La revue médicale américaine « Transfusion » va publier prochainement les résultats d’une étude clinique conduite au CHU de Fort-de-France pendant l’épidémie de dengue de 2007. Cette étude concerne les indications des transfusions plaquettaires. Elle a été réalisée en coopération entre le service des urgences, les unités de soins notamment le service des maladies infectieuses et tropicales et l’unité d’hémovigilance, les laboratoires notamment le laboratoire de virologie-immunologie, et l’Etablissement Français du Sang (EFS).
Les épidémies de dengue conduisent un grand nombre de patients aux urgences. Pour les médecins urgentistes la difficulté est double : d’une part ne pas méconnaître les autres maladies infectieuses (septicémie, paludisme, méningite, pneumonie) qui réclament des traitements urgents et spécifiques, et d’autre part évaluer la gravité de la dengue. Parmi les signes en faveur d’une forme sévère de dengue, la baisse des plaquettes dans le sang (thrombopénie) tient une place particulière. Cette baisse survient progressivement et atteint son maximum entre les 4ème et 7ème jours de la maladie. Elle est le plus souvent modérée (entre 50000 et 100000 plaquettes / mm3) mais elle peut être beaucoup plus sévère et annoncer le développement d’une dengue hémorragique. Dans ces cas il peut alors être nécessaire de transfuser des globules rouges et des plaquettes. Le problème est qu’il n’existe pas de référentiel précisant les indications des transfusions plaquettaires dans la dengue. L’absence de protocole peut conduire à des transfusions non justifiées (dans la littérature de 20 à 37% des cas), ce qui expose les patients aux complications des transfusions plaquettaires. Etant donné le nombre très important de patients thrombopéniques admis aux urgences pendant les épidémies de dengue, l’absence d’un contrôle rigoureux des indications peut épuiser les ressources de l’EFS, avec pour conséquence le risque de ne pas pouvoir transfuser les autres patients pour qui l’indication de transfusion plaquettaire est vitale.
L’étude réalisée aux urgences a permis de démontrer que, au cours de la dengue, il n’y a pas de corrélation entre l’importance de la thrombopénie et l’apparition de manifestations hémorragiques.
Lors de la dernière épidémie, 360 patients ont été admis aux urgences pour une dengue confirmée. Parmi ceux ci, 169 avaient moins de 50000 plaquettes / mm3 mais plus de 40% de ces patients thrombopéniques n’avaient aucun signe clinique de gravité. Les manifestations hémorragiques étaient souvent mineures et n’ont pas nécessité de traitement particulier (saignements de nez ou des gencives, règles abondantes, purpura cutané ou ecchymoses). Les transfusions plaquettaires ont été réservées aux patients qui présentaient une hémorragie interne sévère (hémorragies digestives 5 cas) et/ou qui devaient subir des gestes invasifs en réanimation (3 cas) ou une intervention chirurgicale (1 cas).
Deux autres patients thrombopéniques qui présentaient un risque particulier de saignement cérébral ont reçu une transfusion plaquettaire prophylactique (traumatisme crânien 1 cas, hypertension artérielle et traitement anticoagulant associé 1 cas). Au total 9 patients ont été transfusés (5,5% des patients thrombopéniques). Trois patients sont décédés de la dengue (hépatite fulminante 1 cas, encéphalite 1 cas, syndrome de détresse respiratoire 1 cas). Aucun n’est décédé d’hémorragie. Tous les autres patients ont guéri. Dans tous les cas les plaquettes se sont normalisées au cours de la deuxième semaine après le début de la fièvre.
Cette étude a démontré que la thrombopénie n’est pas en elle-même un critère de gravité dans la dengue. Même si elle est constamment retrouvée dans les formes graves de la maladie, elle ne semble pas exposer la grande majorité des patients à un risque particulier et elle guérit spontanément très rapidement.
Les équipes proposent donc à la communauté médicale une stratégie restrictive des indications de transfusion plaquettaire. Cette stratégie s’est révélée efficace (peu de patients transfusés) et sûre (absence de complications hémorragiques chez les patients non transfusés). Même si les résultats de cette étude ne peuvent s’appliquer qu’aux adultes, son intérêt dépasse largement les frontières de la Martinique puisque, selon l’Organisation Mondiale de la Santé, la dengue affecterait chaque année entre 50 et 100 millions de personnes.
Dr Laurent Thomas
Les auteurs de l’étude Laurent Thomas, Stéphane Kaidomar, Brigitte Kerob-Bauchet, Victor Moravie, Yannick Brouste, Jean-Philippe King, Sarah Schmitt, François Besnier, Sulvie Abel, Hossein Mehdaoui, Yves Plumelle, Fatiha Najioullah, Christiane Fonteau, Pascale Richard, Raymond Césaire et André Cabié.