Décidé à «agir» plutôt qu’à «réagir», le doyen de la faculté de Strasbourg, nouvellement élu président de la Conférence des doyens de facultés de médecine, entend continuer d’en affirmer la force politique. Le Pr Jean Sibilia, successeur du Pr Jean-Luc Dubois Randé, a établi sa feuille de route à travers «Douze nouveaux travaux majeurs», parmi lesquels la construction du «CHU de demain». Réseau CHU revient avec lui sur ces grands enjeux.
Vous estimez aujourd’hui comme une priorité d’affirmer la force politique de la Conférence des doyens. Comment ?
Nous avons pris conscience que nous avions besoin d’une véritable stratégie de collaboration avec nos institutions, les ministères et autres grandes instances de la santé, pour mieux affirmer notre pensée, notre volonté politique, notre créativité et nos convictions. Nous devons marquer notre présence sur le terrain avec des propositions concrètes et pour cela renforcer notre collaboration avec les autres conférences hospitalières et les autres conférences de santé sous la forme de séminaires communs (médecine-pharmacie-odontologie). Nous allons aussi dans ce sens engager une communication avec le grand public. Pendant des années notre rôle s’est limité à donner notre avis sur des décisions officielles, des textes de lois. Nous étions dans la réaction, nous voulons désormais être dans l’action.
La Conférence des doyens fait partie des entités missionnées par le Gouvernement pour l’élaboration du «CHU de demain». Quelle est la ligne directrice de vos réflexions ?
Effectivement, sept groupes de travail ont été mis en place pour avancer sur sept grandes thématiques relatives à l’élaboration du CHU de demain : gouvernance, recherche et innovation, formation, territoire, relations humaines, financement, soins et stratégie nationale de santé. Nous venons de poser les premiers jalons de notre réflexion pour un rapport de mission attendu fin 2018, et notre vision est claire: il est urgent de redonner du sens à la mission de soin, tout en redonnant de la force à la formation et la recherche, cœur de métier de nos missions HU, pour que nos patients puissent bénéficier avec équité des innovations les plus utiles. Nous attendons pour cela un saut quantique, une vraie transformation du système actuel et non pas une modification cosmétique. Une transformation de la gouvernance, du financement, de l’organisation… Et il est essentiel que ces changements soient portés par une loi. C’est un acte symbolique, un signal important, très fortement attendu pas les soignants.
"Il est urgent de redonner du sens à la mission de soin"
En termes de changement, vous militez pour «la re-universitarisation de la recherche au CHU». Comment?
La loi HPST et ses contraintes techniques et économiques, la pleine T2A, la rétribution des CHU à l’activité, le principe de gouvernance par un chef d’établissement unique : tous ces éléments semblent poser des difficultés aux CHU pour mener des projets hospitalo-universitaires. Et c’est dommage car le CHU par définition est un lieu privilégié pour réussir cette «symbiose associative» qu’est la recherche hospitalo-universitaire. Mais il faut que le système le permette tant au niveau de l’organisation que du financement. Or le système actuel rétribue les CHU sur leurs réalisations et ne les incite donc pas à investir dans les projets de recherche. De plus cette rétribution ne concerne que l’hôpital et ne peut pas être allouée à l’université. C’est pourquoi nous militons pour la création d’un «ONDAM Recherche» fusionné pour la recherche ambulatoire et hospitalière sur le territoire. La recherche est une mission universelle. Plutôt que de la sanctuariser à l’intérieur des murs de l’hôpital, il faut la décloisonner. Le renouveau des CHU doit passer par une gouvernance hospitalière et universitaire partagée plus efficace et plus créative permettant de ne pas dissocier, dans un même écosystème, le continuum recherche clinique, translationnelle et fondamentale. Pour que la dimension U retrouve une place égale à la dimension H.
Vous soulignez l’importance du rôle sociétal qui incombe aux facultés de médecine. Comment l’envisagez-vous précisément?
L’approche psychosociale du soin a complètement changé: le patient sait l’importance de son bien-être, l’exigence qu’il peut en avoir et la possibilité qui lui est donnée d’en être acteur. Cela s’inscrit, dans la mouvance « One Health», dans une dimension globale de la santé qui prend en compte le mode et la qualité de vie des individus. Et nous sommes conduits à intégrer, au-delà de nos valeurs éthiques et déontologiques, une conscience collective forte dans le domaine de la solidarité, de la précarité et de l’environnement. Notre responsabilité sociétale est de servir cette «approche centrée sur le patient». Certes, il s’agit d’une mission évidente pour le praticien, mais traditionnellement la médecine a longtemps reposé sur une relation descendante médecin-patient. Aujourd’hui, il est nécessaire d’instaurer un nouveau mode de communication pour sortir de cette dérive de domination verticale. Et nous encourageons pour cela la formation de nos étudiants à la relation médecin-patient, via des exercices de simulation, comme par exemple «l’entretien motivationnel» pour une consultation d’annonce ou de suivi.
"Dans la mouvance "One health", nous devons appréhender la dimension globale de la santé"
Il est important aussi de préparer les futurs médecins à appréhender la manière dont les médias et plus particulièrement les médias sociaux se saisissent de l’information médicale et la traitent. Sachant que la santé est exposée en première ligne sur les réseaux sociaux avec tous les risques inhérents de mauvaise hiérarchisation des informations, de manipulation ou de désinformation. Nos étudiants doivent être précisément formés pour affronter ces situations. Le jeune médecin doit être prêt, en quittant la faculté, à communiquer de façon experte avec le patient comme avec le citoyen.
Propos recueillis par Betty Mamane
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