Il était un foie, reperfusé et oxygéné… mais de quoi parle-t-on au juste ? Et en quoi cela peut-il bien constituer une innovation pour les patients dans l’attente d’une greffe ?
Jusqu’ici, les greffons hépatiques étaient, entre le moment de leur prélèvement sur une personne décédée et leur transplantation dans un nouveau corps, conservés dans de la glace enrichie d’un antigel. Cette glace permettait alors ce qu’on appelle l’ischémie froide, c’est-à-dire une phase où l’organe est maintenu à 4 °C pendant douze heures maximum, sans que le sang ne circule. Si ce mode de conservation convient globalement aux greffons hépatiques en “bonne santé”, il arrive que le manque d’oxygène dû à l’absence de circulation sanguine fasse “souffrir” les foies les plus fragiles – cette souffrance se matérialisant par des lésions pouvant entraîner un mauvais fonctionnement post-opératoire du foie greffé, voire provoquer sa perte. Or, dans un contexte de pénurie d’organes (on compte un donneur pour trois receveurs), les spécialistes de la transplantation se retrouvent à utiliser de plus en plus des greffons de qualité limitée.
Davantage de donneurs âgés qu’il y a vingt ans
“Le fait qu’on ait de plus en plus de greffons marginaux vient du fait que la typologie des donneurs s’est modifiée au cours des vingt à trente dernières années, analyse le Pr Fabrice Muscari, responsable de l’unité de chirurgie hépato-bilio-pancréatique et transplantation au département de chirurgie digestive du CHU de Toulouse. Il y a trente ans, on avait beaucoup d’accidentés de la route avec des donneurs jeunes, polytraumatisés. Du fait des différentes mesures de prévention routière, on a fort heureusement de moins en moins de ces donneurs jeunes et de plus en plus de donneurs de plus de soixante, soixante-dix ans, notamment à cause d’hémorragies cérébrales et de malformations artério-veineuses cérébrales (…) On utilise donc des greffons venants de personnes de plus en plus âgées, de personnes qui ont beaucoup de comorbidités ou un certain degré d’obésité (…) Ces foies dits marginaux, que l’on utilise de plus en plus fréquemment, sont beaucoup plus fragiles aux lésions d’ischémie et à l’hypoxie [manque d’oxygène] ”.
Face à cette réalité, il a donc fallu trouver de nouvelles techniques. Le recours récent à la technique de perfusion hypothermique oxygénée, grâce à un appareil à perfusion, permet de réoxygéner le greffon afin de non seulement diminuer les lésions mais aussi, sur le moyen terme, “de réduire les complications biliaires”. Et depuis qu’ils ont reçu une machine à perfusion, baptisée “Liver Assist”, le Pr Muscari et son équipe ont réalisé cinq greffes hépatiques avec ces foies réoxygénés ex vivo, c’est-à-dire hors du corps.
Des “pouponnières à greffons” dans le futur
Avant le CHU de Toulouse, d’autres centres hospitaliers (Lyon, Rennes, Strasbourg, l’hôpital Beaujon en banlieue parisienne) se sont dotés de cet appareil, par ailleurs utilisé en Suisse et aux Pays-Bas. C’est d’ailleurs dans ces pays qu’est développée la normothermie oxygénée, variation de la reperfusion oxygénée que permet le “Liver Assist”, et qui consiste à “reperfuser l’organe avec du sang oxygéné en température corporelle dans lequel pourront être ajoutés des traitements qui optimiseront la qualité du greffon”, affirme-t-on du côté du CHU de Toulouse. Et au Pr Muscari d’ajouter : “C’est sans doute l’avenir car cette technique-là permet de réanimer l’organe. Il y a des études préliminaires qui ont montré qu’on pouvait même le dégraisser. Donc on peut imaginer, dans un avenir très proche, qu’il puisse y avoir des vraies pouponnières à greffons, c’est-à-dire des pièces dans lesquelles il y aurait plusieurs machines à perfusion dont on ne prendrait, après plusieurs heures, que les greffons fonctionnels.”
Une nourricerie pour greffons hépatiques oui, mais pas seulement. Le CHU de Toulouse aspire à développer dans les prochaines années une plateforme de machines à perfusion qui servirait les transplantations rénales, pancréatiques, pulmonaires et hépatiques (déjà réunies au même endroit), permettant de répondre, dans une certaine mesure, au cruel manque d’organes actuel.
Adrien Morcuende