Vendre sa maison, porter une affaire en justice ou tout simplement gérer ses dépenses quotidiennes : difficile voire impossible pour des personnes aux facultés mentales altérées et hospitalisées. Pour accompagner ces patients dont les familles ne sont pas toujours en mesure de prendre le relais, il existe un personnage officiel et certifié : le mandataire judiciaire à la protection des majeurs. Désigné par le juge des tutelles, il soutient et protège les personnes vulnérables dans tous les aspects de leur vie : patrimoine, justice, santé, bien-être. Portrait d’une profession à la croisée des chemins avec Evelyne Lahaye, mandataire du CHU de Nancy.
L’altération des facultés psychiques ou physiques peut empêcher une personne de prendre les décisions les plus simples ou les plus importantes. Chez la plupart des patients, cette altération, constatée par un médecin, est souvent due à la vieillesse, à une maladie neuro-dégénérative ou un trouble physique comme une paralysie. En cas d’hospitalisation, l’établissement, sur avis du médecin traitant, peut transmettre un signalement au Procureur de la République qui donne suite ou non, en requérant le juge des tutelles et en désignant un médecin expert. La volonté du Législateur étant de faire appel avant tout à la responsabilité et à la solidarité familiales, le juge vérifie en premier lieu si un membre de la famille peut assurer la protection du patient. En cas d’impossibilité liée à l’abandon de la famille, un conflit, une incapacité ou tout simplement l’absence de proches, le juge désigne un mandataire judiciaire. Ce peut être le mandataire de l’hôpital, une association ou un cabinet libéral remplissant cette mission. « Dans un contexte de conflit familial, le mandataire est souvent préféré car il est considéré comme neutre dans les décisions à prendre », explique Evelyne Lahaye, mandataire judiciaire du CHU.
Régulariser un surendettement, faire évaluer une maison, organiser un déménagement, gérer la vente aux enchères des biens : la gestion patrimoniale représente une part importante de l’activité du mandataire. Refus de participation des enfants aux frais d’hospitalisation, détournement d’argent par un proche : autant de raisons qui peuvent conduire Evelyne Lahaye à lancer des actions en justice, choisir un avocat, constituer le dossier, être présente aux procès ou encore déposer au commissariat de police. « Auparavant le rôle du mandataire était davantage ciblé sur la gestion administrative des biens de la personne, resitue Evelyne Lahaye. Le code civil le résumait ainsi : « gérer en bon père de famille ». La réforme de 2007 a rendu plus globale la dimension de protection : patrimoine, justice, santé, jusqu’au bien-être quotidien. Cela a considérablement enrichi ma mission. »
A chaque nouveau dossier, la priorité est de rassembler un maximum d’informations sur le patient : connaître son entourage et son vécu aide à la prise de décision. « C’est pourquoi je m’entretiens le plus souvent possible avec les proches et l’équipe soignante. Mes visites régulières me permettent de cerner sa façon de penser et ses besoins, même les plus courants comme l’achat d’un vêtement, d’un collier ou d’une eau de toilette. Saisir ses quelques moments de lucidité est essentiel. »
Le suivi médical fait aussi partie du champ d’action de la mandataire judiciaire lorsque la personne protégée ne peut pas émettre de consentement éclairé. « Un examen radiologique classique ne pose pas de problème, assure Evelyne Lahaye, en revanche, lorsqu’il est question de chimiothérapie, je sais que ma décision aura, quelle qu’elle soit, de lourdes conséquences. Les décisions les plus graves comme une amputation, sont subordonnées à l’autorisation du juge des tutelles. » Les démarches peuvent aller jusqu’à la souscription d’un contrat obsèques avec le souci de suivre au mieux les volontés du patient. « Discuter avec ses proches ou rechercher le lieu où sa famille est enterrée : ça demande du temps et il est préférable d’anticiper puisque dès l’instant du décès, le mandataire perd tout pouvoir de décision », rappelle-t-elle.
« Exercer la profession de mandataire judiciaire c’est plonger au coeur de la vie des gens, jusqu’au plus intime, dans le pire comme dans le meilleur. » explique Evelyne Lahaye. Sur l’ensemble des unités de soins de longue durée St Julien et St Stanislas, elle gère en moyenne une vingtaine de mesures de protection par an, dont la «doyenne» remonte à 1975. « Mais je n’agis pas seule, souligne la mandataire, bien au contraire. Je sollicite régulièrement l’avis ou, le cas échéant, l’accord du juge des tutelles et je m’appuie sur les conseils de mes collègues travaillant dans d’autres établissements ou au sein de notre association nationale. J’ai tissé un véritable réseau pour m’aider dans des situations où se posent parfois de véritables cas de conscience. »