La porte s’ouvre et le petit garçon sort de la pièce. Durant le temps indéfini qui vient de s’écouler, il aura regardé avec calme le train miniature redémarrer après chaque signal sonore. Une scène fugace dans une journée d’enfant. Pour les deux silhouettes adultes derrière lui, son père et la médecin ORL dont il n’a pas retenu le nom, l’issue de la consultation revêt en revanche des airs de petite victoire. Le test auditif s’est bien passé. Tout sauf une évidence.
Lorsque Iskandar a poussé les portes de Hautepierre pour la première fois, une muraille de difficultés lui faisait face. Car pour cet enfant de cinq ans souffrant d’un retard du développement, passer un IRM à l’hôpital n’a, contrairement aux apparences, rien d’un parcours de santé. « Pendant l’IRM, il ne faut ni bouger ni parler pendant vingt minutes. [Iskandar] en était incapable, du fait de ses troubles d’attention. Ce n’était plus un scanner, mais un tunnel. On a fait la préparation ensemble, ce qui lui a permis, avec la sédation, de rester tranquille toute la durée de l’examen. Puis le Dr Baghiani a vu qu’il manquait un test auditif dans son bilan étiologique. Là encore, ses parents pensaient qu’il n’y arriverait pas. », nous raconte Stéphanie Winkel, quelques minutes après avoir quitté le regard doux d’Iskandar qu’elle était venue saluer.
Depuis un an et demi, Stéphanie travaille comme infirmière coordinatrice au sein de l’Équipe Mobile d’Accès à l’Hôpital pour enfants en situation de handicap (EMAHop) dont la mission est, comme son nom le suggère, de reconnecter à l’offre de soins, et dans les meilleurs conditions possibles, des enfants en situation de de handicap et dits « non coopérants ». Derrière ces notions englobantes, une pluralité de profils, concernés par des troubles sévères de l’autisme avec ou sans déficience intellectuelle, des troubles du comportement, des troubles sensoriels, des troubles psychiques ou encore de polyhandicap.
Le temps, allié précieux pour un parcours individualisé
La création d’EMAHop doit sa mise en place à une enquête menée par le Dr Anne de Saint Martin et le Dr Catherine Chabaux (du Centre de Ressources Autisme), qui ont mis en évidence une rupture de soins chez ces enfants pour qui le fait d’être ausculter, de faire une prise de sang ou de passer un examen de radiologie, reste difficile à plusieurs égards.
« Ce sont des enfants atteints de troubles autistiques, au profil sensoriel très particulier. L’hôpital devient vite angoissant car on doit aller vite ou, au contraire, attendre longtemps. Il y a beaucoup de bruits, des odeurs particulières, du mouvement. Ils ont aussi des soucis pour communiquer. Leur canal de communication préférentiel est visuel. Or, on a l’habitude de le faire de manière auditive. Le problème c’est que lorsqu’on noie ces enfants d’informations auditives, cela va générer chez eux énormément de stress. Aussi, le temps de l’hôpital n’est pas celui de l’enfant. », explique Stéphanie Winkel, dont le parcours en réanimation pédiatrique et l’expérience qu’elle y a développée (elle avait notamment mis en place un système de pictogrammes pour mieux communiquer avec les enfants sédatés), l’ont conduit à penser que c’est à l’hôpital de s’adapter aux enfants, et non l’inverse. Mission impossible ?
Des techniques pour habituer et désensibiliser
Pour préparer au mieux l’arrivée de l’enfant – le plus souvent adressé par un médecin généraliste, un neuropédiatre ou médecin d’Institut médico-éducatif – en vue d’un examen, Stéphanie mène une petite investigation auprès de son environnement familial. « Une fois qu’on a fait un état des lieux et que l’on a établi les priorités en termes d’examens, je renseigne tout ce qui peut me servir à établir le profil sensoriel de l’enfant. Je vais par exemple demander s’il a peur des blouses ou comment il mange car souvent, ce sont des enfants qui ont des alimentations très sélectives. Cela peut entraîner des carences qui vont conduire à des troubles du sommeil, qui peuvent eux-mêmes alimenter des troubles du comportement etc. tout cela va être problématique pour intégrer une école ou un IME. », poursuit Stéphanie.
