Perfusionniste : ce métier de la santé aussi indispensable que méconnu

Auteur / Etablissement : ,
Crédit Photo : Adrien Morcuende
Nicolas Rougier est perfusionniste au bloc cardiologie de l’Hôpital Haut-Lévêque (CHU de Bordeaux). Une bonne partie de son quotidien consiste à gérer la circulation extracorporelle du sang d’un patient qui se fait opérer et, bien souvent, à arrêter le cœur de ce dernier. Une responsabilité non négligeable mais qui reste largement mal (re)connue. Il y a quelques jours, nous avons accompagné Nicolas Rougier, lors d’une intervention sous haute tension. Pour CHU Média, il a accepté de nous parler de son métier, pratiqué dans l’ombre par seulement trois-cent personnes en France, et pourtant si essentiel.

Pouvez-vous expliquer le rôle d’un perfusionniste ? 

Un perfusionniste, c’est un paramédical qui gère la circulation extracorporelle (CEC) que l’on réalise au bloc de chirurgie cardiologique. Cette circulation extracorporelle est indispensable pour opérer les patients du cœur.

En quoi cette CEC est-elle si importante ? 

Pour opérer un patient du cœur*, le chirurgien a besoin de bien voir ce qu’il fait. Pour l’aider, on va dériver la circulation sanguine du cœur et des poumons. Le sang sort donc du corps du patient et passe dans notre machine. Cela permet au chirurgien d’opérer le cœur sans qu’il y ait de sang à l’intérieur. 

Sans perfusionniste, on ne peut pas opérer un patient du coeur ? 

La plupart du temps, on ne peut pas opérer sans perfusionniste. Il y a de plus en plus de procédures qu’on essaie de faire sans circulation extracorporelle parce que ce sont des interventions lourdes, notamment pour les personnes âgées. Mais souvent, on est obligé de mettre en place une CEC, de clamper le cœur, et de l’arrêter.

La circulation extracorporelle permet de vider le coeur de son sang. Crédit Photo : Adrien Morcuende

Comment se passe une journée type ? 

Un travail de perfectionniste, c’est une journée de travail de sept heures concentrée en deux heures et demie, trois heures. Donc le matin, pendant que le patient est accueilli, on monte notre machine de circulation extracorporelle. On choisit le circuit en fonction de la taille et du poids du patient. C’est le début du travail. C’est très important de bien monter sa machine. Car si on débute la procédure et qu’elle est mal montée, on va avoir beaucoup de mal à réparer ce dysfonctionnement.  Cela peut aussi engendrer un risque majeur pour le patient. Heureusement, les accidents en chirurgie cardiaque sont rares.

Le réglage de la machine est une étape cruciale dans la journée d'un perfusionniste. Crédit Photo : Adrien Morcuende

La CEC représente-t-elle un risque pour le patient ? 

Une CEC n’est pas neutre. Plus la circulation extracorporelle sera longue, moins les chances de survie pour le patient seront bonnes. Le perfusionniste doit avoir des réglages très précis pour pouvoir faire une bonne circulation extracorporelle et que le chirurgien opère vite. En tous cas, sans qu’on dise que c’est gravissime, une circulation extracorporelle qui demeure dans le temps est délétère pour le patient, quoi qu’il arrive. 

Quels sont les professionnels qui exercent ce métier ? 

Environ 70% des perfusionnistes sont des infirmiers. Il y a des infirmiers anesthésistes et pas mal d’infirmiers de blocs opératoires également. Et puis il y a des médecins, 2 ou 3% de mémoire, qui font la circulation extracorporelle. Des anesthésistes, réanimateurs, cardiologues etc. 

Nicolas Rougier, de formation infirmier, est perfusionniste depuis 2016. Crédit Photo : Adrien Morcuende

Comment en êtes-vous arrivé à ce métier ? 

J’ai travaillé six ans comme infirmier en réanimation chirurgicale, donc juste à côté du bloc opératoire. En réanimation, on s’occupe parfois de patients graves qui bénéficient de petites machines de circulation extracorporelle, qu’on appelle des ECMO. Elles sont posées par les chirurgiens cardiaques avec l’aide des perfusionnistes. C’est comme cela que j’ai découvert ce métier, que j’exerce depuis 2016. 

Qu’est ce qui le rend aussi passionnant ? 

Moi je suis infirmier à la base. Un paramédical qui a autant d’importance dans une procédure comme la chirurgie cardiaque, c’est hyper valorisant. C’est pour ça que ce métier est intéressant. On est tout le temps en contact avec l’équipe chirurgicale et l’équipe d’anesthésie. Et puis on ne fait pas que de la chirurgie cardiaque, même si ça reste la majorité de nos procédures. Il y a l’activité de l’Unité d’Assistance Mobile Ambulatoire (UMAC) où on va se déplacer avec le SAMU et mettre en place des petites machines d’assistance de circulation extracorporelle qu’on appelle des ECMO. On fait aussi des procédures en chirurgie pulmonaire, digestive avec des greffes de foie par exemple […] On fait de l’adulte, des personnes plus âgées donc plus complexes, de la pédiatrie voire de la néonatalité.

La CEC n'est jamais neutre pour le patient. Crédit Photo : Adrien Morcuende

Pourquoi cette profession est-elle aussi peu connue selon vous ? 

