l’issue des épreuves classantes nationales comme la neurologie, la cardiologie, la chirurgie, la dermatologie, la gastroentérologie et la neurochirurgie.
Enfin, il apparaît que les internes ont de plus en plus recours à des formations complémentaires « pour pallier leur cursus médical initial insuffisant ». La moitié d’entre eux suit un diplôme universitaire (DU-DIU), un master ou des réunions de sociétés savantes. Les futurs médecins sont même 20 % à juger ces enseignements complémentaires indispensables pour valider leur formation.
« Les internes dépensent au minimum 1 150 euros par an pour leur formation théorique obligatoire (DES + doctorat + master…) qu’ils financent majoritairement eux-mêmes », affirme l’ISNI, les laboratoires ayant dorénavant l’interdiction de les prendre en charge.
Interrogé par le Parisien Dominique Perrotin, président de la conférence des doyens des facultés de médecine déclare que « la formation des internes à la française, qui se fait essentiellement au lit du malade, doit être préservée, mais aussi améliorée. Mais il faut être un peu plus exigeant au niveau universitaire. On doit davantage évaluer les étudiants ».
Soucieux de garantir une formation de qualité sur l’ensemble du territoire et dans toutes les spécialités, les internes remettront les conclusions de leur enquête à Geneviève Fioraso.
Marie-Georges Fayn
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