Qu’est-ce qui vous a orienté vers la psychiatrie ?
Le stage de psychiatrie, en tant qu’externe, a été une vraie découverte. Je me suis senti comme un poisson dans l’eau dans le service. Les pathologies m’ont fasciné. Je trouvais que les médecins étaient aussi très ouverts, peut-être plus connectés sur des références culturelles ou sur le reste de la société. Par la suite, j’ai fait mon internat en psychiatrie. J’ai été chef de clinique à l’hôpital Saint-Antoine (AP-HP) à Paris. J’étais plutôt spécialisé dans les troubles de l’humeur, notamment le trouble bipolaire et puis il y a eu une conjecture de facteurs : on m’a proposé de rester en service en faisant de l’addictologie.
Pourquoi ce livre ?
L’idée du livre c’était de représenter les pathologies les plus fréquentes mais aussi celles qui me paraissaient les plus importantes à représenter. Je n’ai pas parlé de certaines pathologies comme le trouble dissociatif de l’identité car il y a déjà énormément de films. Mais finalement, ça concerne moins de patients que, par exemple, la schizophrénie. Parmi les troubles très fréquents, il y a quand même tout ce qui est dépression du post-partum. J’ai choisi d’illustrer ça avec le film Tully. Je trouve que ce film est très juste. Il montre la maternité sous un aspect qu’on voit assez peu à Hollywood, notamment les difficultés que ça peut engendrer et l’isolement que ça peut susciter.
Dans le livre, j’ai aussi inséré des lexiques, par exemple pour expliquer la différence entre un baby blues et une dépression du post-partum. Si on ne sait pas ce qu’il y a derrière ces mots, il y a une confusion. Le baby blues, c’est quelque chose de physiologique, ça arrive à plus de 70% des femmes, ça dure juste quelques jours, il n’y a pas besoin d’une attention médicale. En revanche, la dépression du post-partum dure au moins quinze jours, c’est une vraie dépression pour laquelle on a besoin d’une aide humaine et parfois d’une aide thérapeutique médicamenteuse également. D’où l’idée, encore une fois, d’essayer de dépasser un peu ces mots là comme avec le mot « burn out » qui suscite souvent beaucoup de questions et qui est confondu avec la dépression.
Utilisez-vous la pop culture dans votre pratique ?
J’utilise beaucoup les films dans mes enseignements à Sorbonne Université pour, là aussi, éduquer le regard et faire comprendre la santé mentale à des étudiants en médecine par exemple ou des infirmiers.
À l’hôpital Saint-Antoine où je travaille, on a créé un groupe de psychoéducation pour les personnes atteintes de troubles bipolaires, dans lequel on utilise des références à des films, des célébrités. Il y a même un film (Happiness Therapy) qu’on regarde avec les patients pendant une des séances pour voir comment ils s’approprient le film, s’ils reconnaissent certains symptômes. C’est vrai que beaucoup de personnes concernées utilisent aussi ces modèles là pour lutter contre le stigma, pour l’expliquer à leur entourage. Après, en terme de suivi individuel, il y a tellement de facteurs qui vont faire qu’une personne va être plus ou moins à l’aise pour en parler et accepter de consulter parce que ce n’est jamais juste une célébrité ou juste un film qui va faire que la personne va entrer dans les soins. Ce serait un peu réducteur de se dire qu’on soigne avec le cinéma ou les séries.
C’est quoi une addiction ?
L’addiction c’est quand il y a un comportement pathologique répétitif de consommation de substances. Il va y avoir une perte de contrôle et un maintien de ce comportement malgré les conséquences négatives. Dans ce grand cadre-là, on va trouver l’alcool, la cocaïne, le tabac, mais aussi le jeu pathologique ou le sexe. Et puis d’autres formes d’addictions comme notre rapport, par exemple, aux réseaux sociaux ou au chemsexe. Il y a énormément de facteurs. Avant tout, le fait de réussir à en parler et donc de sortir de la honte et de la méconnaissance qui accompagnent souvent le fait qu’on soit atteint d’une addiction. Le fait qu’on réalise que ce n’est pas juste une mauvaise habitude, un vice ou un mode de vie mais vraiment une maladie.
Un des personnages qui est probablement le plus emblématique aujourd’hui de la question de l’addiction dans la pop culture, c’est certainement le personnage de Rue dans Euphoria. C’est une série extrêmement populaire, très créative et qui a un succès à la fois critique et public. Le traitement de ce personnage est très juste. Sans rien cacher de la complexité que peut amener l’addiction, notamment dans la cellule familiale, ça reste un très bon moyen d’essayer de comprendre ce que peut ressentir une personne en situation d’addiction.
