Centre référent du lupus pour la région Provence Alpes-Côte d’Azur, le service de médecine interne de la Conception a élaboré un programme d’éducation pilote pour ses patients. Imaginé en 2010, il a été formalisé en 2012-2013 et labellisé par l’ARS. Sa particularité : il s’inspire des échanges anonymisés publiés sur la communauté lupus du site internet Carenity et d’une enquête menée en partenariat avec ce forum en ligne. A l’origine de cette initiative, le Dr Laurent Chiche, spécialiste du lupus au sein du service de médecine interne du Pr Harlé, répond aux questions de RESEAU CHU…
Pourquoi avoir créé un programme d’éducation thérapeutique pour une maladie rare qui touche 30 000 personnes en France ?
Certes, le lupus est une affection auto immune rare, mais c’est l’une des plus fréquentes des maladies orphelines. Et nous avons pu constater que les travaux menés sur le lupus ont des résonances transversales sur les autres pathologies en raison de son large spectre, des multiples inflammations qu’elle entraîne ou des nombreux effets secondaires des traitements qui relèvent de disciplines aussi variées que la rhumatologie, la néphrologie, la dermatologie…
Et puis nous devions répondre aux interrogations des patients, car le lupus est une maladie particulière avec des poussées et des temps de rémission qu’il faut savoir gérer. A nous d’aider ces personnes à éviter les comportements inadaptés liés à la méconnaissance de la maladie.
Pour quelles raisons avez-vous travaillé avec la communauté de Carenity ?
Nous avons voulu développer une pédagogie en phase avec la réalité de vie des patients, mieux comprendre ce qui compte et fait sens à leurs yeux. Il nous fallait à tout prix éviter les filtres et biais posés par les intermédiaires – par exemple les associations de patients qui sont très bien informées, bien plus que la moyenne des malades. Carenity nous a fourni des milliers de questions et de commentaires spontanés, à l’état brut, sur toutes les dimensions du vécu du patient : le choix du traitement, la fatigue, les symptômes et complications, les atteintes de la mémoire, les douleurs articulaires… et aussi la vie au quotidien : le soleil, les difficultés avec l’entourage, les risques en cas de grossesse…
Et qu’avez-vous appris ?
D’abord l’âge des patients. Nous pensions que leur communauté était principalement composée de malades ayant entre 20 et 40 ans – âge de la survenue des pics de la maladie, et nous avons été surpris de constater que les plus de 60 ans étaient aussi très représentés. Quant à leurs préoccupations, nous les avons repérées par chemin de mots clés et pu analyser leurs paroles à très grande échelle. Parmi les thèmes les plus souvent abordés : l’impact psycho-social de la maladie, la sexualité – les difficultés pour aller à la rencontre des autres lorsqu’on est porteur d’une maladie très visible-, la vie au travail, la gestion de l’emploi du temps. Les internautes parlent aussi énormément de leur traitement, des nouvelles molécules ; ils n’hésitent pas à aller chercher l’information sur les sites spécialisés aux USA. Il est aussi question de la durée des traitements, de leur décision d’arrêter, de leur manière de s’affranchir des dogmes médicaux.
Nous avons aussi noté que les consultations du web augmentent quand le patient est en attente de diagnostic ou quand il vient juste de le connaître.
Ces verbatim nous ont aidés à construire des programmes au plus près du besoin des patients.
Comment avez-vous monté le programme ?
Tous les spécialistes concernés par la maladie ont été associés, ainsi que des pharmaciens, des infirmiers, des diététiciens et bien sûr des patients, notamment les représentants de l’Association France Lupus. Notre souci a été de dispenser des connaissances, des axes de sécurité qui doivent aider les patients à mieux vivre avec la maladie – pas simplement au niveau physique mais aussi à titre personnel, familial, social et professionnel. Nous avons veillé à lui fournir les fondamentaux pour qu’il puisse prévenir ou mieux gérer les situations de crise.
Dès son arrivée, le patient passe un test de connaissance sur la maladie. Cela nous permet de le faire travailler sur les points de la maladie qu’il maîtrise le moins. A partir de là, des rendez-vous individuels, à but éducatif, sont organisés avec des médecins et des pharmaciens. Le patient peut aussi rencontrer, une fois par mois, d’autres personnes atteintes afin d’échanger sur la façon de vivre avec cette maladie.
Comment évaluez-vous l’efficacité de l’éducation thérapeutique ?
3 mois après sa participation aux ateliers, soit entre 5 et 10 heures de formation par patient, nous évaluons les acquis.
Mais nous avons remarqué que le savoir théorique n’implique pas forcément une mise en pratique. Les jeux de rôle nous montrent des blocages persistants. Pour les patients informés et non observants, nous avons cependant constaté qu’ils hésitaient moins à nous faire part de leur décision d’arrêter leur traitement, ce qui nous permet d’en parler avec eux.
Quels sont vos projets ?
Nous allons publier le travail d’analyse et de traitement des messages postés sur Carenity car cette démarche est porteuse d’évolution dans la conception même des programmes d’éducation thérapeutique. Et nous espérons que cette valorisation incitera encore davantage nos collègues de la médecine libérale et même hospitalière à recommander notre action auprès de leurs patients.
Marie-Georges Fayn