Optimiser la prise en charge d’un patient en état critique et coordonner le don d’organes et de tissus sur un autre patient en état de mort encéphalique, deux missions contradictoires à première vue : « Pas d’opposition », pour Stéphanie Camut, infirmière coordinatrice à l’Unité de Prélèvement d’Organes et de Tissu (UPOT) et en réanimation neurochirurgicale, « mais plutôt une continuité ». Que ce soit aux côtés de patients en réanimation ou bien en tant que maillon de la chaîne du don d’organes, l’infirmière a un unique objectif : sauver des vies. L’UPOT du CHU de Nancy compte 4 infirmières qui y consacrent leur temps de travail pour moitié et pour l’autre aux services réanimation du CHU. Récit d’une profession à la croisée des destins, en écho à la journée nationale de réflexion sur le don d’organes.
Infirmière en réanimation de neurochirurgie à l’hôpital Central, Stéphanie Camut a décidé il y a 4 ans de consacrer la moitié de son activité à l’Unité de Prélèvement d’Organes et de Tissus du CHU de Nancy. « Garder un pied dans un secteur que j’apprécie beaucoup était une condition essentielle à cette évolution professionnelle. A mes débuts en réanimation, il m’arrivait d’être en contact avec des infirmières coordinatrices : je me rends compte à présent que j’avais une vision très limitée de leur métier, se rappelle la jeune soignante. J’en ai mesuré toute l’ampleur une fois sur le terrain. »
L’UPOT coordonne l’activité de prélèvements d’organes du CHU
Placée sous la responsabilité d’un médecin et d’une cadre de santé, l’unité fonctionne grâce à 6 infirmières et 1 infirmier chargés de la coordination du don d’organes sur le terrain. A commencer par le recensement chaque matin dans les services de réanimation, des patients en coma grave, donneurs d’organes potentiels. « En tant que soignant, la mort d’un patient est vécue comme un échec. L’arrivée de la coordinatrice peut être perçue comme la concrétisation de cet échec. Ce sentiment doit être nuancé dans le sens où le prélèvement d’organes symbolise une continuité, une chance donnée pour sauver la vie d’autres patients. Tout n’est pas fini. »
Éloignée des missions « classiques » d’une infirmière, l’activité de coordination relève pour beaucoup de l’organisationnel avec une part essentielle de relationnel, et une maîtrise des notions de soin, comme la lecture de résultats sanguins, le suivi de patients intubés ou encore la connaissance physiologique de la mort encéphalique. Lorsque celle-ci est constatée, le médecin réanimateur informe les proches et leur expose l’alternative : soit le patient est débranché, soit le don d’organes est envisagé et discuté avec l’infirmière coordinatrice.
L’entretien avec les proches est un moment clé dans la chaîne du don d’organes. L’objectif : trouver la volonté du défunt s’il n’est pas inscrit au registre national des refus. « Au début, je pensais ne pas être à la hauteur, reconnaît Stéphanie Camut, que j’allais m’effondrer avec les proches pour qui le choc du décès souvent brutal – accident de la route, rupture d’anévrisme, est difficile à surmonter. Mes craintes se sont rapidement dissipées. »
Lorsque la question du don d’organes est évoquée, les réactions sont très diverses. Tout d’abord des questions sont posées spontanément sur la manière dont cela se déroule. Certains souhaitent réserver leur réponse le temps qu’un membre de la famille arrive à l’hôpital. « Et puis il y a les rejets catégoriques, parfois violents et basés sur des a priori infondés : la peur de retrouver le corps recouvert de cicatrices et le refus de « faire souffrir davantage » leur proche. L’optique n’est pas de convaincre à tout prix, mais de dissiper les idées reçues et de faire passer les informations utiles à la prise de décision, qu’elle soit positive ou négative » assure l’infirmière.
L’Agence de Biomédecine propose une formation dédiée à ces entretiens, consolidée par une phase d’observation à l’hôpital aux côtés d’une autre infirmière coordinatrice. « Il n’y a pas de recette toute faite ; il s’agit plutôt de cerner les choses à éviter tout en s’appuyant sur sa propre fibre relationnelle, son aptitude à écouter, son empathie. Des qualités qui ne s’apprennent pas forcément. » A noter que la famille peut également demander à consulter la psychologue de l’UPOT, pour un soutien sur du plus ou moins long terme.
Une fois l’accord du don d’organes donné, c’est une course contre la montre qui s’engage. Sens aigu de l’organisation, rigueur, réactivité et esprit pratique : « je dois effectuer toutes les démarches administratives et coordonner l’ensemble de la chaîne, du prélèvement à la transplantation », résume Stéphanie Camut, « aussi bien en pleine nuit que le week end ». Liens entre les équipes de réanimation, des laboratoires d’analyses, des blocs opératoires, l’Agence de biomédecine, mais aussi les organismes de transports pour l’acheminement prioritaire des organes et des équipes médicales : réservation de taxis, contacts avec la SNCF ou encore demande d’ouverture exceptionnelle de l’aéroport régional. « Le sang froid est de mise ! Je suis au carrefour de nombreux professionnels de tous bords, ajoute-t-elle, et pourtant je suis seule dans l’exercice pratique de mon métier. »
Réanimation, coordination
Au quotidien, il est compliqué de réellement dissocier ces deux fonctions intimement liées. « En réanimation, j’apparais à présent comme l’interlocutrice privilégiée en matière de don d’organes. Spontanément, les médecins réanimateurs s’adressent à moi. On me confie aussi davantage les patients en stade critique » raconte Stéphanie Camut. « A mon niveau, j’appuie naturellement l’équipe de réanimation dans ses relations avec l’UPOT et vice versa, tout en veillant à ne pas dépasser mes prérogatives de soignante. Le juste milieu n’est pas évident à trouver. Être reconnue comme personne ressource est valorisant sur le plan professionnel, mais je tiens aussi à préserver ces moments où je travaille aux côtés de patients dont l’état de santé s’améliore, où je retrouve la notion de relation avec les malades, où j’apporte de bonnes nouvelles aux familles. C’est une soupape vitale à mon équilibre professionnel et personnel ; après des périodes intenses et chargées en émotions passées à la coordination, c’est quelque part rassurant de revenir à un contexte de soins plus « classique ».
En tant qu’infirmière coordinatrice, Stéphanie Camut joue également un rôle important dans les liens entre le CHU de Nancy et les établissements hospitaliers lorrains autorisés à prélever les organes. Dans le cadre du réseau PRELOR, chaque infirmière de l’UPOT est « marraine » d’une équipe de prélèvement extérieure. Appui et conseils lors de l’installation initiale du dispositif (procédures, organisation, etc.) jusqu’à un soutien à distance lors d’un prélèvement en cours. « Une solidarité entre professionnels de santé à laquelle je crois énormément », souligne Stéphanie Camut.
Contact UPOT : 03 83 15 38 95