Les professions médicales hospitalières sont très exposées à la souffrance au travail*. S’appuyant sur ce constat, les services de l’information médicale de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Marseille, dirigés par le Pr Laurent Boyer et le Centre d’Etudes et de Recherche sur les Services de Santé et de qualité de vie (CEReSS), dirigé par le Pr Pascal Auquier à Marseille, viennent de publier une étude sur les internes en psychiatrie où il apparaît qu’ils sont plus soumis à la consommation d’antidépresseurs, d’anxiolytiques, de substances psycho actives que l’ensemble des internes de toutes spécialités. Cette étude nationale baptisée BOURBON**, portée par le Dr Guillaume Fond, du Service d’Information médicale de l’AP-HM et membre du CEReSS, ne doit pas être lue comme une mise en garde contre les internes en psychiatrie mais bien comme un outil au service de la prévention des effets de la souffrance au travail dans la spécialité. Précisions avec Guillaume Fond…
"Au départ de l’étude nous nous sommes dit que parmi les facteurs qui devaient influencer le burnout parmi les professionnels de santé, il y avait probablement la haute spécialité médicale. Nous avons donc divisé les internes du panel en différentes spécialités parmi lesquelles la psychiatrie, l’anesthésie réanimation, la chirurgie, la médecine générale. Puis, nous avons comparé leur réponse, en fonction des spécialités, à la fois le suivi psychiatro psychologique, la consommation d’antidépresseurs et la consommation de drogue en général. C’est là, que la psychiatrie est apparue comme la spécialité où il y avait les niveaux rapportés les plus élevés de consommation d’antidépresseurs, d’anxiolytiques, de substances psycho actives, …"
C’est un constat qui s’est imposé ?
Effectivement. Notre idée de départ c’était vraiment étudier tous les internes. Cette étude a été conduite par le Dr Aliénor Bourbon dans le cadre de sa thèse de médecine sous la direction du Pr Christophe Lançon. Plus de 2000 ont répondu au questionnaire et ce n’est qu’en analysant les résultats que nous nous sommes rendu compte que les internes de psychiatrie faisaient beaucoup plus état de suivi psycho ou psychiatrique et de leur consommation d’antidépresseurs, d’anxiolytiques ou de diverses substances.
Comment analysez-vous ces résultats ?
C’est une surprise parce que nous nous attendions plutôt à trouver des chiffres élevés pour les internes en chirurgie ou en anesthésie réanimation, des secteurs où la confrontation à la mort et à la fatigue sont plus fréquents. A contrario, nous pensions que les internes en psychiatrie, aux horaires professionnels plus souples et plus familiarisés avec les pratiques de psychothérapie, pouvaient potentiellement disposer de plus de ressources pour être en meilleure santé psychique. En pratique, ce n’est pas ce que nous constatons et plusieurs explications peuvent être avancées :
– Les internes en psychiatrie sont plus sensibles à la question de la dépression. Ils s’auto-diagnostiquent et s’auto-médiquent plus que les autres internes parce qu’ils évoluent dans un environnement professionnel où les psychotropes sont dédiabolisés (ils sont prescripteurs et en connaissent bien les effets et les risques)
– Leur formation professionnelle les incite plus promptement à se faire suivre en psychothérapie : ils acceptent peut être plus volontiers de demander de l’aide et d’être suivis.
L’étude met aussi en évidence un problème de souffrance psychique plus importante chez ces professionnels révélé par plusieurs facteurs : plus de consommation de substances psychoactives comme le tabac, l’alcool, le cannabis pour améliorer leur quotidien mais, également, plus de décès dus à la drogue. Quant à la question sur les raisons de leurs consommations de ces produits, leurs réponses les plus fréquentes sont : recherche de la diminution de leur angoisse, recherche d’effets stimulants et sédatifs. Les deux sont corrélés en fait : ils essayent à la fois d’augmenter leur énergie (usage de stimulants) et à diminuer leurs angoisses (tranquillisants). Ces contradictions peuvent expliquer qu’il y ait chez ces internes en psychiatrie plus de consommation d’antidépresseurs et d’anxiolytiques.
