Pourquoi un centre de santé ici, dans le quartier des Aygalades ?
Les quartiers Nord de Marseille sont une zone géographique importante par la surface et par le nombre de personnes qui y habitent. On a une particularité, c’est que les transports en commun sont extrêmement complexes, et de nombreuses personnes ne sont pas véhiculées. Pour ce rendre dans un centre de soin, c’est un petit peu complexe pour elles. Après, on a une difficulté sur l’offre de soin, car, comme dans de nombreuses régions françaises, le nombre de médecins généralistes est en diminution. Et puis ces quartiers sont un peu stigmatisés. C’est à dire que pour de nombreux jeunes généralistes, soit ils arrivent et se disent “c’est trop lourd pour moi ”, soit, tout simplement, c’est le quartier qui est stigmatisé par les questions de violence ou de sécurité. S’installer seul ou prendre le rôle d’un médecin qui le plus souvent travaille tout seul, ce n’est pas quelque chose que les jeunes aiment. Il y a par ailleurs beaucoup moins de spécialistes installés dans les quartiers Nord. Des endocrinologues il n’y en a pas, des rhumatologues très peu, et les quelques uns qui restent sont peut être bientôt à la retraite. Donc, on a un problème d’offre, de médecins généralistes et de médecins spécialistes.
Comment parlez-vous de cet environnement de travail ?
C’est vrai que c’est toujours difficile de parler d’un quartier, d’une population. C’est déjà une population qui est souvent stigmatisée parce que, sur Marseille, quand on dit les quartiers Nord, ou même dans d’autres villes de France, on a l’impression d’avoir tout dit : “c’est une zone difficile, c’est une zone dangereuse, c’est des gens particuliers, bizarres… ». Et en fait, il faut vraiment passer au-delà, bien au-delà de ça, pour réaliser que les personnes qui vivent ici, sont comme tout le monde, avec des difficultés peut-être supplémentaires. C’est toujours important de bien comprendre que c’est un quartier, je dirais, comme un autre, avec des spécificités.
Quel constat faites-vous sur le niveau de santé local ?
Le niveau de santé de la population est particulièrement sensible. On a de nombreuses personnes qui ont des problèmes de santé importants, de maladies chroniques, comme le diabète, l’obésité et les conséquences de l’obésité, des maladies cardiovasculaires, les cancers qui sont liés à la fois à une mauvaise qualité de l’alimentation et des facteurs de risque comme le tabagisme, ou certaines addictions qui posent aussi évidemment problème. On a également des problématiques de l’enfant, avec des enfants pas toujours suffisamment vaccinés, des problématiques de troubles d’apprentissage qui sont pas toujours suffisamment dépistés. On a un problème également quelquefois culturel : on ne sait pas quand voir le médecin généraliste, quand voir le spécialiste, à quel moment la situation devient urgente […] Il peut y avoir des réticences aussi, tout simplement parce que la santé n’est pas perçue de la même manière par tous. Être un peu costaud, un peu redondant, en terme pondéral, cela va être important pour certaines personnes. Pour d’autres, au contraire, cela peut être un signe de réussite. Il y a beaucoup d’aspects d’éducation, de représentation, de fausses croyances, des choses comme ça. Et c’est un peu sur tous ces aspects-là qu’il faut jouer pour pouvoir améliorer l’état de santé des gens, et réduire surtout les inégalités de santé que nous avons sur ce territoire.
Comment ce centre fonctionne-t-il ?
Je crois que la particularité d’un centre de santé, par rapport à un exercice libéral isolé, c’est que je reçois le patient finalement comme médecin généraliste sauf qu’en fonction des problématiques que la personne va présenter, je vais pouvoir par exemple rencontrer la diététicienne et lui parler de présenter la situation de monsieur, madame ou de l’enfant un tel. A partir de là, la diététicienne va rappeler le ou la patiente et instaurer une démarche. De la même manière, si les choses sont un peu plus complexes, cela va peut-être impliquer des réunions pluri-professionnelles avec la diététicienne, la psychologue, et moi-même, où on va échanger. […] Nous, médecins généralistes, on va poser les problèmes d’une certaine manière, la psychologue va y apporter sa pierre, la médiatrice va y contribuer, la sage-femme aussi, l’agent d’accueil va peut-être rappeler que la personne est de telle ou telle origine et qu’il y a tel et tel problème qui se posent.
Pouvez-vous nous expliquer votre lien avec l’AP-HM ?
Notre centre de santé est le premier centre de santé rattaché à un CHU. Il y a un échange de cultures qui se fait avec les spécialistes du CHU. Ils viennent dans le cabinet donner des consultations, et cela leur permet de voir un petit peu leur spécialité autrement. Nous, cela nous permet d’avoir des échanges avec des spécialistes implantés dans le CHU. Pour un cas complexe, on peut échanger plus facilement, plus rapidement en travaillant en proximité. On a aussi initié un programme avec les services d’urgences de l’hôpital Nord et de trois autres services d’urgences. On voulait montrer que la médiation en santé, le fait de prendre en charge très rapidement aux urgences un patient avec une médiation en santé pouvait réduire la réadmission des patients aux urgences. On s’aperçoit que les personnes qui sont en difficulté vont et retournent aux urgences. Elles ne savent pas trop comment appréhender le système de soins. L’idée, c’est de pouvoir montrer comment ce médiateur en santé va pouvoir permettre de réduire la réadmission et faire en sorte, finalement, que la personne intègre un parcours de soin beaucoup plus coordonné, beaucoup plus cohérent.
Et sur l’aspect universitaire ?
Nous accueillons depuis deux ans des externes, des étudiants en médecine en cinquième année. Nous devrions avoir très bientôt un interne de médecine générale. Pour nous, c’est très important que les étudiants en médecine viennent parce que cela leur permet de découvrir un métier et une zone géographique. On sait bien qu’un étudiant en médecine qui est allé sur un lieu géographique qu’il ne connaissait pas, cela peut déclencher des carrières.
Un deuxième centre de santé va-t-il ouvrir ?
Comme je le disais, les quartiers Nord sont une vaste zone géographique, avec beaucoup de quartiers un petit peu isolés les uns des autres même s’ils ne sont pas très loin géographiquement. Et donc l’idée, effectivement, c’est de créer l’année prochaine un autre centre de santé à quelques kilomètres d’ici, un peu sur le même modèle. Le directeur général de l’AP-HM est très très volontaire pour cela et l’ARS aussi […].
Propos recueillis par Adrien Morcuende
Retrouvez François Crémieux, DG de l’AP-HM, et Michel Rotilly, médecin coordinateur, parler du centre des Aygalades à Santexpo le 17 mai 2022.