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Je m’appelle Ségolène Meysonnier, je suis psychologue clinicienne au CHU de La Réunion. Je travaille au pôle santé mentale et je suis fondatrice et responsable du dispositif clinique transculturel du CHU.
Ça veut dire quoi être psychologue transculturel ?
A La Réunion, la place de la religion, de la culture, des invisibles, est vraiment au premier plan. Donc, finalement, quand on est psychologue transculturelle, l’idée c’est de pouvoir intégrer la dimension culturelle dans la prise en soin.
Pourquoi avoir choisi de travailler sur ce sujet ?
J’ai grandi à la Réunion et je suis partie ensuite faire mes études en métropole. Lorsque j’ai commencé mes études de psychologie à l’Université René Descartes à Paris 5, j’ai tout de suite pris toutes les options transculturelles, interculturelles et c’est toujours quelque chose qui m’a interrogé de savoir comment on pouvait intégrer cette dimension là dans la prise en charge des patients. Dans mon cursus universitaire, j’ai eu l’occasion de faire des stages dans des dispositifs transculturels comme celui qu’on a mis en place ici. Et puis, cela m’a toujours semblé évident qu’il fallait s’interroger sur la place des invisibles. C’est encore plus justifié à La Réunion.
Il existe des dispositifs transculturels dans d’autres CHU, par exemple à Bordeaux avec Claire Mestre, à Bobigny avec Marie-Rose Moro mais c’est vrai qu’en métropole, on travaille beaucoup plus avec la question de l’exil et de la migration alors que nous à La Réunion, on travaille aussi avec cette question-là puisqu’on accueille des populations évassanées, c’est-à-dire qui ont des évacuations sanitaires, qui viennent souvent de Mayotte ou des Comores. La singularité réunionnaise, c’est vraiment de pouvoir travailler autour des questions du métissage, des rituels, des médecines traditionnelles. On reprend donc finalement des choses qui font partie intégrante du quotidien des réunionnais.
Pourquoi le CHU a-t-il accepté cette proposition de dispositif transculturel ?
Moi j’ai eu besoin d’asseoir mes connaissances pour pouvoir les proposer ensuite à la direction. J’ai passé un DU d’ethnopsychiatrie et avec un de mes collègues doctorant en anthropologie et infirmier en santé mentale. Ensuite, nous sommes allés voir la direction pour voir s’il était possible d’intégrer ce dispositif dans l’offre de soin du CHU. Ça a d’abord été accepté par la chefferie du pôle santé mentale. Et très rapidement, d’autres services nous ont demandé d’intervenir, notamment le pôle mère-enfant, l’hémato-oncologie, les soins palliatifs. C’est à ce moment-là que je suis allé voir le directeur général de l’hôpital, Mr Lionel Calenge, qui a validé une ouverture à l’ensemble du CHU. Il était déjà sensibilisé à cette approche et il m’a dit que cela avait toute sa place à La Réunion.
La direction de l’hôpital a validé, au-delà de la prise en charge des patients, le fait qu’on puisse sensibiliser aussi les équipes à ce regard qu’on peut porter à la fois sur les étiologies mais aussi sur comment on peut soigner les maux de nos patients, maux sur le plan somatique et mental. Ce dispositif implique un versant clinique, mais aussi d’enseignement et de recherche.
Comment vous sont adressés les patients ?
En psychologie transculturelle, on ne parle pas de maladie, on parle de désordre. Les équipes, lorsqu’elles nous orientent des patients, c’est entre autres pour une aide à l’évaluation diagnostique. Il y a des difficultés dans l’alliance thérapeutique, c’est-à-dire que quand on annonce un diagnostic à un patient, il peut valider ce diagnostic mais parfois il dit « Mais moi je suis pas du tout d’accord avec vous, je ne pense pas que ma sœur soit malade, je pense qu’on lui a jeté un sort. » Alors comment faire pour prendre en charge ces patients, qui ont la conviction que la cause de la maladie, du désordre, ne serait pas forcément celle avancée par les médecins ?
Justement, comment les accompagner dans ces situations ?
C’est important de savoir comment ils se représentent la maladie. Comment il pensent qu’ils sont tombés malades. En psychologie transculturelle, on a trois grandes catégories étiologiques. Les étiologies mystiques qui appartiennent aux astres, à la destinée, mais aussi tout ce qui appartient à la rupture des rituels : qu’est-ce que j’ai pu faire ? Avoir mangé quelque chose qui était interdit, être rentré dans un état d’impureté dans un lieu sacré etc. Il y a les étiologies magico-religieuses. On considère que c’est un sort qui a pu être jeté. Et puis il y a les étiologies animistes où on considère que c’est un esprit de la nature qui peut amener du désordre, prendre possession du corps de certains patients.
C’est vraiment lié à la culture créole ?
