« Mes filles ne m’avaient jamais entendue parler ! ». Plusieurs semaines après l’intervention, c’est avec ces mots que Karine a souhaité revenir sur le parcours qui l’a menée à bénéficier d’une greffe de larynx. Une première nationale. « J’ai souhaité me faire greffer, il y a une dizaine d’années pour retrouver une vie normale, pouvoir faire des activités avec mes enfants, communiquer, être indépendante.« , raconte celle qui a perdu sa voix alors qu’elle n’avait pas trente ans et pour qui la retrouver aujourd’hui n’a rien d’anodin. « Aujourd’hui, cela me fait bizarre de parler à nouveau. Mon mari avait oublié le son de ma voix !« , poursuit la patiente, qui salue la prise en charge et l’accompagnement post-opératoire des équipes des HCL.
Une soixantaine de professionnels de santé mobilisés
3 septembre 2023. Après 27 heures de travail, c’est la satisfaction, plus que la fatigue, qui transparaît sur les visages des douze chirurgiens qui ont réalisé cette prouesse chirurgicale, le Pr Philippe Ceruse, chef du service d’ORL et de chirurgie cervico-faciale de l’hôpital de la Croix-Rousse, en tête. « Tout s’est parfaitement déroulé, de A à Z ! » Derrière cette équipe de circonstance, composée pour moitié de chirurgiens des HCL (le reste venant de différents CHU en France* : AP-HP, Rennes, Nantes, Rouen, Toulouse), ce sont près d’une cinquantaine de professionnels, IBODE, IADE, anesthésistes, aides-soignants, coordinateurs hospitaliers des prélèvements d’organes et de tissus (CHPOT), cadres de santé qui ont été mobilisés pour cette intervention rarissime.
Cette greffe de larynx, qui n’avait en effet été recensée et réussie que trois fois auparavant dans le monde, avait démarré dans la matinée du 2 septembre, entre les murs de l’hôpital Edouard Herriot, par le prélèvement sur une donneuse. Vingt-quatre heures plus tard, c’est à l’hôpital de la Croix-Rousse que s’est achevée l’intervention avec la transplantation (assistée du robot Da Vinci Xi) sur Karine, la patiente receveuse. Une dernière opération qui a duré, a elle seule, dix-sept heures. Et dans les meilleures conditions possibles. « Tout s’est passé mieux que je n’aurais pu l’imaginer, comme dans une symphonie parfaitement orchestrée. » , raconte le Pr Ceruse, qui a dirigé l’intégralité de l’opération. Et de filer la métaphore, non sans fierté : « Chaque chirurgien avait son temps d’intervention, sa partition en quelque sorte. Il aura pourtant fallu s’adapter car, sur l’équipe prévue, deux chirurgiennes n’ont pas pu venir. Mais chacun savait ce qu’il devait faire, le temps à consacrer à sa tâche… tout était cadré. Et, malgré les difficultés liées à la vascularisation et l’innervation, il n’y a eu aucune fausse note ! » Le chef d’orchestre semble heureux du chef d’œuvre accompli. Pourtant, sa réalisation ne s’apparente pas à une ballade de santé.
Des Etats-Unis à la Colombie, le fruit d’une longue quête
Réservée aux patients qui ne souffrent pas de cancer, soit un très petit nombre de personnes dont le larynx n’est plus fonctionnel, la greffe de cet organe du cou essentiel dans la respiration, la déglutition et la parole (phonation), reste aussi rare que complexe.
Si elle a pu avoir lieu aux Hospices Civils de Lyon, cette intervention doit aussi son succès à la détermination du Pr Ceruse. Ce dernier se souvient du moment où il est tombé sur le récit de la première greffe du larynx, qui a eu lieu à Cleveland (Etats-Unis) en 1998. « Quand j’ai lu ça, cela m’a fasciné. C’était totalement inédit, presque impensable. Je me suis dit : « mais comment ont-ils fait ? » J’ai voulu en savoir plus, car il n’y avait pas beaucoup de détails dans la publication. », relate-t-il. Poussé par sa curiosité et son enthousiasme, le jeune chirurgien cervico-facial contacte Marshall Strome, médecin américain et autour de cette première mondiale. L’échange ne pourra pas se concrétiser en rencontre et la possibilité de reproduire une greffe de ce genre, qui a germé dans la tête de Philippe Ceruse, s’évapore peu à peu.