Quelqu’un qui est atteint d’addiction, je ne suis pas certain qu’il ait besoin de cette série pour comprendre ce qu’il vit déjà. Par contre, pour le grand public, c’est un moyen intéressant de parler de santé mentale.
Parler de santé mentale via des films et des séries relève-t-il de la démarche scientifique ?
L’équilibre que j’ai essayé de trouver et que je mets toujours en balance dans Pop & Psy, c’est à la fois une haute exigence intellectuelle et scientifique. Je suis médecin dans un service hospitalo-universitaire, ce qui fait que je suis au contact de collègues qui font de la recherche des dernières avancées. Je continue de me former, je vais aux congrès etc. Dans le livre, c’est pour ça que j’ai mis aussi énormément de références scientifiques à des articles publiés de la littérature scientifique. Je ne veux pas sacrifier le fond par rapport à la forme mais évidemment en mêlant ça avec des références beaucoup plus ludiques et accessibles, en parlant de Kim Kardashian ou de du dernier film qui a eu un Oscar par exemple.
Comment cette approche a-t-elle été perçue par vos confrères ?
Quand j’ai commencé mes conférences et les livres avec Culture Pop & Psy, c’est vrai que je craignais l’avis de certains de mes confrères, notamment des confrères plus âgés qui n’avaient pas forcément les codes de ces séries. Je me suis dit : « un psychiatre qui parle de Britney Spears et de séries, est-ce que ça va renvoyer une image de sérieux ? ». Finalement, je dois dire que j’ai été très agréablement surpris puisque j’ai été invité à tous les grands congrès nationaux de psychiatrie par les internes de psychiatrie également et puis même au-delà, par des institutions comme l’AP-HP dans laquelle je travaille. Je pense que c’est assez emblématique du fait que, contrairement à ce que l’on croit, les psychiatres sont plutôt ouverts d’esprit. Et puis de deux, je ne suis pas seul et c’est aussi pour ça qu’on a voulu monter ce festival. Dans mes conférences, au ciné-club ou dans mes livres évidemment, ce n’est que ma parole. On peut se dire que ça ne représente pas toute une génération. Or, au festival [Pop & Psy, première édition en octobre dernier], j’ai voulu mettre en avant beaucoup d’autres de mes jeunes confrères et consœurs qui partagent au moins cet intérêt et cette volonté de déstigmatiser. Chacun le fait avec ses outils, sa culture et pas forcément qu’avec la pop culture mais c’est ce qui enrichit ce propos je trouve.
Dans quel état se trouve la santé mentale en France ?
On est pas dans Shutter Island mais franchement l’état de vétusté de pas mal de centres est quand même assez préoccupant. Exerçant dans le service public, j’en sais quelque chose.
Et au niveau des mentalités ?
Aujourd’hui, ce qui est encourageant c’est qu’on a jamais autant parlé de la santé mentale que dans notre société et c’est vrai qu’il y a un vrai facteur générationnel autour des moins de 30, 35, 40 ans, qui parlent beaucoup plus librement du sujet. Finalement, la santé mentale devient un enjeu de société comme peut l’être l’écologie ou les questions de genre, de féminisme. On voit que ça concerne beaucoup de monde et que beaucoup de monde a quelque chose à dire sur le sujet. On sort des tabous et de l’omerta qui a trop longtemps englobé les troubles psychiques.
Le changement viendra avant tout des personnes concernées de la société civile et c’est aussi pour ça que j’ai orienté beaucoup de mes actions vers le grand public. Le jour où le grand public comprendra que la santé mentale fait partie de la santé générale, que il y a pas de raison que la personne atteinte d’un trouble bipolaire soit ostracisée et mise à l’écart plus qu’une personne qui aurait un diabète ou un cancer… Ce jour-là on aura gagné et ce jour-là, le politique sera obligé de s’adapter à ce changement de regard sur la question et la psychiatrie ne pourra plus être l’enfant pauvre de la santé, on ne tolérera plus l’inertie dans laquelle on a été pendant trop d’années, le manque de moyens, le manque de moyens physiques, le manque de moyens humains et finalement tout le monde pourra avoir la prise en charge dont il a besoin.
Propos recueillis par Adrien Morcuende