Ils sont une quinzaine à fixer le corps inanimé de l’homme au sol. Pourtant, aucune panique sur les visages de ces étudiants en troisième année de médecine, animés davantage par les traits silencieux de la concentration. Dans cette salle du Centre d’Enseignement des Soins d’Urgences, où la mise en situation définit les rôles de chacun, l’arrêt cardiaque chez l’adulte, l’enfant et le nourrisson est à l’ordre du jour. Comme ses camarades, Paula griffonne sur son carnet les mots clés prononcés par Sandra Baudet, infirmière et enseignante au CESU 44. Une façon de figer des connaissances déjà abordées l’année précédente, avant de délaisser la théorie pour la pratique.
Agenouillée près de Stéphane, le second formateur fraîchement glissé dans la peau d’une victime d’arrêt cardiaque (ou arrêt cardio-respiratoire), Paula se met rapidement en recherche d’une respiration. Évaluer l’état de conscience de la personne, composer le numéro du 15, autant de réflexes indispensables à avoir pour espérer valider l’Attestation de Formation aux Gestes et Soins d’Urgences (AFGSU). “A la différence des professionnels du CHU, qui vont passer l’AFGSU sur trois jours, ces étudiants en médecine, qui n’ont pas eu beaucoup de pratique, le font sur plusieurs années. L’idée est qu’ils acquièrent des automatismes et sachent bien refaire les gestes de secours. Ils ont le droit de se tromper. On est là pour faire des erreurs et c’est ensemble qu’ils vont trouver les meilleurs gestes à faire pour sauver la vie”, explique non sans bienveillance Sandra Baudet.
“Stayin’ alive” VS “I gotta feeling”
Stéphane a été remplacé par un mannequin. Et c’est sur le torse de ce dernier que les étudiants vont un à un s’exercer au massage cardio-respiratoire. Placement des mains, verrouillage des coudes pour maintenir les bras tendus, positionnement des épaules à l’aplomb de la poitrine de la victime, alternance entre temps de compressions et durée de relâchement (pour permettre au sang de revenir vers le cœur) etc., les compressions thoraciques demandent de la précision et de l’endurance. Aussi, afin d’assurer une régularité optimale des compressions, il est permis aux étudiants d’inviter mentalement les Bee Gees ou les Black Eyed Peas et de caler la cadence du massage cardiaque sur le rythme de leurs tubes respectifs : “Stayin’ Alive” (plutôt de circonstance) ou “I gotta feeling”. Astuce payante pour Jeanne qui, grâce à une application connectée au mannequin, obtient un score de 99% d’efficacité du massage.
Quelques minutes plus tard, l’utilisation d’un défibrillateur (ou DAE : défibrillateur automatisé externe) vient conclure cette simulation d’arrêt cardiaque de l’adulte. Ce sera ensuite au tour de mannequins enfant et nourrisson de servir de terrain d’entraînement au groupe, avec les spécificités que ces cas supposent. Malgré le flot d’informations à retenir, Paula semble plutôt confiante quant à leur restitution dans le cadre de leur futur métier : “J’étais assez étonnée car on a réactivé pas mal de connaissances de l’an dernier. Cela nous donne un côté pratique qui va nous permettre d’être réactifs pendant des stages ou en situation réelle dans la rue.”
Une autre session de formation sur ces thèmes est prévue en cinquième année, nouvelle opportunité d’entretenir les connaissances et perfectionner les gestes avant de définitivement plonger dans le bain de la réalité de l’urgence.
Des formations aux situations sanitaires exceptionnelles
Comme dans d’autres CESU en France (on en compte 103 sur l’ensemble de l’hexagone), le centre nantais propose l’Attestation de Formation aux Gestes et Soins d’Urgences de niveau 1 à destination les professionnels non soignants et une seconde, de niveau 2, pour les professionnels soignants. “On a une part de notre activité qui est plus tournée vers les professionnels de l’urgence et de l’aide médicale urgente. On va être par exemple sur des formations pour les infirmières d’accueil des urgences; on a des formations à la régulation médicale etc.”, explique Céline Longo, médecin et responsable du CESU 44.
Les formateurs du CESU, “des professionnels de terrain qui sont en poste dans des services de soins critiques”, (SAMU, Urgences, réanimation, blocs opératoires) dotés d’une double compétence clinique et pédagogique, se déplacent pour délivrer des formations hors les murs. Ils peuvent ainsi enseigner sur deux jours les soins d’urgences aux professionnels de crèches, ou encore à des soignants évoluants dans les prisons, comme ce fut le cas quelques jours avant notre venue. “Il y avait deux thématiques : la prise en charge en charge du pendu, qui est une situation assez fréquente en prison, et la prise en charge de l’arrêt cardiaque.”, précise le Dr Longo.
Mais le CESU fait aussi dans la préparation aux crises sanitaires exceptionnelles. Afflux massif de patients en contexte d’attentat, prise en charge de personnes contaminées dans le cadre de risques nucléaire, radiologique ou chimique etc. l’expertise du CESU se traduit par une palette très variée.
Un manque de formation du grand public
Lorsque pour conclure, nous lui demandons son avis sur la connaissance des Français des gestes de premiers secours, la réponse de Céline Longo est sans appel : “ Je pense à l’arrêt cardiaque. Si les premiers gestes ne sont pas mis en œuvre par les témoins de l’arrêt cardiaque, on sait que le pronostic est grevé de façon importante. Même si les choses sont en voie d’amélioration, on est encore sur un niveau de formation du grand public très nettement insuffisant.”
Adrien Morcuende