Pour le premier épisode de notre série vidéo « Les Chuchoteurs ! », qui donne la parole à des personnalités des CHU-CHR, nous avons choisi d’interviewer Noëlle Bernard. Responsable d’une unité dans un service de médecine interne à l’hôpital Saint-André , co-pilote du groupe « transformation écologique », le Dr Bernard veille à faire mettre du vert chez les blouses blanches. Une expérience qu’elle a partagée dans son livre « L’hôpital en transition ». Alors, la transition écologique dans les CHU, c’est possible ? A l’occasion de la semaine européenne du développement durable, et un peu plus d’un mois après la publication du rapport du GIEC, c’est une citoyenne engagée et professionnelle convaincue qui nous répond. Rencontre.
Présentez- vous !
Je suis médecin dans un service de médecine interne et maladies infectieuses. J’y suis arrivée il y trente ans, c’est à dire au moment de l’épidémie du Sida. Je pense que tout ce que j’ai appris à ce moment-là me sert aujourd’hui. J’ai appris aussi qu’il fallait accepter d’apprendre en permanence, se remettre en question. Et je pense que c’est absolument essentiel aujourd’hui pour faire face à ce qui nous arrive.
Depuis quand êtes-vous une écolo active ?
Le premier grand souvenir que j’ai c’est quand j’avais dix-huit ans. J’utilisais des brouillons pour travailler et j’avais tanné ma mère pour aller recycler ce papier. Ce qui, à l’époque, n’existait pas. Je me rappelle aussi que j’avais participé à une des premières AMAP, cette façon d’avoir des paniers de légumes provenant d’associations pour le maintien d’une l’agriculture paysanne et de proximité… Je crois avoir été parmi les premières parce que j’avais conscience qu’il fallait commencer à consommer autrement.
Il paraît que ce sont des colibris qui vous ont montré la voie ?
Je me rappelle une fois avoir été renvoyée par une secrétaire à laquelle je demandais si on pouvait récupérer le papier. Donc oui, ça n’a pas toujours été simple. Je me suis parfois sentie très seule… Et puis j’ai entendu parler des Colibris. C’est une ONG qui a été montée par Pierre Rabhi et d’autres acteurs à l’époque. J’y ai trouvé une réponse à mes questionnements sous deux formes : d’abord c’est agir « pour » ! On n’est pas contre quelque chose mais on agit pour faire avancer les choses ; et puis une remise en question personnelle ? c’est-à-dire « comment je peux agir moi ? » et ensuite « qu’est-ce que je peux faire avec les autres ? » Ça m’a poussée, ça m’a portée pour installer vraiment l’écologie dans l’hôpital, dans mon lieu d’exercice.
Tout le monde en parle…mais au fait, c’est quoi la « transition écologique » ?
« La transition c’est un mouvement d’initiatives visant à assurer la résilience d’une communauté, c’est à dire sa capacité de fonctionner malgré des crises économiques ou écologiques. » Je pense qu’on est en plein dedans ! C’est Rob Hopkins qui a développé cette notion il y a quelques années. Je vous conseille son livre [Et si….on libérait notre imagination pour créer le futur que nous voulons ?] que je trouve passionnant parce qu’il parle beaucoup de la transition, et donne plein d’exemples. Surtout, il nous invite à imaginer un monde différent. Et cela c’est vraiment, je crois, ce dont nous avons besoin aujourd’hui.
La transition dans les CHU, à l’hôpital de manière générale, c’est possible ?
La transition à l’hôpital OUI c’est possible ! Et c’est même indispensable. Nous sommes déjà en route. Ce qu’il faut savoir c’est que de nombreux établissements se sont lancés sur des actes de développement durable pour des raisons économiques, d’image mais aussi parce qu’il y a des recommandations nationales obligatoires.
Ce qui est très important à savoir c’est que nos hôpitaux sont de gros consommateurs d’énergie. L’électricité fonctionne quasiment 24h/24. Les blocs opératoires qui tournent… Donc beaucoup d’énergie puisque c’est l’équivalent d’une ville de 10 000 habitants. Beaucoup de mobilité aussi parce que les acteurs viennent des quatre coins du territoire. A Bordeaux, on a 14 000 salariés qui se déplacent et font un nombre de kilomètres absolument colossal.
Des exemples d’actions concrètes ?