Il est peu connu parce qu’on n’est pas nombreux. On est à peu près trois-cents à faire ce métier en France. Au CHU de Bordeaux, nous sommes une équipe d’une grosse dizaine de personnes, pour 1500 interventions par an. Après la période COVID, certains ont arrêté car beaucoup de boulot, de pression, pas beaucoup de revalorisation. Les gens arrêtent de faire de la perfusion et, derrière, on n’a pas de recrus. La jeune génération ne connaît pas le métier. Et quand on leur dit qu’il faut faire un diplôme supplémentaire mais sans être payé plus, ils ne veulent pas venir. On est donc trois cent en France mais aujourd’hui il y a cinquante postes vacants. 

Aujourd'hui, il y a cinquante postes de perfusionniste vacants. Crédit Photo : Adrien Morcuende

Quelles sont les conséquences de cette diminution du nombre de perfusionnistes, notamment pour les patients ? 

Lorsqu’on diminue ce nombre, les chirurgiens ne peuvent pas opérer ; donc on va déprogrammer les interventions et les patients vont être opérés de plus en plus tardivement. Il y a quelques semaines de cela, le chef de service de l’hôpital Necker (AP-HP) a tiré la sonnette d’alarme parce que des patients n’ont pas pu opérer rapidement, faute de perfusionnistes. Parfois, ces patients sont opérés plus tardivement. Cela induit une réhabilitation plus lente. Malheureusement, parfois, on a pas le temps de les opérer. Donc on arrive à des décès. À l’heure actuelle, ils n’ont pas assez de perfusionnistes donc ils font appel à des professionnels étrangers. Et quand il y a des recrues, ça prend une bonne année pour former un perfusionniste. 

L’idée aujourd’hui c’est de faire reconnaître ce métier ? 

On nous a demandé de fusionner nos sociétés savantes [anesthésie et réanimation]. On nous a demandé d’avoir un diplôme. C’est désormais le cas avec un master qui se fait à la Sorbonne qui existe depuis 2020. Le Ministère nous a demandé de cocher plein de cases. Aujourd’hui, on coche ces cases-là et on souhaite être reconnus. Malheureusement, à l’heure actuelle, les portes sont fermées. 

 

Propos recueillis par Adrien Morcuende

* Lorsque nous rencontrons Nicolas Rougier, c’est une adolescente de 14 ans qui s’apprête à entrer dans le bloc de chirurgie cardiaque de l’hôpital Haut-Lévêque (CHU de Bordeaux). Déjà opérée en raison d’une tétralogie de Fallot dans l’enfance, on doit aujourd’hui lui réparer la valve pulmonaire.

Le supplément 

En octobre 2023, le Syndicat National des Perfusionnistes est créé. L’idée est, selon son président Laurent Mathieu, « d’avoir une marge de manœuvre différente de celle d’une société savante et, éventuellement, d’avoir des actions un peu plus musclées. » S’il affirme par ailleurs que les perfusionnistes « bénéficient d’un appui des directeurs et de l’encadrement » du CHU de Bordeaux, « ce n’est pas du tout le cas dans d’autres hôpitaux qui ne jouent pas le jeu » de la reconnaissance du métier. Et de terminer : « Notre invisibilité vient du fait que nous sommes très peu nombreux et du fait qu’on travaille dans les blocs opératoires. On a pas de visibilité, les mouvements sociaux et les grèves n’existent pas chez nous. On n’a pas vraiment l’oreille du Ministère. »

Le 30 janvier 2024, le député des Hauts-de-Seine Philippe Juvin (LR), par ailleurs chef de service des urgences de l’hôpital européen Georges-Pompidou, a interpellé la ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités sur la pénurie de perfusionnistes.

À lire également

Chiens, poules, lapins : des soignants pas comme les autres 

Depuis quelques mois au sein du CHRU de Nancy, l’Institut de Formation des Aides-Soignants accueille une nouvelle élève pas tout à fait comme les autres. Couverte de poils et possédant de grandes oreilles, Vénus, une chienne cavalier King Charles, est formée dans l’établissement pour soutenir émotionnellement les étudiants. Une approche qui existe par ailleurs dans divers services hospitaliers.

CHU Healthtech Connexion Day : une édition lilloise qui a attiré plus de 1000 participants

Le 2 décembre dernier avait lieu à Lille la 3e édition du CHU Healthtech Connexion Day. A l’heure où 88% des CHU déclarent collaborer avec des start-ups, PME ou grands groupes, cet événement, organisé par la Conférence des Directeurs Généraux de CHU et France Biotech, a permis de montrer à près de 1000 personnes les synergies actuelles et futures au service de la santé des patients. Une édition riche et multi-scènes qui a participé à définitivement installer un rendez-vous et dont nous vous proposons un aperçu photographique.

Pour préserver sa fertilité, on lui déplace l’utérus au niveau du nombril

Dans le cadre de la prise en charge d’une patiente atteinte d’un sarcome d’Ewing au niveau de la cloison recto-vaginale, le Pr Cherif Akladios, chef du pôle de gynécologie, obstétrique et fertilité aux Hôpitaux Universitaires de Strasbourg, a réalisé un geste spectaculaire et inédit en France. En déplaçant son utérus au niveau de son ombilic, le chirurgien et son équipe ont sans doute permis à la jeune femme de préserver sa fertilité.