Sous la pression conjuguée de journaux de plus en plus commerciaux et d’une audience éclatée en sites web, blogs et autres réseaux sociaux, les communicants doivent réinventer leur métier et les internautes construire leurs propres repères. Sur la toile, les frontières entre information indépendante et actualités offertes par les annonceurs s’estompent, de même que le statut de l’émetteur qui peut tour à tour être journaliste, citoyen engagé, acteur associatif, professionnel, expert, néophyte ou retweeteur-indexeur-commentateur. Dans le nouveau monde numérique, que deviennent les relations entre communicants et médias traditionnels ? Regards croisés d’une éditrice de sites web santé et d’une journaliste.
« Le groupe Impact Médecine suspend ses activités, suite à sa liquidation judiciaire.(…) » « L’agence de presse généraliste Sipa News a malheureusement dû cesser son activité le 6 décembre.(…) »
Réponses automatiques, ces courriers électroniques font suite à ceux précédemment reçus de France-Soir et de la Tribune version papier. Ainsi en un an, quatre médias, dont trois généralistes, ont été rayés de la carte. Moins de journaux ne signifie pas forcément moins de démocratie car la citoyenneté s’exerce en d’autres forums, mais leur disparition entraine sûrement moins d’informations bien indexées et correctement archivées. De plus, échaudées après de douloureuses charrettes, la plupart des rédactions renégocient un virage commercial serré ; tournant équivoque au pays de la liberté d’expression. Leurs responsables les yeux rivés sur les comptes finissent par se soucier davantage de promouvoir leurs propres dossiers ou leurs propres conférences que de traiter le reste de l’actualité en stand by, empilée sur leur bureau.
Dans cet univers où tout semble maitrisé, il arrive cependant qu’une pétition comme celle sur la blouse impudique qui laisse voir les fesses des patients, glissée sur le blog d’une kinésithérapeute, finisse à la Une des quotidiens en un emballement médiatique qui rappelle l’accélération d’une centrifugeuse avant le court-circuit final (en l’occurrence, le coup d’arrêt donné par la ministre qui a tenu à souligner l’attention qu’elle portait au respect de l’intimité et de la dignité des patients séjournant dans les hôpitaux publics). Sur le world wide web, il est illusoire de penser contrôler la communication.
Des relations de plus en plus tendues
En ce qui concerne les relations presse, cyniquement, on pourrait croire que, compte tenu de l’hécatombe des titres, l’envoi de communiqués et les relances iraient plus vite. Mais les survivants savent qu’ils sont un passage obligé ; ils deviennent très regardants et font grimper les enchères. Mieux vaut leur proposer du « sur mesure », en choisissant un angle précis et en l’enrichissant d’illustrations, qui pourraient se négocier en reportage exclusif… Le mot est lâché : « exclusivité », objet éternel de troc entre communicants et journalistes, à manier avec précaution. En situation de concurrence tendue sur le marché très périssable de l’actualité, les journaux réclament des scoops, l’exigent même ! Que doit faire alors le communicant ? Risquer un envoi à tous les titres sans être sûr de susciter un seul écho, ou s’assurer un passage au minimum ? La tentation est grande d’opter pour la seconde solution. Transparence oblige, le lecteur gagnerait à connaître la nature du marché, surtout lorsque l’exclusivité est vantée comme une accroche promotionnelle sur une tête de gondole : pourquoi tel journal l’a-t-il remportée ? Grâce à ses enquêteurs ? Grâce à des fuites discrètement orientées ? Grâce à d’autres habiletés ?
Les mises en forme de l’information ont aussi changé
Faut-il encore organiser des conférences de presse ? Si la question se pose aujourd’hui avec acuité, c’est que les communicants savent bien qu’ils risquent de ne pas remplir la salle, voire pas même le premier rang.
Dans une rédaction soumise au régime sec, le journaliste invité aura du mal à s’absenter une demi-journée pour traiter un sujet qu’il aurait pu couvrir par téléphone ou à partir du dossier de presse – finalement à y regarder de plus près, il pourrait même se contenter de reprendre une dépêche d’agence.
Quant aux dossiers de presse fleuves de plus de 20 pages, ayant nécessité des heures d’écriture, sont-ils toujours indispensables quand on sait que les journaux ne disposeront que de 5 000 à 6 000 signes au maximum soit une page A4. Et si l’on tient absolument au document exhaustif, autant le mettre en ligne et le considérer comme une plaquette de présentation car tout support réservé à la presse et en accès libre sera aussi téléchargé par un public «éclairé», en recherche d’information « à la source ».
Aux « poids lourds » que sont les études et analyses, le public va spontanément préférer les titres accrocheurs, les visuels légendés, les textes courts disposant d’un espace réservé aux commentaires. Ce qui ne signifie pas que les informations perdent en qualité, mais la linéarité du raisonnement et les développements cartésiens propres à l’analyse sont remplacés par une lecture en mode « zapping », faite d’allers-retours rapides entre articles et réactions postées sur les réseaux sociaux. La concision est de mise. C’est pourquoi le communiqué de presse, léger et bien documenté présente toutes les qualités pour voyager sur la toile. Mais un lifting s’impose pour qu’il soit bien référencé, c’est-à-dire qu’il suscite de nombreux liens et visites. Son titre gagne à être aussi accrocheur qu’un tweet. Rédigé de façon incisive, le premier paragraphe donnera chiffres et faits marquants, de façon précise, en s’inscrivant dans l’actualité, histoire de faciliter d’éventuels « rebonds » – voire des reprises intégrales – au risque de plus savoir d’où est partie la nouvelle !
Mais comment suivre toutes ces entrées ? La petite page du courrier des lecteurs s’est transformée en 15 millions de blogs* et en 7,3 millions de profils Twitter**. Pour dégager des tendances fortes dans cette profusion de données numériques, le communicant peut utiliser de nouveaux outils technologiques d’analyse et, d’e-réputation qui lui donneront une idée assez précise de la manière dont le public juge la marque, les produits ou prestations de son enseigne.
Et surtout, comment exister sur cette galaxie ? En créant ses propres sites et en ouvrant de nouveaux espaces collaboratifs. Invité à faire vivre simultanément l’information de proximité et institutionnelle, le communicant se mue en rédacteur, animateur de communauté, médiateur, fin analyste du vécu des publics et stratège éclairé au service du projet d’entreprise. Il publiera l’information en temps réel au risque d’être lui aussi saisi dans une spirale infernale qui rappelle l’agitation de la centrifugeuse citée plus haut … Attention à la dispersion, à l’enchainement maladroit de nouvelles superficielles et sans intérêt qui, à défaut de buzz, créent un sentiment abyssal de vacuité. Pour éviter la surchauffe, toujours revenir aux faits, aux valeurs, fixer des repères simples et prendre le temps d’écouter, d’interroger le sens que prend sa communication pour le lecteur, l’internaute, le blogueur, le citoyen, le journaliste, le client, l’usager…
Auteurs
Marie-Georges Fayn, éditrice de www.reseau-chu.org
Anne Boiteux, journaliste médicale
*Source : Benoît Méli Entre 15 et 20 millions de blogs en France, journal du net consulté le 17 janv 2013
** Source AFP mis en ligne sur le site de Libération Un demi milliard d’utilisateurs pour Twitter – 30 juillet 2012