Aussi, c’est le type d’examen à passer qui va conditionner la préparation. Dans le cas d’un examen radiologique ou d’un électroencéphalogramme, particulièrement sensoriels, l’infirmière envoie une bande dessinée explicative au domicile, un ou deux mois avant le rendez-vous. Ce fut le cas pour Iskandar. Autre support utilisé : des vidéos accessibles en ligne qui permettront à l’enfant de se familiariser avec les bruits spécifiques que produisent un IRM ou une scie coupant un plâtre. Merci YouTube.
Il n’est pas rare non plus que les enfants découvrent en amont la pièce où ces examens auront lieu. Le tout, en collaboration avec les parents. L’habituation progressive est l’une des clés pour rassurer l’enfant et maximiser les chances de réussite de son passage à l’hôpital. La désensibilisation en est une autre. Jouer, écouter une comptine pendant qu’un petit cure-dents de bois se promène sur le bras permet d’acclimater en douceur à la prise de sang à venir. Dans ce processus de simulation, les gommettes ou les bandages jouent le rôle des patchs anesthésiants.
Cette adaptation, véritable boussole de l’équipe d’ÉMAHop, se matérialise également dans la mise à disposition de créneaux matinaux pour des patients qui n’ont bien souvent pas la capacité de patienter ou d’accepter le changement. « Si l’enfant a déjà passé quarante-cinq minutes en salle d’attente, c’est déjà perdu. Et s’il se trouve à côté d’un bébé qui pleure, il ne sera plus disponible ensuite car sensoriellement vidé », analyse Stéphanie. A l’écouter, on comprend que toutes ces trouvailles et techniques concrètes ne sont possibles que parce qu’elle et deux ses collègues – le Dr Baghiani et Lauryanne Ross, secrétaire médicale – disposent d’un allié précieux : le temps. Un luxe à l’hôpital.
200 interventions en moins de deux ans
Évidemment, dans ce rôle de préparation et de coordination des prises en soin des enfants, l’équipe d’ÉMAHop, qui intervient aussi bien à Hautepierre qu’au Nouvel Hôpital Civil, rencontre aussi des situations difficiles. « Il y a des jours où je me dis que cela va être compliqué. Récemment, on a fait un électroencéphalogramme à un enfant qui était « sauvage ». On ne pouvait pas l’approcher ni le toucher . », reconnaît Stéphanie. Et d’ajouter, visiblement optimiste de nature : « Je ne peux pas vous dire qu’on arrivera à faire une prise de sang chez tout les enfants sans contention. C’est utopique. Après, pour les IRM, objet de d’une grosse demande à l’hôpital de Hautepierre, ces enfants passaient directement à l’anesthésie générale. Maintenant, on arrive à leur faire passer des IRM grâce à la préparation et à la sédation. Il n’y pas d’échec de soin. Il faut avoir cette humilité de se dire et de dire aux parents que lorsqu’on n’y arrive pas, ce n’est pas grave, et qu’on y arrive plus tard. »
Soutenu par le Pr Laugel, chef du pôle neuropédiatrie aux Hôpitaux Universitaires de Strasbourg, et par divers services comme la radiologie, le dispositif ÉMAHop a effectué, depuis fin 2021, plus de 200 interventions. Avec un taux de réussite (réussir à faire l’examen et soigner l’enfant) supérieur à 90%. « C’est un gain pour l’hôpital dans le sens où nous n’avons pas à reprogrammer plusieurs fois ces examens, avec ce que cela comporte derrière. On voit que les mentalités changent. On fait plus facilement appel à nous et, de manière générale, le résultat est bien accueilli », conclut Stéphanie Winkel, souriante.
Malgré ce bilan de mi-parcours, dont les bénéfices pour les enfants atteints d’autisme sévère inviteraient à une généralisation dans d’autres centres hospitaliers, difficile de savoir si le dispositif, projet financé par l’ARS Grand Est, sera pérennisé après les trois premières années d’expérimentation.
Adrien Morcuende