Sur Bordeaux, comme dans d’autres hôpitaux, on a beaucoup travaillé à l’amélioration du tri des déchets. En hôpital, on a ce qu’on appelle les DASRI, qui sont des déchets de santé à risque infectieux. La façon dont on les élimine est différente. Et bien on a réussi à faire des économies sur le plan financier, mais aussi sur le plan de la pollution en réduisant notre production de DASRI.
Autre exemple : il y a quelques années, l’association d’anesthésie-réanimation et les chirurgiens ont dit : « nous les blocs, on est les plus pollueurs donc on va réfléchir nos interventions autrement ». C’est-à-dire, à chaque niveau, comment faire pour que mon intervention soit plus écologique. Est-ce que je suis obligé de jeter tous les dispositifs que j’utilise habituellement ? Aujourd’hui on est en train de remettre en question cet adage de l’usage unique pour tout, tout le temps et finalement revenir à de l’usage multiple. Pour certains matériaux évidemment, on ne va pas revenir à la seringue à usage multiple. Mais pour certains matériaux, on peut réutiliser et nettoyer. Bien sûr ça coûte peut-être un peu plus cher au départ maisais finalement les études montrent que, sur le long terme, on économise en réutilisant certains matériaux. Et m’inspirant des blocs durables, je me suis dit « pourquoi pas faire la même chose avec les unités de soin. » Au CHU de Bordeaux, on travaille avec huit unités pilotes sur le projet des « unités durables » pour préparer ensemble un guide que toutes les unités du CHU pourront utiliser.
On a par ailleurs monté un groupe national pour voir ce qu’il se passe ailleurs en France. Par exemple, à Strasbourg, il y a un chirurgien qui a monté une association qui s’appelle le CERES (Collectif Eco-Responsabilité en Santé) pour parler d’éco-responsabilité, de recherche en santé sur ces sujets. A Toulouse, il y a un chirurgien qui a, par exemple, mis en place la « green cataract. » C’est à dire comment j’opère proprement, durablement de bout en bout de mon intervention qui est absolument fréquente et développée partout. Et puis dans ce collectif national, on a une néphrologue qui souhaite créer la dialyse verte… donc vous voyez aujourd’hui les salariés, un grand nombre de salariés, pas tous bien sûr mais un grand nombre de salariés ont envie de s’engager pour que leur unité devienne durable.
La citoyenne Noëlle se sent-elle aussi concernée que le Dr Bernard ?
Dans mon quotidien de femme, oui j’ai bougé ! J’ai bougé petit à petit. Je crois que si on veut avancer il faut commencer par une action, puis un autre. Le principe des petits pas. J’ai commencé par les déchets. J’avais envie de faire moins de déchets. Alors je sais c’est idiot… J’ai commencé par fabriquer ma lessive… vous voyez, une aventure ! Ça me prend 5 minutes tous les trois mois pour faire quelques litres de lessive.
J’essaie de ne pas aller forcément à l’autre bout de la planète pour me reposer. Je n’ai jamais été très fan de l’avion mais je pense que je vais probablement bannir cette façon de voyager, même pour aller voir ma fille à l’autre bout de la France. On ne peut pas être militant propre à la maison et puis gaspiller, faire n’importe quoi à l’hôpital.
Comment avez-vous accueilli le dernier rapport du GIEC ?
Ça m’a fait très mal…ça me fait peur aussi. Je ne vous cache pas que j’ai peur. Ceci d’autant plus qu’on a des preuves tangibles que ça va mal. Depuis quelques mois la planète brûle dans tous les sens du terme. La planète déborde de déchets, la planète déborde de flotte à certains endroits !
A quoi peut-on se raccrocher ?
Si je ne suis pas complètement démoralisée c’est parce que je vois que ça avance. On vient de faire une enquête sur la transformation écologique au CHU de Bordeaux ainsi qu’à Poitiers et à Niort. On a eu des réponses. On a quand même eu 10% de répondants au CHU de Bordeaux ce qui n’est pas rien. On voit qu’il y a des personnes extrêmement motivées. Ça pour moi c’est facteur d’espoir.
Le mot de la fin ?
« On a une révolution à opérer. Je me bats pour qu’on la fasse à l’amiable. C’est à dire qu’on l’anticipe, qu’on la planifie. Si elle ne se fait pas à l’amiable, elle se fera dans le chaos. » Nicolas Hulot.
Propos recueillis par Adrien Morcuende / Réseau CHU