La deuxième explication aux résultats de cette étude BOURBON c’est que, en fait, chez les soignants en santé mentale, le choix de la filière est généralement lié à une sensibilisation personnelle aux problématiques des questions de santé mentale soit par l’expérience d’un proche, soit par une expérience personnelle pour apprendre dans la spécialité les clefs utiles pour s’auto-soigner et pour aider les autres. Cependant, il faut rappeler aussi, qu’il y a de multiples autres motivations conduisant à la filière psychiatrie qui est très vaste : c’est la partie de la médecine qui est au carrefour entre la psychologie, la philosophie, la neurobiologie, elle a un volet neurosciences qui la rapproche de la neurologie et enfin, la psychiatrie peut être un choix par défaut, après un échec sur d’autres spécialités, peut-être dû à un état dépressif ! Une étude anglaise récente n’a toutefois pas réussi à montrer une plus grande fragilité psychique chez les internes en psychiatrie.
La publication de cette étude ne risque-t-elle pas d’être négative pour l’image de ces professionnels ?
En fait la question que vous posez est celle plus générale de la maladie mentale chez les professionnels de santé. En clair, faut-il accepter qu’il y ait des médecins atteints de troubles bipolaires ou de troubles dépressifs ? Or, c’est une réalité dans toutes les spécialités ! D’ailleurs dans l’étude, nous n’avons pas ciblé les maladies psychiatriques (dépression, bipolarité, schizophrénie) mais bien la santé psychique en regard de la consommation de substances et de suivi psychothérapique et psychiatrique. Au contraire, que ces internes soient mieux suivis et mieux traités est très bien, parce que cela signifie aussi qu’ils sont peut-être dans une démarche de soins pour eux-mêmes. L’autre chose que révèle l’étude, c’est qu’ils sont plus exposés à la violence, au même titre que les médecins urgentistes, et que cela est aussi source de stress, d’angoisse et de dépression. Alors, en tant que chercheur, je serais assez rassurant : le fait d’être confrontés à ces problèmes de souffrance psychique à titre personnel rend ces professionnels beaucoup plus humains et sensibles à leurs patients. Un médecin qui n’a jamais expérimenté dans sa vie ce que c’est de traverser un épisode d’anxiété ou de dépression majeure peut se montrer moins compatissant envers les patients. Ce n’est pas facile d’être jeune médecin à l’hôpital et encore moins en psychiatrie, l’étude montre aussi combien le diagnostic et le suivi sont importants.
Cette étude s’adresse à qui et pour quel usage ?
L’étude descriptive est destinée avant tout aux décideurs pour les alerter sur la souffrance au travail des internes et sur la nécessité d’agir. Par exemple, proposer que les internes en psychiatrie puissent faire partie des populations cibles, comme les médecins d’urgence, pour lesquelles il faudrait développer des programmes de prévention, dont un suivi psychothérapique systématique sur la base du volontariat. Ce qui se passe aujourd’hui, c’est qu’un interne en souffrance n’en parle pas à sa hiérarchie car il redoute d’être catalogué comme quelqu’un de faible, qui posera des problèmes, il peut avoir peur de ne pas avoir de poste. Donc, il trouve lui-même son thérapeute et se fait suivre. C’est quand même un comble, pour quelqu’un qui travaille à l’hôpital et au sein d’un secteur qui prend en charge la souffrance psychique, de ne pas pouvoir soi-même en bénéficier avec un professionnel de confiance ! La solution serait que l’hôpital, sur la base de partenariat avec des thérapeutes externes, propose à ces internes en psychiatrie une consultation pouvant, si nécessaire, déboucher sur un suivi de la personne en souffrance.
Est-ce que vous avez eu un regard genré sur les résultats de l’étude ?
Ce sera le sujet de la prochaine étude ! Nous avons regardé les différences hommes/femmes et nous trouvons effectivement que les internes en psychiatrie femmes sont plus suivies et plus consommatrices d’anti dépresseurs et d’anxiolytiques que les hommes qui, eux, sont plus consommateurs de tabac, d’alcool et de drogue (des tendances qui se vérifient également dans la population générale). Enfin, autre constat, si les hommes, dans le cadre de leur exercice professionnel, sont plus soumis à des violences physiques, les femmes, internes en psychiatrie sont, elles, plus exposées à des violences sexuelles. »
Entretien Laslo Guzik
*Une analyse regroupant une série d’études devrait être publiée prochainement révélant que 50% des praticiens sont victimes de burn out
**Etude BOURBON
Echantillon de 2165 internes dont 302 en psychiatrie
Psychiatry : a discipline at specific risk of mental health issues and addictive behavior ? Results from the national BOURBON study.
Fond G, Bourbon A, Micoulaud-Franchi J-A, Auquier P, Boyer L, Lancon C
Service d’Information Médicale –APHM, Marseille Univ, Faculté de Médecine – Secteur Timone, EA 3279 : CEReSS – Centre d’Etude et de Recherche sur les Services de Santé et la Qualité de vie, Marseille
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