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Priscilla Bounat, témoignage d’un médecin en prison

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Ancien médecin militaire, Priscilla exerce depuis quatre ans au centre pénitentiaire de Gradignan. Lors du tournage de Soigner en prison, documentaire de vingt-six minutes réalisé par Adrien Morcuende et produit par CHU Média, nous l’avons interrogée sur les particularités de ce métier largement méconnu du grand public et du reste des hospitaliers.

Qu’est-ce qui vous a amené à exercer dans le milieu pénitentiaire ?  

Avant j’étais médecin militaire. Je connaissais la prison mais à l’époque où j’ai fini mon internat, il n’y avait pas de poste disponible. J’ai donc fait du libéral.  J’ai toujours dit que je voulais travailler en milieu pénitentiaire. Donc quand un poste s’est libéré, il y a bientôt quatre ans de cela, on m’a fait signe et je suis revenue travailler ici. Et depuis je suis là. 

Vous rappelez-vous votre arrivée ? Est-ce que cela a cassé la vision que vous aviez de la prison ou des détenus en général ? 

La première fois que je suis venue, j’étais interne. C’était un stage, j’avais l’habitude de changer d’environnement tous les six mois. Finalement, c’était là aussi un changement d’environnement. J’avais des collègues et des proches qui étaient déjà venus en stage ici, voire qui avaient pris des postes ici. Ils m’avaient donc déjà parlé de la détention, j’avais donc l’impression de connaître et en même temps, la première fois où on passe les murs de la prison, il y a cet effet un peu choquant du bruit, des odeurs, des grilles, de la sur-sollicitation sensorielle permanente. Et puis, même si on sait ce qu’est la prison de manière théorique, dans les faits, se dire que derrière chaque porte il y a une, deux ou trois personnes en fonction des cellules, c’est quelque chose qui est intellectuellement assez choquant. On ne pourrait pas travailler ici de toute façon si on avait en permanence ce choc carcéral. Cela peut nous revenir à certains moments, dans certaines consultations ou dans certaines situations. Mais c’est une chose à laquelle on s’habitue. 

Quelles sont les spécificités du soin en prison ? 

Ce qui pourrait être différent c’est qu’on est essentiellement face à un public précaire donc on va se rapprocher de services de permanence et d’accès aux soins de santé. Il faut s’adapter au fait que les patients puissent refuser les soins à certains moments ou ne pas être très observants. Parfois, il faut chercher les patients pour les amener et les réintégrer dans un parcours de soin. 

En détention, il faut prendre en compte le fait qu’il y a une relation tripartite : il y a le patient, les soignants et l’administration pénitentiaire ou la justice de manière générale. Par exemple, un patient peut nous dire qu’il veut voir nos collègues psychologues, non pas parce qu’il a un problème psychologique mais parce que ça va lui servir aux RPS (remises de peine supplémentaires) s’il peut justifier d’un suivi quelconque en détention. On a donc cette relation avec la Justice qui peut un peu biaiser la relation parce que soit ils veulent des soins alors qu’ils n’en n’ont pas besoin ou bien, parfois, ils ne veulent pas accéder à nous parce qu’ils ont peur. On leur spécifie bien qu’on est soumis au secret professionnel.

Priscilla Bounat à la prison de Bordeaux- Gradignan. Crédit photo : Adrien Morcuende

Pouvez-vous nous parler d’une journée type dans votre métier ? 

Les journées sont à la fois régulièrement les mêmes et, à la fois, on ne sait jamais vraiment comment ça va se passer. On arrive le matin, généralement sur le coup de huit heures et demi pour l’arrivée des médecins. La matinée est dédiée à voir principalement les entrants donc les gens en détention qui sont arrivés quarante-huit heures plus tôt. On a besoin de connaître la situation globale du patient. Est-ce qu’il est condamné et à quelle peine, ou s’il est prévenu. Tout cela nous permet d’orienter nos prises en charge. Un patient qui va rester quinze jours versus un patient qui va rester plusieurs années, on ne prend pas la même relève derrière en termes de soins, de continuité des soins. Les faits pour lesquels ils sont condamnés, c’est quelque chose qu’on a pas besoin de savoir. Parfois cela peut venir spontanément dans la consultation parce que les patients ont besoin de parler des faits qui les ont amenés ici. Ils ont besoin de décharger, d’exprimer leur colère ou leur tristesse d’être ici. La seule chose que je leur demande de manière systématique c’est sur les consommations d’alcool ou toxiques pour pouvoir prendre en charge les éventuels sevrages induits par l’arrivée en détention.

