Président de la Conférence des directeurs généraux de 2015 à 2018, Jean-Pierre Dewitte a veillé au rayonnement du CHU de Poitiers durant vingt et un ans. Cette exception dans la haute fonction publique hospitalière fait de lui l’un des rares managers hospitaliers à avoir assumé sur le long terme la responsabilité et les conséquences de ses décisions. Pour RESEAU CHU, il revient sur un parcours jalonné de challenges extraordinaires et d’investissements stratégiques.
Nommé directeur général du CHU de Poitiers en 1998, quel diagnostic avez-vous posé en arrivant ?
Jean-Pierre Dewitte : A la tête d’un jeune CHU implanté au nord du Poitou Charentes, j’ai vite compris qu’il fallait conquérir cette province et se positionner par rapport à Bordeaux. Alors depuis mon arrivée nous n’avons jamais cessé d’innover. Nous avons aussi commencé très tôt à assurer une présence médicale dans les territoires de proximité, mission menée dans un souci d’équité des soins que nous poursuivons dans le cadre du GHT de la Vienne. Tout au long de ces 21 années, nous avons collectivement transformé cet établissement. Je suis fier d’avoir accompagné les équipes sur cette voie.
Quel type de manager êtes-vous ?
Jean-Pierre Dewitte : Je suis un décideur, un passionné de l’hôpital public. La première de mes décisions fut de reconstruire les urgences qui n’étaient pas dignes d’un CHU. Ce programme a été mis en œuvre dès 1999. Nous n’imaginions pas que l’activité de ce service allait progresser à ce point. Ce choix s’est révélé judicieux puisqu’il nous permet encore aujourd’hui de faire face à l’afflux massif de patients notamment grâce à une organisation dont la pertinence a été récemment soulignée par la ministre des Solidarités et de la santé. Urgence vraie, urgence ressentie… même si nous travaillons à éviter que tout le monde ne vienne aux urgences, nous devons avant tout répondre aux besoins de la population. Une exigence qui nous oblige à poursuivre les transformations avec le projet de création d’un site dédié aux urgences gériatriques en 2020.
Deuxième grande décision, la création du pôle régional de cancérologie en 2009, pour pallier l’absence de centre anti cancéreux. Le principe de ce site est très simple mais fort : un lieu unique où le médecin va vers le malade et non l’inverse. Chez nous, le patient peut recevoir la totalité des soins, des consultations de spécialistes aux examens et traitements, scanner, IRM, radiothérapie… sans avoir à changer de site. Tout est concentré sur un même lieu. Pour arriver à offrir un tel service, nous avons travaillé avec un souci d’innovation maximale et nous nous sommes inspirés des meilleures réalisations. Notre benchmark nous a conduit à Houston (USA), en Suède et en Angleterre. Nous avons pris l’habitude de pousser très loin l’exigence. Aujourd’hui, le corps médical et les patients sont très heureux de cet outil de grand qualité.
Troisième grande évolution en 2016, la construction d’un site spécialisé dans les pathologies cardiaques, un centre à la fois hyper high tech et hyper humain. Une réussite si j’en juge au rayonnement considérable de nos équipes qui traduit la confiance accordée par la population et par les généralistes et spécialistes du territoire.
Force est de reconnaître que la stratégie que nous avons adoptée qui consiste à sortir les services à forte potentialité de développement de la tour Jean Bernard pour les satelliser est devenue un marqueur d’une architecture hospitalière évolutive.
Quelle influence votre management a-t-il eu sur le CHU ?
Jean-Pierre Dewitte : Nous avons progressivement rénover tout l’établissement, toutes les spécialités ce qui explique l’équilibre et l’homogénéité du CHU. Il est important de n’oublier personne. Parmi les autres structurations marquantes, je citerai le plateau d’imagerie entièrement refait, les services d’hospitalisation, l’ambulatoire démarré voici 16 ans. Nous nous sommes adaptés en permanence aux progrès technologiques ce qui nous a permis de dégager des marges de manœuvre avec par exemple une pharmacie hyper automatisée dans la préparation des médicaments livrés dans les services, une cuisine centrale et une blanchisserie intégrant les process les plus avant-gardistes. Dans ces domaines qui ne sont pas le cœur de notre métier, nous bénéficions d’un effet de taille qui nous permet d’internaliser nos prestations à condition que notre prix de revient ne soit pas trop élevé.
