Alors que le Projet de loi de financement de la sécurité sociale 2008 va être examiné à l’Assemblée Nationale, le Professeur Didier Gosset, Président de la Société Française de Médecine Légale alerte l’opinion publique sur la situation intenable des services et unités de médecine légale de France. Cette médecine d’intérêt public, au service de la victime et de la vérité souffre d’étiolement depuis des années. Aujourd’hui elle est menacée de disparition.
Un constat actuel est sans appel
En ces temps de restriction « pas de financement = pas d’existence légale possible ». Enlisée dans un no man’s land budgétaire, à la marge entre les systèmes sanitaire et judiciaire, la médecine légale est en souffrance d’ordonnance. Elle a disparu en 2007 de la liste des spécialités comprises dans les Missions d’intérêt général des hôpitaux. Elle n’est pas non plus recensée par la tarification à l’activité. On pourrait imaginer que travaillant exclusivement sur réquisition du Parquet ce soit au Ministère de la justice d’en assumer les coûts. 0r, placée sous la chape de la loi organique relative aux lois de finance, la justice voit ses moyens se réduire. L’heure est là aussi aux économies sur les frais extérieurs.
«Les victimes ont droit à des égards et méritent toute l’attention de la société. Pour les prendre en charge, il faut créer des dispositifs spécifiques et pérennes et les financer par une ligne budgétaire d’Etat ou par la réintégration définitive des actes de médecine légale dans les missions d’intérêt général des hôpitaux revendique le Professeur Didier Gosset. Avec la médecine pénitentiaire, l’Etat a su trouver des solutions et une organisation pour soigner les auteurs d’infraction. Il doit en être de même pour les victimes ! »
Une problématique ancienne qui devient explosive en l’absence de réponse politique
La question du financement de l’activité médico-légale a été soulevée à de multiples reprises au sein du conseil supérieur de médecine légale depuis 1995*. Mais la problématique disséquée en commission interministérielle, dans de nombreux rapports ou dénoncée dans les courriers n’a fait l’objet d’aucun arbitrage ; les ministères de la santé et de la justice se renvoyant sans cesse le problème. Toujours en attente d’arbitrage, la médecine légale française constate amèrement qu’elle n’a plus les moyens de sa vocation et que sans décision urgente elle pourra être déclarée en faillite.
Financement des actes
Le médecin légiste intervient sur réquisition du parquet. Le Centre Hospitalier facture les prestations médicales au tarif du Code des procédures pénales. Les honoraires d’expertise et le rapport du médecin sont payés en sus par la Justice. Certaines conventions prévoient le financement de frais annexes d’un montant variable remboursant l’utilisation de frais de consommables et parfois de personnels. Les hôpitaux ou facultés de médecine compensent souvent les frais de personnels (secrétariat, garçons de morgue). Les astreintes médico-légales ne sont pas toujours financées.
Les consultations de médecine légale sont financées sur frais de justice lorsqu’elles sont sur réquisition (1/4) ou sont tarifées comme une consultation spécialisée à la sécurité sociale soit 23 euros. Le fonctionnement : accueil, secrétariat, locaux,.est financé par les hôpitaux
Les tarifs pratiqués ne couvrent ni la rémunération du médecin légiste, ni les investissements et ni les frais de fonctionnement de cette unité. Pour un CHU comme celui de Lille ces dépenses atteignent 1 million d’euros par an au titre de l’activité médico-judiciaire.
Une autopsie est quant à elle tarifée à 138 euros par le code de procédure pénale mais coûte en réalité plus du double.
Jusqu’à présent la médecine légale a survécu aux dépens des hôpitaux ou des facultés de médecine, grâce à la bienveillance locale de chefs d’établissement ou de la pression de la justice. Compte tenu des nouvelles règles budgétaires, le financement de la médecine légale ne peut plus demeurer à la charge des établissements hospitaliers avec une faible participation des autorités judiciaires.
L’absence de financement spécifiquement fléché aura des conséquences dramatiques
Les victimes d’agression ne pourront plus faire valoir leurs droits du fait de l’absence de constatation et de description précise des lésions ou de certificats médicaux inutilisables. Rappelons que c’est en raison de la mauvaise qualité de ces certificats que les consultations médico-judiciaires ont été créées. De plus, les victimes ne bénéficieront plus d’une prise en charge globale : soins somatiques, mais aussi psychologiques et s’il y a lieu, accompagnement social…
Dans ce scénario catastrophe, la justice se verrait dans l’impossibilité de poursuivre les procédures et des crimes resteraient impunis. Quant aux services de médecine légale, ils vont rapidement dépérir et le recrutement en médecins légistes risquerait de se tarir malgré l’engouement pour la discipline.