Je pense que c’est plus facile d’imaginer que c’est très présent à La Réunion, ce qui est le cas, qu’ailleurs. Pourtant, cela existe aussi en métropole où des gens vont voir un “rebouteux”, un guérisseur, quelqu’un qui connaît quelqu’un. Ici, on parle de tisaneur mais en métropole aussi, il y a une recherche de ces médecines non pas “alternatives” mais “traditionnelles”. Les coupeurs ou barreurs de feu, maintenant, sont assez intégrés à l’hôpital, et pas qu’à La Réunion.
On est quand-même dans de la croyance et pas de la science. Quel regard vous portez là-dessus ?
Je trouve compliqué de ne pas prendre en charge le patient d’un point de vue holistique, dans une dimension globale. Ici, la place de la religion et des croyances est vraiment extrêmement importante. Et j’aurais l’impression qu’on pourrait passer à côté de l’essentiel, si on ne pouvait pas entendre quelque chose des étiologies traditionnelles envisagées par les patients. Néanmoins, quand on nous oriente des patients, c’est toujours en consultation de deuxième intention. La prise en charge doit continuer dans les services somatiques. Le dispositif transculturel soutient les démarches traditionnelles mais nous sommes à l’hôpital. On soutient évidemment la prise des traitements, les rendez-vous médicaux. C’est l’idée la base de l’ethno-psychiatrie : la complémentarité des approches. Je pense qu’à partir du moment où on favorise l’alliance thérapeutique, quoi qu’on utilise comme technique, il faut que le patient se sente entendu dans ce qu’il dit. C’est ça qui favorise l’alliance, le sentiment d’être compris et d’exister, et le fait que les gens aillent mieux.
Vous avez un exemple de cas récent ?
Je pense à une situation qui nous a été orientée par un médecin anesthésiste. Il a évoqué le cas d’une dame qui, lorsqu’elle est sortie de son anesthésie générale, elle dit que des ancêtres sont venues lui parler à ce moment-là. L’anesthésie, c’est un état modifié de conscience. Et elle était assez anxieuse à l’idée d’avoir eu des perceptions qui l’ont éprouvées. Le médecin à fait appel à nous pour qu’on puisse aborder cela avec cette dame car cela fait partie de sa prise en charge dans sa globalité, pour qu’on puisse atténuer ses angoisses.
Le patient a-t-il besoin de voir que vous croyez ce qu’il dit ou non ?
Quand on devient thérapeute transculturelle, il y a quelque chose qui est extrêmement important, c’est la notion de décentrage. Je me décentre de mes représentations habituelles, de mes représentations habituelles personnelles avec mes croyances à moi, européo-centrées, blanco-centrées. Il y a quelque chose où je fais ce premier pas par rapport à mes aprioris. Ce qui est important c’est que le patient voit qu’on parle le même langage, qu’on se comprend. La question n’est pas de savoir si les thérapeutes croient ou pas. La question, ou plutôt la réponse, ça serait plutôt de leur dire qu’on partage cette dimension culturelle dans le soin.
Quels sont les profils qui travaillent aujourd’hui au sein du dispositif ?
Actuellement dans notre dispositif nous sommes trois psychologues, deux médecins psychiatres, un infirmier, un ergothérapeute mais finalement notre casquette importe peu. Ce qui est important c’est notre bagage culturel. Il y a des personnes qui n’ont pas de religion dans l’équipe du dispositif. Il n’est pas nécessaire effectivement d’avoir des croyances particulières pour intégrer le dispositif. Ce qu’il faut c’est pouvoir entendre les croyances des autres.
Justement, quelle part la religion occupe-t-elle dans ce quotidien de prise en charge transculturelle ?
Je pense que si l’on ne pose pas la question au patient, il n’en parle pas. Pour plusieurs raisons : parce que selon lui, ce n’est pas forcément le lieu, parce qu’il n’a pas le sentiment d’être compris sur ces préoccupations, parce que, parfois, la blouse blanche freine le fait qu’on puisse parler des croyances. Et puis pour peu qu’il s’agisse d’un médecin “zoreille” c’est à dire métropolitain, probablement que le Réunionnais se dit que le médecin ne vas pas comprendre tout cela. Il peut donc y avoir un frein à parler de la religion et, plus globalement, des invisibles.
Quelles sont les prochaines étapes ?
Pour l’instant, on prend du temps sur les services sur lesquels on est affectés pour venir faire les consultations transculturelles. C’est pour ça qu’elles sont extrêmement limitées dans le temps. Elles ont lieu, pour l’instant, deux fois par mois et on peut plus répondre à toutes les demandes qui nous sont faites, à la fois sur le pôle santé mental et sur l’ensemble de l’hôpital au nord et au sud de toute l’île. On aimerait pouvoir devenir une unité fonctionnelle, un service à part entière avec du temps dédié spécifiquement pour ce type de prise en soin.