L’hôpital doit être bon dans tous les secteurs, dans les soins, dans la logistique, dans l’administration. Souvent les administratifs sont les parents pauvres des programmes de modernisation. A Poitiers, ils n’ont pas été oubliés.
Ces transformations majeures se sont faites avec un développement de l’emploi. La technologie a permis de supprimer les fonctions répétitives au bénéfice des soins et de la recherche. Ce dernier point est aussi une fierté collective. Quand je suis arrivé à Poitiers, il n’existait aucune équipe labellisée. Faire surgir des équipes de recherches suppose en amont tout un travail de renforcement des expertises que nous avons réussi puisqu’aujourd’hui nous comptons 5 équipes labellisées (4 Inserm, 1 CNRS) et nous continuons à encourager les travaux prometteurs. En plus, la recherche recrute, pas moins de 15 postes par an ! La suite, c’est la création des premières start-up par les médecins. On est dans une belle dynamique et cet élan est un facteur de prospérité pour notre territoire. N’oublions pas que chaque mois nous éditons plus de 8 000 bulletins de paye. La faculté de médecine et le CHU sont les deux fleurons du service public poitevin.
Et quand vous vous retournez sur le chemin parcouru, quel est votre sentiment ?
Jean-Pierre Dewitte : J’ai vécu tellement de challenges extraordinaires que la vie est passée rapidement. Certains diront que 21 ans sur un même poste c’est trop. Ce maintien n’est pas une décision entièrement personnelle. J’ai candidaté à d’autres postes, j’ai souvent été n°2 et donc je suis resté à Poitiers, à la tête de ce CHU que j’aime. Peut-être était-ce une chance pour Poitiers car il y a eu une continuité dans les projets, pas d’à-coups mais une ligne directrice cohérente. C’est avec optimisme que j’ai mené ces transformations d’ampleur qui recueillent aujourd’hui un vrai retour sur investissement en termes d’attractivité, de qualité des soins et de vie au travail – ce qui explique certainement les bonnes relations avec les syndicats.
Je laisse à mon successeur un hôpital qui n’est pas endetté, qui recrute et, qui de ce fait peut mieux que d’autres, supporter les contraintes où les situations complexes. Je pense notamment à la reprise des centres hospitaliers de Châtellerault, de Loudun (en déficit de 12%) et de Montmorillon qui étaient menacés. Avec l’appui des professionnels du CHU, ces hôpitaux repartent sur des bases saines. En soutenant ces établissements, nous préservons non seulement l’âme du service public dans la Vienne et le Nord-Vienne mais aussi l’avenir de ces villes. Sans l’hôpital, ces bassins seront victimisés car les gens ne prendront pas le risque de s’y installer.
Mais vous parlez de me retourner, alors que j’ai plutôt pour habitude de regarder devant ! La modernisation d’un établissement comme celui de Potiers est un perpétuel engagement. J’ai envie de parler de l’hyperspécialisation de nos services, de nos 100 places de soins à domicile, de la téléconsultation pour le suivi des malades cardiaques, diabétiques ou des personnes âgées en EPHAD. Nous nous adaptons à la diversification des modes de prise en charge. Quand j’accueille des délégations européennes ou internationales venues s’inspirer de nos urgences, de notre cancérologie, c’est avec plaisir que je leur présente une communauté capable d’innovation, de création et, de productivité.
Enfin, quelles recommandations formulez-vous à l’attention de vos collègues ?
Jean-Pierre Dewitte : J’ai regretté qu’il n’y ait pas davantage d’osmose entre nous. Les directeurs que nous sommes ne visitent pas suffisamment leurs confrères pour découvrir les organisations dont ils pourraient s’inspirer. Pris par le temps, les contraintes et les exigences du métier, nous ne partageons pas assez. Organiser entre nous un benchmarking nous aiderait à progresser ensemble.
Et pour conclure, un message adressé aux autorités, je les invite à fréquenter davantage nos établissements pour toucher du doigt nos réalités et nos difficultés.
Propos recueillis par Marie-Georges Fayn