Le CHU de Brest participe à de nombreuses études sur les rhumatismes inflammatoires. L’enjeu est de les diagnostiquer plus tôt, d’en connaître l’évolution avec précision et d’analyser l’efficacité des traitements. Le Pr Alain Saraux, chef du service de rhumatologie du CHU de Brest explique l’intérêt de ces travaux.
Pourquoi le CHU de Brest est-il impliqué dans ces recherches ?
Au début des années 1990, les rhumatismes inflammatoires ont fait l’objet d’avancées considérables dans la compréhension de leurs mécanismes immunologiques. De ce fait, des outils du diagnostic et de nouveaux traitements ont été mis au point. En effet, il est aujourd’hui possible de concevoir des médicaments directement basés sur des systèmes de blocage de substances pro inflammatoires ou de stimulation des récepteurs de substances anti inflammatoires. Compte tenu à la fois de l’efficacité et du coût de ces nouveaux traitements à notre disposition ainsi que de ceux qui sont encore en cours de développement, se pose le problème de leur évaluation. Enfin, les risques liés à ces traitements doivent être mis en balance avec leurs avantages et leurs aspects purement financiers.
La connaissance de la fréquence et de la sévérité de ces affections chroniques est le pré-requis indispensable aux discussions avec les pouvoir politiques. Prévoyant les conséquences de cette révolution dans la prise en charge des rhumatismes inflammatoires, nous avons développé entre 1995 et 2000 les outils indispensables à l’approche de ces pathologies sous différents angles :
– Nous avons collaboré avec le service d’immunologie, ce qui permet de poursuivre une recherche clinique adaptée au fur et à mesure des avancées de la recherche fondamentale.
– Pour permettre aux pouvoir publics d’évaluer l’impact médico-économique de ces traitements, nous avons mis au point une méthode d’étude de la prévalence des rhumatismes inflammatoires en population par téléphone à l’échelon de la Bretagne, avec une détection des patients par des enquêteurs non médecin (appels par des membres d’association de malades notamment AFP, ACSAC et SES), puis d’une confirmation des cas par les médecins (tous les rhumatologues bretons), avec l’appui du CHU de Brest et de la société de rhumatologie de l’Ouest (1999). Ce projet original a ensuite été conduit à l’échelon de la France (2001), puis soumis à l’échelon Européen et 11 pays ont accepté de participer à une étude de prévalence comparative selon la même méthodologie, le budget ayant été accordé par l’EULAR (European League against Rheumatism). Des études similaires sont maintenant en cours hors de l’Europe (Chine notamment).
– Pour évaluer les possibilités de diagnostic précoce et connaître le pronostic des rhumatismes inflammatoires, nous avons instauré une consultation de rhumatismes inflammatoires débutants, en réseau avec les rhumatologues de toute la Bretagne, dans le cadre d’un protocole hospitalier de recherche clinique (PHRC 1995). Nous avons ainsi pu étudier la valeur diagnostique des critères de diagnostic des rhumatismes débutants et leur mode d’utilisation, mais aussi évaluer les nouveaux tests immunologiques mis au point dans laboratoire d’immunologie.
C’est sur cette base que nous avons ensuite, avec d’autres centres intéressés par une conduction de travaux à plus grande échelle sur l’ensemble du territoire français, avec l’appui de tous les rhumatologues libéraux ou hospitaliers, décidé d’évaluer le diagnostic, le pronostic, l’impact médico-économique, mais aussi de perfectionner les connaissances dans la physiopathologie, des rhumatismes inflammatoires. Pour cela, nous avons constitué de grandes cohortes de rhumatismes suivis pendant 10 ans. Les principales cohortes qui ont été constituées sont ESPOIR (polyarthrites débutantes, 800 patients), DESIR (rachialgie inflammatoire, 700 patients) et EchoSPA (suspicion de spondylarthrite, 500 patients).
Impliqués dans les travaux préliminaires à l’échelon de la Bretagne, nous avons naturellement été impliqués dans la constitution des cohortes nationales.
Nous avons aussi parallèlement des cohortes de patients ayant des formes pouvant justifier une biothérapie (formes actives de polyarthrite, spondylarthrite et arthrite juvénile dans CORPUS, Syndrome de Sjogren dans TEARS…) dont le but est de répondre à d’autres questions sur des formes avancées des maladies.
Quels enseignements et à quel horizon ?
Aucune cohorte antérieure ne permet d’étudier l’histoire naturelle des rhumatismes inflammatoires à partir de formes précoces, sur un nombre suffisant, et avec un suivi prolongé. Un diagnostic précoce est indispensable ainsi que la détection des éléments qui font craindre une évolution particulièrement sévère, puisque des traitements débutés tôt empêchent l’évolution de maladie. Mais seule la connaissance précise de leur risque et des conséquences médico-économiques, selon la sévérité, permettra de les utiliser à bon escient. La France est un des rares pays européens à avoir la capacité de recrutement pour pouvoir mener à bien ce type d’étude.
Ces études permettent déjà des travaux sur les données d’inclusions (description des maladies, caractéristiques biologiques ou d’imagerie) mais très rapidement les études portant sur la prédiction du devenir à 2 puis 5 ans sera possible. Actuellement, dans les cohorte ESPOIR et EchoSPA, tous les patients sont suivis depuis plus de deux ans. La cohorte DESIR est plus récente, la fin des inclusions étant programmée dans environ une année.
Du fait de financements de plus en plus contraints dans la santé, les études médico-économiques sont-elles appelées à se développer ?
Les études médico-économiques ont bien sûr le vent en poupe puisque le budget de l’état n’est pas complètement extensible alors que les progrès thérapeutiques expliquent en partie le coût élevé des nouvelles molécules à notre disposition. Il est vraisemblable que certains médicaments ayant une efficacité discutable soient progressivement déremboursés tandis que les produits le plus efficaces restent pris en charge par l’état. Mais malgré ces efforts, il y aura peut être des choix à faire si les coûts restent trop élevés pour le budget de l’état. Et ce sera alors très difficile de dire s’il vaut mieux accepter de traiter les pathologies de très mauvais pronostic vital (et donc gagner quelques mois de survie) ou celles qui sont invalidantes ou de mauvais pronostic à long terme (et donc gagner en qualité de vie).
Il faut donc absolument tout faire pour que les prix des médicaments les plus utiles restent abordables pour l’état, et essayer d’économiser sur d’autres volets de l’économie pour éviter aux médecins d’avoir à faire des choix qui ne relèvent pas de l’art médical.
Les études médico-économiques doivent permettre d’évaluer tous les aspects des bénéfices de ces traitements et notamment ceux qui peuvent être tirés de la poursuite du travail et de l’absence de handicap des patients traités précocement dans le cadre des rhumatismes inflammatoires.