Au Groupe hospitalier Pellegrin (CHU de Bordeaux), il nous faut avancer jusqu’à l’extrémité du site pour atteindre le bâtiment recherché. Une fois devant, de grandes fenêtres vitrées donnent à voir un hall aux murs verts, et dont la tapisserie clame en grandes lettres taguées : « MARADJA ». Un peu plus loin, un couloir bardé de néons distribue une multitude de pièces dont la porte nous indique ce qu’il s’y pratique à l’intérieur : du sport, des soins esthétiques, des échanges avec une psychologue etc. A première vue, un lieu comme il existe sans doute d’autres. Pourtant ici, de nombreux jeunes voient leur quotidien soulagé du poids qu’imposent les contraintes liées à leur cancer. Parmi elles, Lucile Auguin, vingt-cinq ans.
En 2021, Lucile a été diagnostiquée d’une leucémie aiguë. « Je m’y étais préparée« , nous explique-t-elle calmement au bout de quelques minutes de discussion. Il faut dire que ses multiples analyses de sang ne présageaient rien de bon. À ce moment-là, Lucile est inscrite en troisième année d’orthophonie. « Tout s’écroule », résume-t-elle. Face au poids de cette annonce, l’étudiante ne baisse pas les bras pour autant. « J’étais plutôt dans le combat. Il y a une chance pour que je m’en sorte. Ça va être difficile, mais go !«
« On ne réalise pas que toute sa vie va s’arrêter »
« C’est pendant les traitements que j’ai compris la gravité [de la situation] », se remémore Lucile qui va successivement vivre plusieurs mois en chambre stérile, des traitements, et une greffe de moelle osseuse. Un lourd parcours de soins rythmé, de son aveu, par la peur. Car lorsqu’un cancer est déclaré, toute certitude en lien avec l’avenir est effacée. « On vit au jour le jour, et lorsqu’ on est hospitalisé, c’est à l’heure près. » Trois mois après être entrée dans ce tunnel thérapeutique, Lucile entre en phase de rémission. Aujourd’hui, si son suivi est extrêmement allégé par rapport à ce qu’elle a pu connaître, il fait encore amplement partie de son quotidien.
Aujourd’hui, au micro des médias qui l’interrogent, c’est avec beaucoup de recul que Lucile revient sur chaque étape de ce cheminement, inévitablement jalonné de problématiques aussi complexes que personnelles. Dans le cas de la jeune femme, le rapport au corps, son incapacité à se le représenter, à l’accepter, en est un exemple. « D’un seul coup, on apprend qu’on est malade, qu’on doit être traitée très vite. On se coupe les cheveux, on nous rase, ensuite on nous pose un énorme cathéter. Le corps change, on maigrit énormément et d’un seul coup on va gonfler du fait des traitements. […] Je ne me sentais plus comme une jeune femme. Mon corps était un corps-objet que je laissais aux médecins. C’est bête, mais sur la repousse des cheveux, je fais une « fixette ». Ce n’est pas facile. J’aimais bien avoir les cheveux longs, coupe hyper classique. Quand j’avais les cheveux courts, j’ai dit : « Ok, ce n’est pas moi. C’est difficile de se détacher de l’image de nous malade.«
Récupérer ce corps dont on a été privé prend du temps. Retrouver une confiance en soi aussi. Mais ce parcours mental et physique n’aurait sans doute pas été le même si Lucile n’avait pas poussé la porte de MARADJA.
Ce lieu, elle s’y est d’abord rendue pour faire du sport avec Marion, l’APA (Accompagnement Physique Adapté) de l’équipe, loin de l’atmosphère médicalisée de l’hôpital. Elle va y trouver plus que cela. « Ce n’est pas que du sport, on parle… je pouvais exploser en sanglots… parler de mes doutes, de mes peurs, de mes joies. Quand j’y allais, j’étais fatiguée, je n’étais pas bien. Quand j’en ressortais, j’étais trop contente. Ça me faisait un bien fou ! « , raconte-t-elle avec enthousiasme. Cette bouffée d’oxygène, d’autres jeunes gens atteints de cancer y goûtent aussi.
MARADJA, une bulle à part
Ouvert depuis 2013, Maradja offre, avec le soutien de la Ligue contre le Cancer Gironde, une aide « multidimensionnelle » aux malades, en apportant des réponses à des besoins physiques, mais aussi mentaux ou sociaux. L’équipe est composée d’une psychologue, d’une accompagnatrice en santé, de deux enseignantes APA (Accompagnement Physique Adapté), d’une assistante sociale et d’une socio-esthéticienne. Aussi, divers ateliers sont proposés, à l’image des moments de pilates-relaxation, de cours de cuisine ou encore de soirées durant lesquelles les jeunes patients peuvent se retrouver et échanger. Un accompagnement qui profite donc aux jeunes patients qui passent dans ces murs, mais pas que. Les différents acteurs de Maradja interviennent également auprès de leur entourage, par exemple en sensibilisant leurs enseignants ou leur cercle proche.
Le 2 février dernier, la maison MARADJA a donc fêté ses dix ans d’existence. À cette occasion, ses professionnels se sont réunis pour rappeler leurs missions face aux médias. Ils ont mis l’accent sur l’importance de garder contact avec les jeunes à chaque étape de la maladie, ainsi que sur le fait que ce lien ne soit pas régi par des règles enfermantes : « Avec moi, pas de prise de rendez-vous. », donne en exemple Karyn Dugas, accompagnatrice en santé. Cette philosophie permet, dans une certaine mesure, d’éviter une forme de pression mise sur le dos des malades, et de faciliter une plus libre expression de leurs besoins.
Si elle n’a plus autant besoin de cette « béquille » que dans un passé récent, Lucile sait qu’elle peut à tout moment s’appuyer sur MARADJA.
Les jeunes et le cancer en France
Le cancer est considéré comme la troisième cause de mortalité chez les jeunes dans notre pays. En moyenne, ce sont deux mille trois cent individus qui sont touchés par cette maladie chaque année. Selon les données de l’Institut Curie, les tumeurs les plus fréquentes chez cette population sont les lymphomes, les leucémies, les cancers de la thyroïde, les mélanomes, les tumeurs germinales gonadiques et du système nerveux central.
Par ailleurs, comme l’illustre le cas de Lucile Auguin, des questionnements spécifiques à cette tranche d’âge peuvent apparaître, notamment au niveau de la reconnaissance et la projection de soi, de la création et du maintien d’un lien social, du sentiment d’injustice d’être frappé par la maladie à un moment où bien des choses se construisent.
De ce point de vue, et pour y répondre au mieux, MARADJA fait bien la distinction entre adolescents et jeunes adultes. Les patients compris entre quinze et dix-huit ans sont considérés comme des sujets non-autonomes vis-à -vis de la société. Un aidant principal (la plupart du temps, un parent) devient alors coordinateur du parcours, ce qui n’est pas toujours aisé à accepter pour le jeune. En effet, on note généralement un repli sur soi de la part de ces « ados » qui sont justement en quête d’autonomie. Inversement, les jeunes âgés de dix-huit à vingt-cinq ans sont considérés comme autonomes. Coordinateurs de leur propre parcours, ils ont davantage tendance à laisser leur entourage prendre le relai.
Ces considérations, partagées lors de la conférence de presse des dix ans de MARADJA, permettent de prendre conscience de la multitude de particularités qui existent d’un atteint du cancer à l’autre, ainsi que du rapport que chacun entretient avec sa maladie.
Océane Rolland et Adrien Morcuende