Enfin, la santé se priverait de connaissances épidémiologiques essentielles. Par exemple, l’état de santé mental d’une région est corrélé à la mortalité par suicide. Or seul le légiste a accès à ces données. Lui seul est à même de recueillir les données scientifiques utiles.
La médecine légale : définition et activité
La médecine légale est une discipline médicale spécifique située à l’interface de la médecine et de la justice. Le médecin légiste est le spécialiste des violences. Il a vocation à prendre en charge les
victimes, vivantes ou mortes, ou les agresseurs. Garante des droits de la victime puisqu’elle produit la preuve de leur statut, qu’elle apprécie l’importance de l’agression et en évalue les conséquences afin d’aider à la réparation du dommage subi, la médecine légale est un service dû à chaque citoyen. Exemple même de la prestation « qui ne rapporte pas » mais sans laquelle la justice ne peut s’exercer correctement.
En 2004, les services de médecine légale ont réalisé près de 400 000 actes de médecine légale du vivant (dont 20% concernent des agressions sexuelles) et plus de 8 000 autopsies et 11 000 levées de corps.
L’activité de la médecine légale est de plus en plus indispensable au bon fonctionnement de la Justice du fait de sa technicité et des explorations à réaliser. Elle permet une prise en charge globale de la victime, en un site unique capable de coordonner toutes les facettes de la problématique (médical, psychologique, social, réorientation) et pouvant constituer une ressource pour les associations d’aide aux victimes.
Le médecin légiste peut étudier, en complément des policiers, des gendarmes, des juristes et des sociologues les phénomènes induits par les violences. Par sa connaissance des modalités opératoires et une compréhension des gestes des agresseurs, il aide aussi à prévenir les récidives. Ainsi, la médecine légale est la seule à pouvoir réaliser certaines études épidémiologiques comme par exemple les morsures de chiens en rapprochant le type de chiens et les caractéristiques des morsures (dogs bites in the living a survey of 236 cases in a french hospital présenté en 2002 à l’American Academy of Forensic Sciences par le Dr Bécart) ou attirer l’attention sur certaines situations dangereuses comme l’utilisation de trotteurs pour bébés.
La Société Française de Médecine Légale
Fondée en 1868, reconnue d’utilité publique en 1874 et 1923, la Société Française de médecine Légale est une société savante dont les missions sont de promouvoir l’enseignement et la recherche en médecine légale. Ses adhérents, tous médecins légistes sont au nombre de 400.
La Société Française de Médecine Légale est présidée par le Pr Didier Gosset, Professeur de médecine légale et droit de la santé, Faculté de Médecine de Lille, Coordonnateur du Pôle de Médecine légale et médecine en milieu pénitentiaire du CHU de Lille, Expert agréé par la Cour de Cassation.
* Courriers et rapports alertant les différents ministères sur la situation dramatique de la médecine légale
– Lettre du Pr Didier Gosset au Président de la République le 1er juin 2007
– Lettre de Monsieur Paul Castel, Président de la Conférence des Directeurs Généraux de CHU à la Directrice de la DHOS le 26 février 2007
Mais aussi les nombreux rapports et commissions :
– Rapport de la mission interministérielle (ministère de la justice – ministère de la santé et des solidarités) en vue d’une réforme de la médecine légale – janvier 2006
– F. Demichel. Les contradictions actuelles du droit et de la santé. Revue générale de droit médical, 2004,
– B. Proust, F. Clarot, P. Ticos, E. Vaz, P. Meurant, F. Papin. La médecine légale hospitalière : pour une tarification à l’activité (T2A) médico-judiciaire. XLIV Congrès International de Médecine Légale et de Médecine Sociale de Langue Française, Angers, 15-18 juin 2004
– Le rapport au Premier ministre sur la médecine légale du Pr Olivier JARDE, Professeur de médecine légale au CHU d’Amiens, – 22 décembre 2003
– Rapport du groupe de travail interministériel de médecine légale (GIML) sur la médecine légale en France. Masson – Collection de médecine légale et de toxicologie, 1975, n° 89
Pour plus d’information contacter
Professeur Didier Gosset
Président de la Société Française de Médecine Légale
Institut de médecine légale et sociale
Faculté de médecine
59045 LILLE CEDEX
Tél : 03 20 62 35 02
Mobile : 06 85 05 56 15
didier.gosset@univ-lille2.fr
http://www.smlc.asso.fr/