Jusqu’à ce jour de 2010, au cours de laquelle le Pr assiste à une conférence donnée par le Dr Luis Fernando Tintinago, un chirurgien colombien. « Et là, devant tout le monde, il détaille de manière très précise la chirurgie d’une greffe du larynx ! » , se souvient-il, la surprise de ce moment (ce médecin n’avait alors rien publié sur le sujet) dans la voix. S’en suivra alors une invitation du Dr Tintinago. « Je suis allé chez lui en 2012. Je l’ai ensuite, à mon tour, invité en France. Il a donné une conférence puis nous avons réalisé ensemble une dissection sur cadavre durant laquelle il m’a montré comment il prélevait le transplant laryngé, l’un des aspects les plus complexes. »
C’est cette technique que le chirurgien lyonnais s’évertuera à perfectionner pendant près d’une décennie, entouré de la dream team d’experts constituée avec le soutien des équipes de transplantation des HCL. Jusqu’à la mettre en œuvre en septembre de cette année (seules deux autres équipes, l’une à Sacramento en 2010, l’autre dans la ville polonaise de Gliwice en 2015, sont parvenues entre-temps à cette greffe du larynx).
La voix de la guérison
Près de deux mois après avoir subi cette intervention, Karine, a pu regagner son domicile dans le sud de la France, en bonne santé. Une décision qui fit suite à une semaine de soins intensifs post-opératoires et quarante-cinq jours passés entre les mains du service d’ORL et de chirurgie cervico-faciale de l’hôpital de la Croix-Rousse. On imagine le soulagement de la patiente, vivant ce qui pourrait être l’heureuse conclusion d’un parcours entamé en 1996 où, après un arrêt cardiaque, des complications liées à son intubation en réanimation avaient engendré une sténose du larynx. Sa détérioration totale avait alors condamné Karine à respirer par une trachéotomie, sans possibilité de parler, pendant deux décennies.
Quelques jours après son opération, les premiers mots prononcés ont résonné comme une renaissance. Aujourd’hui, Karine effectue une rééducation hebdomadaire des cordes vocales (mais aussi de la déglutition et de la respiration), à base de courts exercices, accompagnée par une orthophoniste de la Croix-Rousse. Si tout se passe comme espéré, elle devrait pouvoir retrouver d’ici quelques mois l’usage de la parole, avec une voix normale et sans canule de trachéotomie. Miraculeux ou presque.
La prudence reste toutefois de mise. Karine, qui a vu son traitement renforcé à la suite d’un début de rejet, poursuivra sa convalescence encore plusieurs mois. Aussi, il faudra encore attendre une année complète pour s’assurer de la réussite définitive de sa transplantation.
La rédaction avec les Hospices Civils de Lyon
La greffe aux HCL : un savoir faire d’excellence au fil des ans
- 1965 : première greffe française d’un rein prélevé sur donneur décédé, par les Prs Jules Traeger et Jean Perrin, à l’hôpital de l’Antiquaille.
- 1974 : première greffe française du thymus, puis première greffe mondiale de cellules souches du foie fœtal sur nouveau-né (1976), par le Pr Jean-Louis Touraine, à l’hôpital Edouard-Herriot.
- 1976 : première greffe européenne de pancréas, par le Pr Jean-Michel Dubernard, à l’hôpital Edouard-Herriot.
1992 : première greffe française d’un foie issu d’un donneur vivant, par le Pr Olivier Boilot, à l’hôpital Edouard-Herriot.
1998 : première greffe mondiale de main, puis première double greffe mondiale des mains et avant-bras (2000), par le Pr Jean-Michel Dubernard, à l’hôpital Edouard-Herriot.
- 2021 : première greffe de bras au niveau des épaules, par les Prs Aram Gazarian, Lionel Badet et Emmanuel Morelon.
*La liste des chirurgiens à qui l’on doit cette première française
- Pr Philippe CERUSE, Dr Jacques BLANC, Dr Frédéric FAURE, Dr Carine Fuchmann, Dr Pierre PHILOUZE.
- Pr Sébastien ALBERT (Groupe Hospitalier Privé Abroise Paré – Hartmann, Neuilly)
- Pr Bertrand BAUJAT (Hopital Tenon, AP-HP)
- Pr Franck Jegoux (CHU de Rennes)
- Pr Olivier Malard (CHU de Nantes)
- Pr Jean-Paul Marie, Dr Sophie Deneuve (CHU de Rouen)
- Pr Sebastien Vergez (CHU de Toulouse)
- Un chirurgien de la transplantation : Pr Lionel Badet (HCL)
- Un chirurgien thoracique : Dr Valentin Soldea (HCL)