L’autre type de consultation c’est la consultation tout venant donc à la demande du patient ou sur signalement pénitentiaire. Il y a classiquement des consultations de rendu de résultat, de sortie mais qui sont souvent différées ou non réalisées du fait de la surpopulation. On prend en charge toute urgence médicale survenant en détention, nécessitant alors d’arrêter les soins planifiés. Un détenu qui a une demande médicale doit se signaler par voie de bon. C’est-à-dire qu’il doit nous écrire un mot dans lequel il note son nom, son prénom. S’il est capable d’écrire en Français, il nous explique un peu sa problématique. S’il n’est pas capable d’écrire en Français, il y a des pictogrammes qui sont dessinés sur le bon, qui permettent de cocher et nous permettent d’avoir une idée de la problématique qui est la sienne. 

Le profil type ca va être celui d’un homme français ou étranger, assez jeune, qui va avoir principalement des comorbidités addictologiques, psychiatriques, pas forcément de pathologies somatiques associées ou des pathologies plutôt traumatologiques. La proportion de patients non-francophones est assez élevée, ça nous demande de l’adaptation en termes de consultation. Sur la matinée, il peut aussi y avoir la visite au quartier disciplinaire et au quartier d’isolement. 

Certains détenus refusent-ils les soins ? 

[Refuser les soins], c’est une façon de pouvoir s’exprimer. Ils sont privés de liberté. Il y a beaucoup de choses qu’ils ne peuvent pas faire, refuser c’est encore quelque chose qu’ils ont le droit de faire ici. Parfois, par mécontentement qui n’a rien à voir avec nous, ils peuvent refuser des soins parce que c’est une façon aussi d’exprimer que ça ne va pas. Nous il faut qu’on apprenne à jouer avec ça, avec ce refus et dire “ok, il a refusé mais en fait je vais lui reproposer.”

P. Bounat et un patient au quartier disciplinaire. Crédit photo : Adrien Morcuende.

Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est le quartier disciplinaire ? 

Le quartier disciplinaire est un quartier punitif. On y retrouve ceux qui ont fait quelque chose de répréhensible en détention. Cela peut être une détention de matériel illicite, un téléphone portable par exemple. Après cela concerne  les situations de violences : violence entre détenus, violence contre le personnel. Cela peut aller jusqu’à une condamnation de trente jours de quartier disciplinaire. 

L’arrivée au quartier disciplinaire se passe en compagnie d’un surveillant qui est souvent gradé et un surveillant du quartier disciplinaire ou d’isolement. À partir de là, on fait le tour de toutes les cellules qui sont occupées. Le surveillant ouvre la cellule, je me présente comme le médecin de l’UCSA [aujourd’hui, USMP], je demande si la personne a besoin de me voir. Si la personne me dit non, généralement je leur fais réitérer ce refus pour être sûr. S’ils demandent une consultation avec moi, je leur demande si je peux rentrer dans la cellule et je demande aussi à l’administration pénitentiaire parce qu’il n’est pas forcément possible d’ouvrir toutes les cellules en fonction du profil des patients. Il y a des “gestions menottées ou équipées”, ou les agents doivent se mettre en tenue de protection. La consultation, elle, se fait hors la présence de l’administration pénitentiaire. 

Le quartier d’isolement n’est pas un quartier punitif. C’est un quartier pour isoler des détenus du reste de la détention pour des raisons qui peuvent être multiples : pour leur protection propre ou la protection des autres détenus en fonction de leur profil, en lien avec soit une médiatisation de leur affaire qui fait qu’il est mieux de les isoler du reste de la détention ou de par leur profession (policiers, magistrats qui sont incarcérés etc.). 

Y a-t-il eu des moments où vous avez eu peur ?

