Président de la société Visible Patient, une start-up qui propose aux chirurgiens un clone numérique pour visualiser précisément l’anatomie du patient, le Pr Luc Soler travaille depuis plus de vingt ans au développement d’outils de pointe au service des patients et des professionnels de santé. Ancien directeur scientifique de l’IHU de Strasbourg, actuel directeur scientifique de l’IRCAD et Professeur associé à l’équipe de chirurgie digestive et endocrine du Pr Didier Mutter, il livre une vision humaniste et optimiste de ce que sera le CHU numérique demain.
Comment définiriez-vous le CHU numérique ?
Comme un hôpital équipé de systèmes de stockage, d’analyse et de transfert de données patients de façon à pouvoir les réutiliser pour améliorer les soins et les prises en charge. Deux éléments doivent d’emblée être soulignés : en premier lieu, ce progrès ne pourra plus être arrêté. Le numérique est le nouvel outil d’aide au diagnostic, au choix thérapeutique et à la réalisation d’actes médicaux ou chirurgicaux, grâce à l’automatisation de procédures et d’assistances. En second lieu, cette évolution fait naître de nouvelles contraintes en termes de sauvegarde et de sécurité. Les données du patient doivent rester exclusivement entre ses mains ou dans celles du corps médical. Le CHU numérique représente donc à la fois un progrès et de nouvelles responsabilités.
Le CHU numérique, c’est un hôpital équipé de systèmes de stockage, d’analyse et de transfert de données patients de façon à pouvoir les réutiliser pour améliorer les soins et les prises en charge.
Pr Luc Soler
Précisément, les contraintes de sécurité imposées par la France ne risquent-elles pas de nous faire prendre du retard ?
Nous pouvons voir le verre à moitié vide – et nous plaindre parce que les contraintes, fortes, qui pèsent sur les données en France et en Europe vont ralentir nos déploiements numériques –, ou le verre à moitié plein en considérant que ces obligations garantissent la sécurité des données du patient, sans lien possible, par exemple, avec une demande de prêt bancaire. Les personnes qui viennent en France ont l’assurance que leurs données ne serviront qu’à eux seuls ou à la communauté mais sous une forme anonymisée. Cette garantie est un élément positif qui permettra demain à la France d’être leader au niveau mondial. Car je pense possible une révolte des citoyens d’autres pays lorsqu’ils découvriront que leurs données ont été exploitées à des fins non positives. Il existe trois grandes approches du patient dans le monde : en Asie, le pays passe avant l’individu ; aux Etats-Unis, c’est le client, individu ou société, qui est roi ; en Europe, l’intérêt de l’individu prime sur celui d’une société ou d’un Etat. Cette vision européenne humaniste doit être protégée et renforcée. Visible Patient garantit par exemple la protection des données grâce à Docapost, entreprise d’Etat hébergeur de données de santé. Nous fournissons à chaque clinicien une analyse 3D des images médicales du patient, avec l’accord de ce dernier, qui vont permettre d’améliorer son traitement. C’est exactement comme un laboratoire d’analyse biologique. Nous avons simplement étendu la biologie à des données numériques, qui sont aussi des extractions du vivant, par imagerie médicale. Et nous devons de la même manière garantir que ces analyses soient protégées.
Les patients sont-ils conscients des enjeux en termes de sécurité ?
Beaucoup ont des pages Facebook, des montres connectées… La conscience de l’exploitation de leurs données n’existe donc pas ou peu, car il faut du recul pour y penser. Leur première demande est d’être soigné et parfois même d’être sauvé avant toute autre considération. N’attendons pas de leur part des réflexions avancées en termes de protection, ils pensent d’abord dans ces cas là à leur santé. Ce ne seront pas eux les régulateurs. En revanche, les associations de patients travaillent beaucoup ces questions. Mais au-delà de ces considérations, c’est avant tout au politique et à la Société qu’il revient de protéger les personnes en situation de faiblesse, et donc les personnes malades.
Dans un autre registre, les patients ne craignent-ils pas la virtualisation de la relation médicale ?
C’est l’inverse qui se produit : les datas vont rapprocher les médecins des patients. Prenons l’exemple de l’opération par un robot. A l’Institut de recherche contre les cancers de l’appareil digestif, quand la première intervention chirugicale transatlantique chez l’homme a été menée en 2001 par Jacques Marescaux, trois patients ont accepté d’emblée. Avec le recul, nous avons réalisé que plus le médecin introduit de la technologie, plus il va expliquer au patient ce qu’il va se passer alors qu’auparavant, son discours se limitait souvent à « faites-moi confiance ». Par ailleurs, l’objectif de tous les développements en chirurgie assistée ou en intelligence artificielle est de faire gagner du temps au praticien pour qu’il puisse en passer davantage avec le patient. Certains vous diront que l’intelligence artificielle va faire disparaître certains métiers. D’autres vous affirmeront que les nouveaux emplois ne serviront plus qu’à entretenir les machines. Soyons clair : quel sera demain l’emploi pour lequel l’humain sera meilleur que la machine ? C’est celui qui fera appel à sa capacité d’humain ! Les médecins retrouveront du temps pour l’accompagnement de leurs patients.
Quels sont les principaux défis auxquels vont se trouver confrontés les hôpitaux ?
Le numérique va révolutionner l’hôpital avec comme premier défi, celui de la formation. Lorsque la France a mis en place le recyclage des déchets, le grand public a été formé. Le parallèle est le suivant : les hôpitaux ont aujourd’hui des tonnes de données qui ne servent à rien et qui coûtent de l’argent. L’objectif est de les recycler mais s’il n’est pas en capacité de les trier, l’hôpital disposera alors de données dites « non structurées », coûteuses, peu efficaces et peu rentables, bref non recyclables. Ensuite, pourquoi ne pas modifier la capture même des données de façon à optimiser leur recyclage comme on le fait pour l’emballage des produits ? Cet objectif implique là encore de former le personnel pour créer des données ré-exploitables. Le deuxième défi est organisationnel : exploiter les données va permettre de gagner du temps homme afin de proposer un meilleur accompagnement des patients. Cela modifiera donc obligatoirement l’organisation du travail. Enfin, le troisième défi est financier car il y a des coûts inhérents au stockage. Comme pour le traitement des déchets, l’exploitation des données sera rentable en fin de chaîne, grâce à leur réexploitation. D’où la nécessité d’investir.
Propos recueillis par Hélène Delmotte