Pouvez-vous expliquer le rôle d’un perfusionniste ?
Un perfusionniste, c’est un paramédical qui gère la circulation extracorporelle (CEC) que l’on réalise au bloc de chirurgie cardiologique. Cette circulation extracorporelle est indispensable pour opérer les patients du cœur.
En quoi cette CEC est-elle si importante ?
Pour opérer un patient du cœur*, le chirurgien a besoin de bien voir ce qu’il fait. Pour l’aider, on va dériver la circulation sanguine du cœur et des poumons. Le sang sort donc du corps du patient et passe dans notre machine. Cela permet au chirurgien d’opérer le cœur sans qu’il y ait de sang à l’intérieur.
Sans perfusionniste, on ne peut pas opérer un patient du coeur ?
La plupart du temps, on ne peut pas opérer sans perfusionniste. Il y a de plus en plus de procédures qu’on essaie de faire sans circulation extracorporelle parce que ce sont des interventions lourdes, notamment pour les personnes âgées. Mais souvent, on est obligé de mettre en place une CEC, de clamper le cœur, et de l’arrêter.
Comment se passe une journée type ?
Un travail de perfectionniste, c’est une journée de travail de sept heures concentrée en deux heures et demie, trois heures. Donc le matin, pendant que le patient est accueilli, on monte notre machine de circulation extracorporelle. On choisit le circuit en fonction de la taille et du poids du patient. C’est le début du travail. C’est très important de bien monter sa machine. Car si on débute la procédure et qu’elle est mal montée, on va avoir beaucoup de mal à réparer ce dysfonctionnement. Cela peut aussi engendrer un risque majeur pour le patient. Heureusement, les accidents en chirurgie cardiaque sont rares.
La CEC représente-t-elle un risque pour le patient ?
Une CEC n’est pas neutre. Plus la circulation extracorporelle sera longue, moins les chances de survie pour le patient seront bonnes. Le perfusionniste doit avoir des réglages très précis pour pouvoir faire une bonne circulation extracorporelle et que le chirurgien opère vite. En tous cas, sans qu’on dise que c’est gravissime, une circulation extracorporelle qui demeure dans le temps est délétère pour le patient, quoi qu’il arrive.
Quels sont les professionnels qui exercent ce métier ?
Environ 70% des perfusionnistes sont des infirmiers. Il y a des infirmiers anesthésistes et pas mal d’infirmiers de blocs opératoires également. Et puis il y a des médecins, 2 ou 3% de mémoire, qui font la circulation extracorporelle. Des anesthésistes, réanimateurs, cardiologues etc.
Comment en êtes-vous arrivé à ce métier ?
J’ai travaillé six ans comme infirmier en réanimation chirurgicale, donc juste à côté du bloc opératoire. En réanimation, on s’occupe parfois de patients graves qui bénéficient de petites machines de circulation extracorporelle, qu’on appelle des ECMO. Elles sont posées par les chirurgiens cardiaques avec l’aide des perfusionnistes. C’est comme cela que j’ai découvert ce métier, que j’exerce depuis 2016.
Qu’est ce qui le rend aussi passionnant ?
Moi je suis infirmier à la base. Un paramédical qui a autant d’importance dans une procédure comme la chirurgie cardiaque, c’est hyper valorisant. C’est pour ça que ce métier est intéressant. On est tout le temps en contact avec l’équipe chirurgicale et l’équipe d’anesthésie. Et puis on ne fait pas que de la chirurgie cardiaque, même si ça reste la majorité de nos procédures. Il y a l’activité de l’Unité d’Assistance Mobile Ambulatoire (UMAC) où on va se déplacer avec le SAMU et mettre en place des petites machines d’assistance de circulation extracorporelle qu’on appelle des ECMO. On fait aussi des procédures en chirurgie pulmonaire, digestive avec des greffes de foie par exemple […] On fait de l’adulte, des personnes plus âgées donc plus complexes, de la pédiatrie voire de la néonatalité.
Pourquoi cette profession est-elle aussi peu connue selon vous ?
Il est peu connu parce qu’on n’est pas nombreux. On est à peu près trois-cents à faire ce métier en France. Au CHU de Bordeaux, nous sommes une équipe d’une grosse dizaine de personnes, pour 1500 interventions par an. Après la période COVID, certains ont arrêté car beaucoup de boulot, de pression, pas beaucoup de revalorisation. Les gens arrêtent de faire de la perfusion et, derrière, on n’a pas de recrus. La jeune génération ne connaît pas le métier. Et quand on leur dit qu’il faut faire un diplôme supplémentaire mais sans être payé plus, ils ne veulent pas venir. On est donc trois cent en France mais aujourd’hui il y a cinquante postes vacants.
Quelles sont les conséquences de cette diminution du nombre de perfusionnistes, notamment pour les patients ?
Lorsqu’on diminue ce nombre, les chirurgiens ne peuvent pas opérer ; donc on va déprogrammer les interventions et les patients vont être opérés de plus en plus tardivement. Il y a quelques semaines de cela, le chef de service de l’hôpital Necker (AP-HP) a tiré la sonnette d’alarme parce que des patients n’ont pas pu opérer rapidement, faute de perfusionnistes. Parfois, ces patients sont opérés plus tardivement. Cela induit une réhabilitation plus lente. Malheureusement, parfois, on a pas le temps de les opérer. Donc on arrive à des décès. À l’heure actuelle, ils n’ont pas assez de perfusionnistes donc ils font appel à des professionnels étrangers. Et quand il y a des recrues, ça prend une bonne année pour former un perfusionniste.
L’idée aujourd’hui c’est de faire reconnaître ce métier ?
On nous a demandé de fusionner nos sociétés savantes [anesthésie et réanimation]. On nous a demandé d’avoir un diplôme. C’est désormais le cas avec un master qui se fait à la Sorbonne qui existe depuis 2020. Le Ministère nous a demandé de cocher plein de cases. Aujourd’hui, on coche ces cases-là et on souhaite être reconnus. Malheureusement, à l’heure actuelle, les portes sont fermées.
Propos recueillis par Adrien Morcuende
* Lorsque nous rencontrons Nicolas Rougier, c’est une adolescente de 14 ans qui s’apprête à entrer dans le bloc de chirurgie cardiaque de l’hôpital Haut-Lévêque (CHU de Bordeaux). Déjà opérée en raison d’une tétralogie de Fallot dans l’enfance, on doit aujourd’hui lui réparer la valve pulmonaire.
Le supplément
En octobre 2023, le Syndicat National des Perfusionnistes est créé. L’idée est, selon son président Laurent Mathieu, « d’avoir une marge de manœuvre différente de celle d’une société savante et, éventuellement, d’avoir des actions un peu plus musclées. » S’il affirme par ailleurs que les perfusionnistes « bénéficient d’un appui des directeurs et de l’encadrement » du CHU de Bordeaux, « ce n’est pas du tout le cas dans d’autres hôpitaux qui ne jouent pas le jeu » de la reconnaissance du métier. Et de terminer : « Notre invisibilité vient du fait que nous sommes très peu nombreux et du fait qu’on travaille dans les blocs opératoires. On a pas de visibilité, les mouvements sociaux et les grèves n’existent pas chez nous. On n’a pas vraiment l’oreille du Ministère. »
Le 30 janvier 2024, le député des Hauts-de-Seine Philippe Juvin (LR), par ailleurs chef de service des urgences de l’hôpital européen Georges-Pompidou, a interpellé la ministre du Travail, de la Santé et des Solidarités sur la pénurie de perfusionnistes.