Pouvez-vous revenir sur votre parcours ?
J’ai étudié ici, dans le service d’odontologie de l’hôpital Morvan. Après quelques années en libéral, on m’a proposé un poste. D’abord à mi-temps. Et puis, comme ça me plaisait bien, je suis passée à plein temps. Je me suis alors dit qu’il fallait en profiter pour monter des projets un peu novateurs et qui aient du sens. C’est comme cela que j’ai eu l’idée de la médiation animale.
Justement, quel a été le déclic pour ce projet ?
J’ai toujours aimé les animaux. La présence animale m’a toujours apaisée. Je me suis dit que dans le contexte un peu tendu des soins dentaires, cela pouvait aussi faire du bien aux patients. En me renseignant un peu, j’ai vu que cela n’existait pas encore en France, comme c’est le cas dans d’autres pays précurseurs comme le Canada, les Etats-Unis etc. En France, il fallait monter le projet de A à Z, ce qui était assez enrichissant.
Vous parlez de votre attachement aux animaux. Certains ont-ils marqué votre vie ?
J’ai eu un chien de ma cinquième à ma première année de thèse, Sam. C’était un labrador noir avec qui j’ai grandi et dont je garde de très bons souvenirs. C’était vraiment une présence, un membre de ma famille.
Comment êtes-vous arrivée à convaincre le CHU ?
La médiation animale existe déjà dans d’autres services : en psychiatrie, en gériatrie, en pédiatrie. Il y a des études qui ont été menées, peu en France toujours, sur les bienfaits des animaux, notamment sur la réduction de la douleur, la réduction de l’anxiété dans des contextes de soins. Je me suis appuyée sur ces études pour montrer que cela faisait du bien lors d’interventions et de gestes techniques. J’ai réussi à convaincre le chef de service, le service hygiène, qui devait forcément donner son accord et, finalement, la Commission Médicale d’Établissement. J’ai aussi montré une petite vidéo d’un chien au Canada qui faisait des interventions dans un cabinet dentaire.
Comment se sont passés les premiers jours de Scully dans votre service ?
Scully est arrivée en novembre dans le service, à l’issue d’une formation de deux ans. Elle a tout de suite été très bien accueillie, même si c’était un environnement un peu différent pour elle. Il y a des patients, une centaine d’étudiants, des bruits un peu particuliers : le bruit de la turbine, du détartreur etc. Scully avait été désensibilisée à plusieurs bruits et a vite trouvé ses marques. Elle sait que c’est sur ce fauteuil et dans cette salle qu’elle travaille, où se trouve la salle de pause. Le matin quand elle arrive, Scully fait la fête à toutes les blouses blanches. L’effet blouse blanche sur elle, c’est « je vais dire bonjour à tout le monde », plutôt que « il va se passer quelque chose de terrible. » [rires]
Y a-t-il eu une période d’adaptation ou même de formation pour le reste du service ?
J’ai fait une petite réunion pour expliquer à l’équipe comment il fallait agir avec Scully. Je leur ai dit qu’elle ne devrait pas trop déranger au travail, ce qui marche ou ne marche pas trop, le fait qu’elle adore les câlins. Tout le monde joue le jeu et, d’ailleurs, je pense qu’elle fait aussi du bien au service. Elle crée du lien social : finalement on amène un peu d’humain en amenant du canin. On discute plus, c’est chouette.
A quels patients s’adresse ce dispositif ?
Il s’adresse surtout aux patients à besoins spécifiques donc porteurs de handicaps multiples, aux patients phobiques, ou encore ceux qui ont des parcours de santé un peu complexe. On parle de patients qui ont subi des interventions un peu lourdes, notamment dans le cadre de l’oncologie où ils ont des parcours difficiles et pour qui la multiplicité des rendez-vous médicaux peut être longue. Scully va apporter un peu de légèreté dans ce parcours de soins.
Est ce que vous pourriez me raconter la première consultation de Scully ici ?
C’était un patient qui a un handicap intellectuel et qui est passé au bloc opératoire pour des soins. Un collègue l’avait vu avant pour programmer les soins au bloc. Il fallait ensuite que je fasse la partie prothétique, pour remplacer les dents. Scully s’est tout de suite très bien entendue avec lui ! Quand mon collègue l’a revu avec Scully, il m’a dit qu’il n’avait jamais autant entendu le son de sa voix. Le patient voulait même repartir avec Scully à la fin du rendez-vous. C’est chouette parce que quand il y a de la communication, il y a forcément un meilleur soin ensuite.
Quels sont les bénéfices de ce dispositif ?
On peut voir ça comme un nouvel outil finalement dans notre arsenal thérapeutique, pour diminuer l’anxiété de nos patients. On peut utiliser d’autres outils, de l’hypnose, de la musicothérapie etc. C’est une possibilité supplémentaire avec des patients qui sont réceptifs, d’autres pas. C’est vrai que quand le patient est réceptif, le détournement d’attention et l’apaisement sont réels. On le voit sur les traits des patients qui sont beaucoup plus détendus, qui arrivent avec le sourire.
Avez vous le souvenir d’un patient qui vous a marqué ?
On a eu une enfant qui avait un gros trouble du handicap, pour qui s’asseoir sur le fauteuil c’était compliqué. Avec Scully, la patiente s’est assise sur le fauteuil. C’est sûr que ça ne va pas révolutionner forcément tous les soins mais la consultation pré-bloc opératoire se passe dans de meilleures conditions. Les contrôles à la suite se passeront également dans de meilleures conditions.
Voulez-vous ajouter quelque chose ?
Oui. Il y a deux contre indications à l’utilisation de Scully : les allergies – on n’en a pas eu pour l’instant – et la phobie des chiens. Je précise aussi que Scully a un box dédié. Elle travaille exclusivement ici, sur ce fauteuil. Elle ne circule pas dans tous les couloirs, ne va pas dans les zones de stérilisation et de chirurgie pour des raisons évidentes d’hygiène. Je sais qu’elle est déjà allée en pédiatrie pour aller voir un enfant en salle. L’équipe de pédiatrie s’est montrée très enthousiaste.
Propos recueillis par Adrien Morcuende