Peur ? Oui. Oui bien sûr, ça peut arriver. On reste dans un environnement qui peut être dangereux. Après la peur, il ne faut pas qu’elle guide nos prises en charge en permanence mais il faut avoir conscience qu’on travaille dans un environnement avec des patients qui effectivement peuvent vriller pour plein de raisons. Des patients en colère, on en a souvent. Pour le coup, j’ai été victime d’agression au mois de mai 2022. Mais n’importe quel contexte dans lequel on prend en charge des patients peut amener à de l’agression. J’ai déjà eu peur en médecine de ville, j’ai déjà eu peur aux urgences, plus qu’en détention. 

Une cellule au centre pénitentiaire de Bordeaux-Gradignan. Crédit photo : Adrien Morcuende

Y a-t-il des pathologies qui naissent en prison ? 

On a des pathologies réactionnelles à la détention, somatiques ou psychiatriques d’ailleurs. Sur le versant somatique, on a beaucoup de gens qui ont mal au dos, qui souffrent de lombalgies ou de dorsalgies. C’est quelque chose qu’on voit absolument tous les jours. On va aussi avoir d’autres pathologies induites par la détention comme la constipation. Aller à la selle dans une cellule de 7 à 9 m2 où il y a trois personnes et où le coin d’intimité est assez restreint, ce n’est pas forcément facile. Ils peuvent attendre que le codétenu aille en promenade, en activité ou à la douche pour aller aux toilettes mais ce moment n’arrive pas forcément. Les détenus ont par ailleurs un accès à l’eau qui existe en cellule avec un robinet mais ils n’aiment pas consommer l’eau du robinet pour des représentations en lien avec l’hygiène. Dans leurs représentations, l’eau peut être souillée donc ils boivent de l’eau en bouteille, et c’est conditionné au fait qu’ils la reçoivent. Ils boivent donc moins d’eau et ils ont une activité physique qui s’amoindrit. Et puis après, on a des pathologies anxieuses comme des patients qui se scarifient à cause des conditions de détention, de leur condition pénale. Il peut y avoir plein de choses qui mènent à ce passage à l’acte-là sans forcément qu’il y ait d’idées suicidaires sous-jacentes. 

On a également toutes les pathologies en lien avec l’addictologie. L’arrivée en prison induit pour la plupart des substances, un sevrage qui n’est pas volontaire de la part du patient. C’est une prison en charge spécifique à mettre en place. La dernière chose ça va être la traumatologie de manière générale parce qu’ils jouent au foot par exemple. Ce qui est une certitude, c’est que les pathologies psychiatriques sont sur-représentées en prison. 

Une consultation pour dorsalgie. Crédit photo : Adrien Morcuende

L’accès au soin en détention est-il identique à l’extérieur ?

C’est notre mission de pouvoir assurer un soin identique à la population générale. L’accès au soin, à l’heure actuelle, est-ce qu’il est identique ? Tout dépend de quel accès au soin on parle. Sur l’accès au soin à l’intérieur de la détention, qui ne nécessite pas d’accès à l’extérieur, j’aurais tendance à dire que oui parce que même dehors, c’est difficile. Le sous-effectif médical existe partout. 

Pour ce qui est des soins à l’hopital, l’administration pénitentiaire souffre elle aussi d’un sous-effectif assez important et donc l’extraction vers l’hôpital peut être compliquée, avec une nécessité de reprogrammer régulièrement des rendez-vous, voire de les annuler. Parfois, l’accès aux soins, qui pourrait prendre quelques semaines si on est à l’extérieur, peut prendre quelques mois voire plus d’un an pour des patients qu’on est obligés de reprogrammer quatre, cinq fois. 

Vous avez suffisamment de moyens pour faire face à la demande au sein la prison (qui compte 800 détenus pour 430 places) ?

On a besoin de plus de monde parce que nos missions sont très nombreuses et que c’est important de pouvoir toutes les faire. Après, il y a mon regard aussi de médecin qui a fait de la médecine de ville et de citoyenne qui se dit que c’est compliqué partout. 

 

Propos recueillis par Adrien Morcuende et Océane Rolland 

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